Homélie, dimanche, 4e semaine du Carême

10 mars 2024

Espérer et collaborer

En ce dimanche, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous invite à combattre le pessimisme que nous inspirent les tragédies et les maux de notre monde en nous raccrochant à l’amour du Père, aux promesses du Fils et à la force du Saint-Esprit.

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Homélie

Je lisais dernièrement, dans une revue française, que bien des catholiques de France jettent un regard pessimiste sur leur Église et leur société. Le déclin marqué de l’Église catholique en Europe les affecte beaucoup. Et puis la marée des immigrants et des réfugiés, le réchauffement climatique et la crise agricole les amènent à prévoir des perturbations sociales désastreuses au cours des prochaines années. Et s’ils se permettent de regarder au-delà de leurs frontières géographiques, ils ont le sentiment de vivre dans un monde pourri et inhumain. Il est vrai que ce qui se passe depuis des mois, dans la bande de Gaza et en Ukraine, a de quoi alimenter leur désolation et leur pessimisme. Ils réagissent donc comme si nous étions plongés dans un monde où les forces du mal l’emportent ouvertement sur les forces du bien.

Mais une telle attitude de la part de catholiques est-elle normale, acceptable ? Le pessimisme profond qu’ils expriment est-il justifiable ? Ces questions de pertinence se posent d’autant plus que les catholiques – en particulier à l’occasion des célébrations eucharistiques – proclament régulièrement que Dieu aime le monde et qu’il y est toujours présent et actif. À ce propos d’ailleurs, nous venons tout juste de lire dans le texte évangélique que « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Mais cette conviction de foi ne semble pas trouver l’accueil souhaité. La raison, c’est que l’écart qui existe entre la promesse de salut offerte par Dieu et la réalité souvent tragique dans laquelle les gens sont plongés est trop prononcé. Cet écart constitue une véritable épreuve pour la foi. Dans les consciences inquiètes de ces personnes, le doute se manifeste clairement fasse à la capacité de Dieu d’agir sur les événements qui marquent l’histoire du monde. Ces personnes se demandent en effet pourquoi Dieu laisse se déployer autant d’œuvres de ténèbres dans notre univers humain. Ne pourrait-il pas réduire les capacités néfastes des porteurs de haine et de mort que l’on rencontre dans toutes les sociétés existantes ? Ne pourrait-il pas transformer, de l’intérieur, les cœurs des êtres humains, cœurs capables d’amour et de partage bien sûr, mais en même temps capables d’égoïsme, d’injustice et d’exploitation des autres ? N’était-ce pas là une promesse déjà exprimée par le prophète Ézéchiel : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair »? (Ez 36,26)

Il faut le reconnaître, une portion importante des catholiques rêvent d’un monde bien meilleur que celui que nous connaissons. Ils sont déçus face à ce qu’ils observent. En même temps, ils reconnaissent que les changements qu’ils voudraient voir prendre forme se situent au-delà des capacités humaines. Ils savent bien que le « modèle de rechange » inspiré du marxisme n’a pas engendré, que ce soit en Russie, en Chine ou à Cuba, des paradis terrestres. Trop souvent la poursuite d’un salut uniquement immanent, historique, s’est soldée par la mise en place de régimes de terreur. Face à ce constat, bien des catholiques, dans leur impatience de voir les promesses de salut se réaliser dans le temps présent, en viennent à accuser Dieu, à lui reprocher de ne pas être efficace.

En réagissant comme ils le font, ils ne respectent pas vraiment la proposition de salut faite par le Christ Jésus. En effet, Jésus n’a jamais promis un monde idéal sur terre, un paradis où seraient absents tout mépris, toute injustice et toute violence. En outre, Jésus a clairement indiqué que le salut que le Père voulait offrir à l’humanité débordait le temps présent. Ce salut aurait une ampleur et une profondeur quasi inimaginables du fait qu’il s’achèverait dans le partage de la vie intime de Dieu pour l’éternité.

C’est dire qu’il nous faut apprendre à espérer en tenant pleinement compte de ce que le Christ Jésus nous a révélé. C’est l’amour de Dieu et du prochain qui doivent devenir, au cœur de ce monde souvent décevant, nos guides. En tant que disciples de Jésus, nous sommes invités, dans la foi, à nous en remettre à l’amour de Dieu, et ce, en collaborant avec lui pour que son Règne devienne palpable. Car cet amour est la force de vie qui unit au lieu de diviser, qui guérit au lieu de blesser. Croire que Dieu nous aime, croire que c’est par sa grâce que nous sommes sauvés, c’est là la source de notre espérance, la lumière sur notre route. Mais nous devons nous rappeler cette parole de Paul Claudel : « Nous ne sommes pas chrétiens parce que nous aimons Dieu, mais parce que croyons que Dieu nous aime ». C’est en nous accrochant à cet amour de Dieu qu’il nous sera possible de ne pas sombrer dans un pessimisme sombre face aux forces du mal qui nous secouent. C’est Dieu, au fond, qui s’est engagé à vaincre le mal et la mort au sein de notre monde. Grâce à son fils et à l’Esprit Saint, le Père redonne présentement, de manière discrète, une vie nouvelle à notre monde. Sachons reconnaître que nous avons sous les yeux, régulièrement, des situations et des événements qui sont marqués par les forces de l’amour. On y rencontre de la lumière au lieu des ténèbres, de la bienveillance au lieu de la haine, de l’espérance au lieu du découragement. Cela se vérifie autant dans les familles, les institutions sociales que dans l’Église et les gouvernements.

Que la tentation du pessimisme soit présente face à ce qui se déroule dans nos sociétés, c’est quasi inévitable. Car les nuits d’épreuves et de découragements ne disparaîtront pas comme par enchantement. C’est pour cette raison que nous sommes invités, dans la foi, à revenir régulièrement à la parole de Jésus : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». (Jn 3, 16)

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
Dieu, par ton Verbe incarné,
tu as merveilleusement réconcilié avec toi le genre humain ;
accorde au peuple chrétien de se hâter
avec un amour généreux et une foi ardente
au-devant des fêtes pascales qui approchent.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.