Homélie, dimanche, 4e semaine du Carême

30 mars 2025

Un homme avait deux fils

Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous fait remarquer que les deux frères de la parabole du jour sont plus similaires qu’il n’y paraît au premier coup d’œil et qu’ils redécouvriront tous deux la nature de leur propre père qu’ils avaient mésinterprétée.

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Homélie

« Un homme avait deux fils ». Deux fils, mais deux frères ? Dans les faits, ils semblent s’ignorer. Deux fils, mais deux fils fort différents. Le cadet veut prendre ses distances vis-à-vis de la famille. Cela peut se comprendre, mais, alors qu’il aurait pu faire fructifier l’argent reçu en vue de son avenir, il le gaspille. Il le dépense en frivolités au point de se retrouver dans la misère absolue. Le fils riche et jouisseur est devenu un misérable gardien de porcs. Il n’a que ce qu’il mérite.

Le comportement de l’aîné est complètement opposé. Sa vie n’en est pas une de plaisir, mais de service. Un service exemplaire, pleinement fidèle à son père et qui s’échelonne sur la durée de toute une vie. « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans n’avoir jamais transgressé tes ordres ! » Un fils idéal, quoi !

Deux fils complètement différents, à l’opposé l’un de l’autre, mais, si l’on y regarde de plus près, très semblables sur un point essentiel : leur rapport au père.

Dans la situation désastreuse dans laquelle le cadet se trouve, celui-ci se dit que finalement tant qu’à travailler pour un étranger il vaudrait mieux être au service de son père. Au moins, les tâches ne seraient pas aussi dégradantes et lui permettraient de survivre. Aucun regret d’avoir quitté son père, aucune marque d’affection pour lui. Il calcule. Il pèse le pour et le contre. Il ne cherche qu’à s’en sortir. Alors, il imagine un beau discours. D’ailleurs, s’il avait été franc avec son père, il aurait dû lui dire : « Père, je reviens parce que je meurs de faim, je n’en peux plus, et je préfère vivre en ouvrier, dans ta propriété, mais le ventre plein ». Mais non, il invente un discours où il reconnaît avoir mal agi et attend d’être traité en conséquence, non comme un fils, mais comme un serviteur. Il se situe dans la perspective de la rétribution. Il pense amadouer son père en reconnaissant ses torts et en acceptant au préalable une punition que, d’ailleurs, il lui suggère. Le pécheur doit être châtié. Le châtiment, dans son cas, risque d’être plus facile à supporter que sa situation présente.

L’aîné sait aussi calculer. Dans ses reproches à son père, il fait état de ses bons services et du fait qu’il n’en a jamais été récompensé. Aucune mention de la proximité avec lui, de la joie d’être resté avec lui ou encore de la tendresse et de l’amour mutuels qui auraient pu habiter leurs cœurs. Il donne l’impression de ne pas être un fils, mais le serviteur d’un homme plutôt pingre et exploiteur. Lui aussi est dans la logique du ‘donnant – donnant’. Mais ne soyons pas trop sévères avec l’aîné. Demandons-nous ‘serions-nous rentrés pour la fête, si nous avions été à sa place ?’

En somme, les deux fils, quoique très différents, semblent avoir un patron plutôt qu’un père. En tous les cas, ils raisonnent de la même manière. Tous les deux sont d’accord : la récompense pour qui agit bien, la punition pour qui agit mal. Le cadet sait que le retour ne peut se faire sans qu’une sanction s’ensuive. Quant à l’aîné, se considérant en droit d’espérer une récompense en rapport à sa fidélité, il ne comprend pas son père qui fait la fête pour célébrer le retour de l’ingrat. En passant, je suis convaincu que si l’aîné avait entendu le discours de son cadet, il aurait approuvé son raisonnement.

