Prédication, 24ème dimanche du temps ordinaire

14 septembre 2025

Le symbole de l'amour

En ce dimanche de la rentrée 2025-2026, le frère Yves Bériault, O.P., nous offre un peu de l’histoire de ce symbole qu’est la croix avant d’approfondir avec nous toute sa signification aujourd’hui.

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Homélie

Vous conviendrez avec moi qu’à première vue cette fête de la Croix glorieuse est quand même paradoxale, alors que nous glorifions un instrument de supplice ! Oui, la croix est un symbole puissant et terrible à la fois. La preuve en est que les chrétiens ont mis du temps à adopter cette croix comme signe visible de leur foi en Jésus Christ.

Un peu d’histoire. La première représentation du Christ qui apparaît dans l’histoire n’a pas été celle de la croix, mais le poisson au IIe siècle. C’est qu’en grec le mot « poisson » s’écrit : IXΘYΣ, ou ichthus, et chacune des lettres grecques de ce mot forme un sigle où les initiés peuvent y lire : « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ». Un signe peu compromettant qui permettait alors aux chrétiens de se reconnaître entre eux alors qu’ils vivaient sous la menace constante de persécutions de la part des empereurs romains.

À la même époque, on retrouve dans les catacombes des fresques représentant la Dernière Cène et, plus tard au troisième siècle, Jésus sera représenté sous les traits du Bon pasteur portant une brebis sur ses épaules. Toujours pas de Christ en croix. Ce n’est qu’au IVe siècle que l’on voit apparaître la représentation de la croix pour évoquer la foi des chrétiens. Il aura donc fallu attendre plus de trois siècles avant de reconnaître dans la croix le signe visible de notre foi. Il n’était pas facile de placer cette croix au cœur même de notre foi en Jésus-Christ, scandaleux même que de mettre sa foi dans un crucifié. Pourtant, ce mystère va s’avérer incontournable pour nous jusqu’à ce jour. On ne peut échapper à la croix.

Les textes bibliques de ce jour viennent éclairer ce qui est au cœur de ce grand signe de notre foi. L’hymne aux Philippiens nous parle d’un mystère d’abaissement en Dieu, un Dieu qui se fait serviteur, qui se fait l’un de nous jusqu’au don de sa vie, jusqu’à prendre sur lui la mort elle-même.

Tandis que dans l’évangile, Jésus nous parle de cette nécessité pour lui d’être élevé à l’image de ce serpent de bronze dans notre première lecture, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.

La vénération de la croix ne vise donc pas à développer en nous une vision misérabiliste de notre condition humaine, et encore moins une glorification de la souffrance. Bien au contraire, la croix devient en Jésus le symbole de l’amour capable d’aller jusqu’au bout de lui-même, au-delà même de la souffrance. Cette croix fait office d’illustration, de symbole de notre condition humaine, elle agit comme un étendard au cœur de l’histoire du monde, un lieu d’identification, nous dévoilant ce que cela signifie d’être véritablement homme et femme sur cette terre.

Mais c’est insensé, vous allez me dire. Moi, je veux être heureux, je veux m’épanouir, connaître une vie sans problème qui dépassera même mes plus folles attentes. Bien sûr, mais la Croix sera toujours au cœur de ce mystère de nos vies. Je m’explique.

C’est que le chemin des béatitudes dont nous parle Jésus dans son évangile, ce chemin du véritable bonheur, passe par la Croix, par une vie humaine capable de se donner en vérité comme le fait le Christ, une vie qui se fait toute ouverture au bonheur et au salut des autres, une vie capable d’aller jusqu’au bout d’elle-même et que notre foi en Jésus Christ rend possible. Mais c’est une aventure exigeante qui demande beaucoup de qui veut mettre le Christ au cœur de sa vie.

Alors que j’avais 29 ans… J’avais dû subir une opération au genou. À ma troisième nuit d’hospitalisation, alors que la douleur était encore vive, l’infirmière m’informa que je n’avais plus droit à l’antidouleur, puisque j’étais censé avoir dépassé le seuil critique de la douleur. Prise de compassion devant ma souffrance, cette infirmière accepta néanmoins de faire un passe-droit et elle me dit en me remettant mon médicament : « C’est que tu n’es pas habitué à la souffrance. »

J’ai toujours été convaincu qu’une grande leçon de la vie m’avait été donnée à ce moment-là. Et cette leçon nous concerne tous alors que nous contemplons la croix du Christ.

Pour plusieurs des anciens parmi nous, dont je suis, nous venons d’un catholicisme qui a grandi dans la ouate, bien encadré, bien enrégimenté, de force ou de gré, à l’école, à l’église et en famille, où il était facile de croire. Une époque où l’on retrouvait une église, ou un couvent à tous les coins de rue ou presque. Mais les temps ont changé, et de nous sentir parfois étrangers dans notre propre société est devenu assez commun pour bien des chrétiens à travers le monde. Il nous est difficile de nous habituer à cette souffrance, à cette blessure.

L’image du Christ en croix nous parle à la fois de fragilité, de souffrance, mais aussi de courage et d’abandon entre les mains de Dieu. Quand j’entends les histoires d’horreur du Moyen-Orient, entourant l’oppression des minorités chrétiennes, pour ne parler que de celles-ci, je me demande comment nous réagirions si nous avions à subir une telle persécution? Je me souviens de ce témoignage d’un chrétien de Mosul en Iraq, ville qui était alors occupée par l’État islamique, et qui faisait le commentaire suivant au sujet de la situation des chrétiens de sa ville : « Nous sommes confiants dans le Seigneur, disait-il. Il continue de nous murmurer à l’oreille : N’aie pas peur. »

Frères et sœurs, nous croyons que le Christ en croix transfigure chacune de nos actions dans cette secrète communion des saints qui nous unit à nos frères et nos sœurs en humanité. Pas une action, pas une parole dites au nom du Christ, au nom de cette charité qui nous saisit, qui ne soient sans conséquence sur le cours des événements de ce monde.

Jésus nous invite à entrer avec lui dans ce quotidien qui se présente à nous avec son lot d’occasions de faire le bien. Il s’agit d’être bons là où Dieu nous appelle à être bons, charitables là où Dieu nous appelle à être charitables, patients, miséricordieux, assoiffés de justice, là où Dieu nous appelle, et où que cela puisse nous conduire…

La croix de Jésus Christ pour nous est le lieu par excellence du service, du don de soi jusqu’au bout, ainsi que le lieu où s’exprime le mieux l’amour de Dieu pour nous. Notre dévotion n’est pas pour l’instrument de supplice, ce serait obscène, mais pour celui qui se tient debout dessus, vainqueur. C’est pourquoi nous la disons glorieuse cette croix de Jésus, car par elle, nous sommes guéris et sauvés, et ceux et celles qui acceptent de prier devant cette croix sont pour toujours transformés.

C’est pourquoi, lors de la célébration du Vendredi saint, nous nous approchons de la croix afin de la toucher, de l’embrasser, et de signifier ainsi combien ce sacrifice du Christ compte pour nous, puisque c’est là que s’exprime le mieux le grand mystère de notre foi en Jésus Christ, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens ». Amen.

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu as voulu qu’en acceptant la croix,
ton Fils unique sauve l’humanité ;
nous t’en prions :
fais qu’ayant connu dès ici-bas ce mystère,
nous obtenions au ciel les fruits de la rédemption.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.