17 octobre 2025
Nourrir un regard lucide
Aujourd’hui, dans le cadre d’un monde où la désinformation et des forces écrasantes règnent, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous invite à garder nos esprits éveillés, nourris de la tradition de l’Église et rassurés par les paroles du Christ : « Ne craignez pas ! »
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS (4, 1-8)
Frères, que dirons-nous d’Abraham, notre ancêtre selon la chair ? Qu’a-t-il obtenu ? Si Abraham était devenu un homme juste par la pratique des œuvres, il aurait pu en tirer fierté, mais pas devant Dieu. Or, que dit l’Écriture ? Abraham eut foi en Dieu, et il lui fut accordé d’être juste.
Si quelqu’un accomplit un travail, son salaire ne lui est pas accordé comme un don gratuit, mais comme un dû. Au contraire, si quelqu’un, sans rien accomplir, a foi en Celui qui rend juste l’homme impie, il lui est accordé d’être juste par sa foi.
C’est ainsi que le psaume de David proclame heureux l’homme à qui Dieu accorde d’être juste, indépendamment de la pratique des œuvres : Heureux ceux dont les offenses ont été remises, et les péchés, effacés. Heureux l’homme dont le péché n’est pas compté par le Seigneur.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (12, 1-7)
En ce temps-là, comme la foule s’était rassemblée par milliers au point qu’on s’écrasait, Jésus, s’adressant d’abord à ses disciples, se mit à dire : « Méfiez-vous du levain des pharisiens, c’est-à-dire de leur hypocrisie. Tout ce qui est couvert d’un voile sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. Aussi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu en pleine lumière, ce que vous aurez dit à l’oreille dans le fond de la maison sera proclamé sur les toits.
« Je vous le dis, à vous mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne. Oui, je vous le dis : c’est celui-là que vous devez craindre. Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous. Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu. À plus forte raison les cheveux de votre tête sont tous comptés.
« Soyez sans crainte : vous valez plus qu’une multitude de moineaux. »
Prédication
Précédemment (Luc 11, 37-54), Jésus a eu de vifs débats avec les Pharisiens. Maintenant une grande foule est assemblée. Jésus s’adresse d’abord à ses disciples. Son appel est double : d’une part, il invite à se méfier, à avoir crainte; de l’autre, au contraire, il appelle à ne pas avoir peur.
De quoi faut-il se méfier ? Jésus continue sa critique des Pharisiens, sur un point précis : l’hypocrisie, i.e., la contradiction entre l’agir et les paroles, l’incohérence entre le paraître et le cœur. De plus, il en parle comme d’un levain, une réalité petite mais qui peut avoir beaucoup d’influence. C’est intéressant dans le contexte actuel où circulent tant de désinformation et de faussetés. Cela invite au discernement, à garder nos distances face aux propos qui peuvent détruire plus que construire.
Par deux fois (v. 4.7), les disciples sont appelés à ne pas avoir peur, à dépasser cette réaction normale devant l’inconnu. Les risques qu’ils affrontaient étaient plus immédiats et radicaux que les nôtres. Ils mettaient en jeu leur vie. Mais cela demeure vrai aujourd’hui pour bien des chrétiens et d’autres personnes qui ont des convictions et luttent contre le mensonge et l’injustice, pour la paix et l’amitié. Les moyens de les empêcher peuvent varier selon les époques, être plus ou moins subtils, mais ils finissent par se ressembler. Ce sont les divers masques de la force, celle qui méprise la fragilité humaine et écrase la créativité, celle qui préfère le secret à la lumière et se moque des valeurs qui donnent consistance au sujet humain.
Face à cette force qui tue l’âme, Jésus appelle à un regard lucide. En nous et autour de nous, qu’est-ce qui tue le goût de vivre, d’espérer, d’aimer? Qu’est-ce qui rend la vie insignifiante? Qu’est-ce qui nous captive et nous rend captifs, en dé-mission, n’osant plus témoigner? Les pistes sont nombreuses, mais le conformisme y tient une bonne part : la peur d’être différent, la volonté d’être comme tout le monde, ou ce qu’on en imagine. Les traditions religieuses et morales font maintenant partie de ces obstacles au règne conforme de la polarisation des enjeux et de la trivialisation de la réalité. D’où leur importance.
Pour tenir, pour rester fidèle au témoignage, Jésus invite aussi à un regard sur nous-mêmes, qui soit vrai. Au cœur de cette vérité de notre condition humaine, il place et affirme notre dignité, notre valeur singulière, radicale. Les moineaux, oiseaux ordinaires par excellence, comptent aux yeux du Dieu vivant, créateur et bon. Combien plus un être humain, icône de Dieu, compte-t-il à ses yeux.
Aujourd’hui, l’Église fait mémoire de Saint Ignace, évêque d’Antioche en Syrie, martyr en 110. Il est cité (no 39) dans la récente et première exhortation apostolique du pape Léon XIV, Dilexi te (Je t’ai aimé), sur l’amour des pauvres. Dans sa critique de ceux qui s’opposent à la pensée de Dieu, Ignace présente divers visages des pauvres : ‘De la charité, ils n’ont aucun souci, ni de la veuve, ni de l’orphelin, ni de l’opprimé, ni des prisonniers ou des libérés, ni de l’affamé ou de l’assoiffé.’ Son témoignage demeure inspirant.
Fr. Daniel Cadrin, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
par le témoignage des saints martyrs,
tu embellis ta sainte Église, corps de ton Fils ;
nous t’en prions :
de même que la passion du bienheureux Ignace d’Antioche,
célébrée en ce jour,
lui valut une gloire éternelle,
fais qu’elle nous procure aussi ta protection à jamais.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.