Après toutes ces années passées ensemble, ils vont enfin découvrir qui est celui pour qui il travaille ou souhaite travailler. Il est leur père, un père dont la motivation n’est pas le calcul, mais l’amour. Apercevant son fils de loin, signe qu’il l’attendait, il est pris de pitié, court se jeter à son cou et le couvre de baisers. Aucun calcul chez cet homme, mais un homme pris aux entrailles devant la silhouette de son fils qui se profile au loin. Il n’a pas attendu le beau petit discours de son fils pour courir l’embrasser follement et faire la fête. Il est Père !

Avez-vous remarqué qu’il ne lui dit même pas « Ton péché est pardonné, n’en parlons plus ! » ou encore « Ce n’est pas grave ! » Le père voit moins l’offense faite que ses conséquences pour son fils. « Mon fils que voilà était mort est revenu à la vie ; il était perdu, il a été retrouvé ». Autre surprise. Aucune mention des motivations du cadet. Peu importe qu’il soit revenu pour des motifs peu nobles, par calcul, poussé par la faim ; une seule chose compte pour le père : son fils est là. Il peut le ramener à la vie et le combler de la joie d’être son fils.

La filiation n’est donc pas une question de mérite, mais s’enracine dans une décision, dans une option fondamentale paternelle intangible. Tu es, tu restes mon fils, où que tu ailles, quoi que tu fasses. Le père veut que son fils vive. Il veut que son fils soit heureux au point qu’il souffre de le voir souffrir. Il se meurt de le voir mourir. Le cadet réalise qu’il a toujours été son fils même durant ses errances, qu’il a été toujours aimé même au plus loin de ses oublis.

Aux récriminations de l’aîné, le père répond seulement : « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Le père ne veut rien garder jalousement pour lui. La réaction de l’aîné doit l’avoir atteint en plein cœur : son fils ne l’a jamais compris ! Il n’est pas cet homme pingre, sévère et peu reconnaissant qu’il s’est imaginé. Il est père. Il faut festoyer. Il faut dépasser la logique de la rétribution, la logique du calcul froid. Le père invite l’aîné à entrer dans une autre logique, celle d’un père pour qui l’important est le retour à la vie de son enfant. Mais encore une fois, il ne force pas la main. Il est prêt à attendre.

Tel est ce Dieu que nous appelons Père et qui veut que nous l’appelions ainsi. Nous voyons bien qu’il est père au-delà de tout ce que nous pouvons nous imaginer d’un père humain.

Je m’en voudrais de conclure sans évoquer la figure de notre frère aîné, le Christ Jésus. Alors que l’aîné de la parabole ne comprend pas l’attitude de son père et se refuse à serrer dans ses bras son frère retrouvé, le Christ, lui, au contraire, prend la route pour nous retrouver dans notre misère. Saint Paul dans la deuxième lecture affirme qu’il s’est identifié à notre péché pour faire de nous des justes. Alors que nous croupissions dans les ténèbres du mal et de la mort, il nous y rejoint, lui, le juste entre les justes, pour nous prendre avec lui et nous conduire à la maison du Père. Là nous goûterons à la joie d’être fils et filles du Père.

Quels que soient les aléas de nos vies, que cette parabole soit inscrite au plus profond de nos cœurs comme l’évoque le poète Charles Péguy :

Un homme avait deux fils. De toutes les paroles de Dieu, c’est celle qui a éveillé l’écho le plus profond.
C’est la seule que le pécheur n’a jamais fait taire dans son cœur.
Et si loin qu’aille l’homme, cet homme qui se perd, en quelque pays, en quelque obscurité, loin du foyer, loin du cœur, et quelles que soient les ténèbres où il s’enfonce, les ténèbres qui voilent ses yeux, toujours une lueur veille, toujours une flamme veille, un point de flamme. Toujours une lumière veille qui ne sera jamais mise sous le boisseau. Toujours une lampe. Un homme avait deux fils.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu, par ton Verbe incarné,
tu as merveilleusement réconcilié avec toi le genre humain ;
accorde au peuple chrétien de se hâter avec un amour généreux
et une foi ardente au-devant des fêtes pascales qui approchent.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.