21 septembre 2025
Soyez habiles !
En ce dimanche, le frère André Descôteaux, O.P., ainsi que le prophète Amos et Jésus, nous mettent en garde contre l’idolâtrie de l’argent et des luxes auxquels il donne accès, mais nous rappellent qu’il peut être un outil d’une utilité majeure pour le Royaume de Dieu et le bien-être des nécessiteux.

LIVRE DU PROPHÈTE AMOS (8, 4-7)
Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE (2, 1-8)
Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité.
Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage, pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre – je dis vrai, je ne mens pas – moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité.
Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (16, 1-13)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.’
Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’ Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80 ’.
« Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
« Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ?
« Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Prédication
L’évangile et la lecture du prophète Amos nous invitent à réfléchir sur la place de l’argent dans nos vies. Nous savons tous que l’argent est nécessaire. D’ailleurs, combien d’entre vous vivent modestement et doivent, en plus d’étudier à temps plein, travailler pour pouvoir rejoindre les deux bouts? Nous comprenons que Jésus puisse nous dire de ne pas devenir les esclaves de l’argent, mais il faut reconnaître qu’il peut être pour plusieurs une source constante de préoccupation. Je suis convaincu que Jésus qui a été si proche des pauvres comprend la situation. Il n’en demeure pas moins que Jésus et le prophète Amos veulent nous mettre en garde contre les effets d’une possession par l’argent.
Le livre d’Amos est un des plus anciens de la Bible. Amos est un prophète du VIIIe siècle avant notre ère. Il est très inquiet de voir un monde dominé par le souci de l’argent qui en vient à éclipser le Dieu de la vie. Je me demande bien comment il réagirait à la concentration sans cesse croissante de la richesse à laquelle nous assistons. À cet égard, le pape Léon XIV s’inquiète des effets des inégalités de revenu. Dans sa première entrevue, il s’interroge sur les conséquences sociales de l’écart toujours plus grand entre les niveaux de revenus de la classe ouvrière et les sommes perçues par les plus riches. Il s’inquiète du fait que les PDG qui, il y a 60 ans, gagnaient peut-être quatre à six fois plus que ce que les travailleurs percevaient, aujourd’hui, sont désormais payés 600 fois plus.
Revenons à Amos. Il se montre très dur vis-à-vis de ceux qui s’enrichissent sur le dos des petits. Dans l’extrait que nous avons lu, il dénonce leur hypocrisie : ils pratiquent une religion de façade. Ils respectent scrupuleusement les fêtes religieuses, mais leur cœur est ailleurs : ils ont bien hâte qu’elles se terminent pour reprendre leurs affaires et pour réaliser leurs plans en vue d’accroître leur fortune, quels qu’en soient les moyens. L’argent n’a pas d’odeur!
Trafiquer les instruments de mesure et les balances, leur permettant ainsi de frauder; violer le droit pour accroître leurs gains; appauvrir toujours plus les pauvres; pourquoi pas, si les profits sont au rendez-vous? Que les pauvres s’endettent! Il sera alors possible de pendre le peu qu’il leur reste et de les réduire à l’esclavage. Une main-d’œuvre gratuite! Quelle aubaine! Et d’ailleurs, qui les verra?
Que ces profiteurs ne se fassent pas d’illusion : si l’on peut tromper les humains, Dieu voit le fond des cœurs. Il ne se laissera pas manipuler. Lui qui a libéré son peuple de l’esclavage en Égypte est horrifié de voir tous ces pauvres réduits à l’état d’esclaves par leurs propres compatriotes et coreligionnaires.
