17 avril 2025
Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous?
En ce Jeudi saint, le frère André Descôteaux, O.P., nous fait méditer sur la signification profonde et actuelle de la Cène et de la Crucifixion en nous rappelant la question de Jésus, telle un mantra : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »

LIVRE DE L’EXODE (12, 1-8.11-14)
En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger.
« Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères.
« Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
« Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (11, 23-26)
Moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN (13, 1-15)
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Homélie
En quelques mois, j’ai l’impression que notre monde est cassé. Notre voisin a renversé l’ordre qui s’est construit depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous n’entendons parler que de guerre commerciale, de rapports de force ou encore de menaces ou de représailles. Les grands de ce monde jouent du muscle. Ils l’ont toujours fait, mais, petit à petit, un ordre international régulé prenait forme en se fondant sur de multiples institutions internationales comme l’ONU. Mais, la boîte de Pandore a été ouverte. Qui mettra de l’ordre dans ces affrontements qui se dessinent? Où cela nous entraînera-t-il? Qu’adviendra-t-il de la paix quand c’est la loi du plus fort, du plus cruel qui domine? Ici, au pays, nous sommes si inquiets qu’un parti à qui l’on prévoyait une véritable raclée électorale sera, selon les sondages, réélu avec une forte majorité! Je ne suis pas naïf. Je sais bien qu’il y a toujours eu des forts, des intérêts à défendre ou à promouvoir, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui les masques sont tombés. Le devant de la scène est occupé par les puissants, par les milliardaires et par les violents, comme jamais auparavant.
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Comprenons-nous ce que fait celui que nous appelons « Maître » et « Seigneur »? Après avoir déposé son vêtement, Jésus lave les pieds de ses apôtres comme le dernier des esclaves. Celui à qui le Père a tout remis entre ses mains, qui est sorti de Dieu et qui s’en va vers lui, s’agenouille devant l’être humain, sa créature! Alors que nous devrions trembler devant lui, c’est lui qui se dépouille et se met à notre service pour nous conduire jusqu’à son Père.
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Rappelez-vous ces paroles de Jésus à ses disciples que nous avons entendues dimanche dernier : « Les rois des nations commandent en maître. Pour vous, rien de tel! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus petit! Quel est le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est à table? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». Il déposa son vêtement et lava les pieds de ses disciples.
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Un agneau. Qu’est-ce qu’un agneau? Qu’est-ce qu’un agneau pour libérer un peuple? N’y a-t-il pas des animaux plus nobles, plus puissants? Ce ne sont pas des agneaux qui ont fait trembler Rome, mais des éléphants qu’Hannibal a fait passer par les Alpes, au IIIe siècle. Et pourtant, le Seigneur insiste. Ce sera un agneau qui devra être mangé à la hâte. Un agneau dont le sang devra être répandu sur les maisons pour que les Hébreux ne soient pas atteints par le fléau dont seront frappés les Égyptiens. Un agneau qu’on mangera de génération en génération en mémoire de l’action libératrice de Dieu.
Cet agneau annonce le véritable agneau, l’Agneau de Dieu, qui sera conduit à l’abattoir, l’agneau qui nous libèrera de la mort. Son sang ne sera pas répandu sur les linteaux des portes, mais sur une croix. Il est le juste condamné, victime d’une terrible machination.
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Un peu de pain, un peu de vin. Qu’y a-t-il de plus ordinaire sur une table que le pain et le vin? Et pourtant c’est par eux que Jésus donnera, pour tous ceux et toutes celles qui croiront en lui, un sens à sa passion et à sa mort qui s’annoncent. Oui, il sera ce pain rompu pour la vie du monde. Il sera ce vin partagé devenant son sang versé pour la multitude. « Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Dans le contexte qui est le nôtre, quel impact peut bien avoir un maître qui lave les pieds de ses amis? Quel impact peut bien avoir un agneau? Quel impact peuvent bien avoir un peu de pain rompu et une coupe de vin partagée? Qu’est-ce que cela face aux puissances de ce monde?
Je pourrais être découragé et sombrer dans le désespoir. Et pourtant, je rêve toujours, même à mon âge, d’un autre monde. Je rêve d’un monde de paix et de justice, un monde où les enfants ne mourront pas bombardés. Je rêve d’un monde sans violence, où les femmes sont respectées. Je rêve même d’une planète où tous les êtres vivants auront leur place du plus petit insecte aux grands mammifères marins. Je rêve d’un monde de vie et, quitte à paraître fleur bleue, je rêve d’un monde d’amour. Et, ultimement, je rêve que ma mort soit un passage vers un monde inimaginable de bonheur, de paix et d’amour.
Je rêve encore parce que justement Jésus a lavé les pieds de ses apôtres, parce qu’il s’est laissé conduire à la mort comme un agneau et qu’il s’est donné comme un bon pain rompu.
Nous savons tous que les chemins du monde mènent à une impasse, à toujours plus de désordres et de destructions. La violence, l’oppression, la haine ne peuvent que conduire à plus de haine, plus d’oppression et plus de violence. Il n’y a que l’amour pour venir à bout de ce cercle mortifère. Il n’y a que les béatitudes qui peuvent permettre à l’humanité de repartir sur un chemin de vie. Heureux les pauvres! Heureux les artisans de paix! Heureux ceux et celles qui ont faim et soif de la justice! Heureux les cœurs purs!
Seul le Christ, le Fils bien-aimé, a pu ouvrir un chemin vers ce monde nouveau auquel j’aspire, auquel vous aspirez. Par son amour, par son pardon donné, par son Esprit répandu du haut de sa croix, par son cœur transpercé, le monde avec sa violence est vaincu, même s’il nous faut souffrir encore. Le mal est tué à sa racine.
Jésus passe de ce monde voué à la mort à son Père non pour nous y laisser, mais pour nous amener avec lui vers son Dieu et notre Dieu, vers son Père et notre Père. Son chemin de croix devient chemin de vie, parce que chemin d’amour et parce que Dieu est Dieu. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle! » Voilà la merveille de notre Dieu. « La force des chevaux n’est pas ce qu’il aime, ni la vigueur des guerriers, ce qui lui plaît ; mais le Seigneur se plaît avec ceux qui espèrent son amour » (Ps. 147).
Voilà pourquoi, reprenant la pratique des toutes premières communautés chrétiennes, ce soir, nous romprons le pain et partagerons le vin en signe de la mort et de la résurrection du Seigneur dans l’attente de son retour. Voilà pourquoi, nous nous laverons les pieds, car, nous voulons suivre Jésus sur son chemin, lui, notre Maître et notre Seigneur, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? »
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Seigneur Dieu,
tu nous appelles à célébrer la très sainte Cène où ton Fils unique,
avant de se livrer lui-même à la mort,
a remis pour toujours à son Église le sacrifice nouveau,
le repas qui est le sacrement de son amour ;
donne-nous de puiser à ce grand mystère
la charité et la vie en plénitude.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.