Ces profiteurs possèdent des fortunes, mais ils sont possédés par elles! L’argent est leur Dieu. « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent! » Cette constatation de Jésus se situe après la parabole du gérant habile ou astucieux. Était-il malhonnête? Le récit ne nous le dit pas. Peut-être avait-il été négligent ou incompétent. Quoi qu’il en soit, son maître lui signifie son congédiement et exige qu’il lui rende les comptes. Vite, il analyse sa situation. Congédié, il sera difficile pour lui de se trouver un poste semblable. Pas question pour lui de travailler de ses mains. Lui, le col blanc ne se voit pas du tout s’abaisser en gagnant sa vie comme un col bleu. Quand même, il ne faut pas exagérer! Alors que faire? Mendier? Pas question. Alors il a cette idée de génie d’acheter la bienveillance de débiteurs du maître. La parabole donne deux exemples de cette entourloupette : moins 50 barils d’huile et moins 20 sacs de blé. Ce sont de grosses sommes. On parle de l’équivalent de trois à cinq ans du salaire d’un ouvrier agricole! Comment ne pas susciter la reconnaissance chez ces débiteurs? Et s’ils venaient à résister, l’ex-gérant pourrait les menacer de chantage. N’est-ce pas leur écriture qui apparaît sur les billets?
Poussé au pied du mur, notre gérant devient inventif. Ne dit-on pas que « la nécessité est la mère des inventions »? Une expression québécoise : il s’est viré sur un dix cents! Mais le maître est malin. Il découvre le stratagème. C’est ici que la parabole nous surprend. Alors que le maître aurait dû le châtier, il en fait, au contraire, la louange. Il admire son habileté!
Et Jésus de conclure : « les fils de monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il en sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».
Je pourrais longuement parler de cet argent qualifié de malhonnête par Jésus, mais le point important est pour les enfants de la lumière d’être aussi habiles en se servant de cet argent en vue de leur destinée finale. Se faire des amis en partageant avec les pauvres, avec les nécessiteux, travailler à plus de justice dans ce monde, s’engager à éliminer la pauvreté, éradiquer la faim dans le monde, viser à réduire les injustes inégalités pour qu’au jour où nous devrons remettre nos tabliers et rendre des comptes nous soyons accueillis par toutes ces personnes à qui nous aurons donné, à qui nous nous serons donnés.
Dans l’histoire de l’Église, de grands saints se sont montrés habiles avec cet argent malhonnête. Ils ont su, avec presque rien, créer des réseaux d’entraide remarquables. Je pense à Saint Vincent de Paul au XVIIe siècle, plus près de nous à Sainte Mère Teresa. Je pense également au jeune Giorgo Frassati, ce laïc dominicain, canonisé il y a deux semaines, qui a réussi à aider une multitude de personnes dans le besoin. Ici, à Montréal, quelques laïcs dominicains ont mis sur pied Foyer du Monde, une maison d’accueil pour les réfugiés qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
L’évangéliste Luc a fait suivre la parabole de différentes remarques sur l’argent qui en découlent plus ou moins. Dans l’ensemble, Jésus veut nous mettre en garde. Oui, l’argent est nécessaire, mais attention, il peut devenir une idole. L’argent comme un faux dieu peut fasciner et attiser la convoitise tout en aveuglant sur l’injustice et les inévitables inégalités dans la répartition des richesses. Il peut devenir une source d’injustice et d’exploitation où l’autre perd sa dignité et n’est considéré que comme une source de profit. Il faut donc être lucide et user de l’argent pour ce qu’il doit être : un moyen au service de l’essentiel, le chemin vers le Royaume, vers la vie éternelle. L’essentiel, la grande affaire qui concerne chacun et chacune d’entre nous c’est l’épanouissement de la vie donnée par Dieu. (André Wénin, commentaires des lectures, 25e dimanche T.O. – site des Dominicains de Belgique)
Soyons de bons gestionnaires en traitant l’argent comme un moyen de servir au mieux le véritable Seigneur, lui, « qui est riche s’est fait pauvre à cause de nous, pour que nous devenions riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). Amen.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Seigneur Dieu,
tu as voulu que toute la loi de sainteté consiste à t’aimer
et à aimer son prochain :
donne-nous de garder tes commandements,
et de parvenir ainsi à la vie éternelle.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.