Homélie, dimanche, 4e semaine du Carême

30 mars 2025

Filiation et fraternité

En ce quatrième dimanche du Carême, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous montre comment Jésus, par la parabole du fils prodigue (et de son frère fidèle), invite les différents groupes sociaux de son époque (et nous aussi !) à redécouvrir leur relation au Dieu-Père et, donc, la fraternité qui devrait les unir.

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Homélie

Cette parabole du père et des deux fils est très connue et elle demeure non seulement touchante mais provocante. Plusieurs œuvres l’ont mise en scène. On pense à cette peinture célèbre de Rembrandt, si forte et profonde, où l’on voit le fils cadet à genoux, en guenilles, brisé, mais accueilli par un père qui rayonne la miséricorde ; et d’autres personnages autour, qui regardent. Un père qui a une main masculine et une main féminine, un père-mère, ce qui dit bien qu’il s’agit d’une figure de l’amour de Dieu, mystérieux, nous dépassant et portant le meilleur de notre propre expérience humaine.

Cette parabole parle de la joie de retrouver ce qui est perdu. Comme les deux qui la précèdent (la brebis et la pièce d’argent perdues). Réjouissez-vous, festoyons, cela court dans le chapitre 15 de Luc, comme un refrain qui en dit l’essentiel. Nous pouvons comprendre cet appel à la réjouissance. Pour ma part, ce que je perds souvent, et en des lieux parfois surprenants, ce sont mes lunettes ! et je suis heureux de les retrouver. On peut perdre bien des choses, des liens aussi, et même son temps. Et quand ils nous reviennent ou nous les retrouvons, quelle joie nous habite. Cette joie nous dit quelque chose de celle qui habite au cœur du Dieu vivant.

Le Dieu vivant, justement : cette parabole nous invite à le voir autrement, à le redécouvrir, ou à le trouver, car lui aussi, pour nous, peut être perdu et retrouvé. Les deux fils, chacun à leur manière, au fond, sont appelés à découvrir ce père qu’ils ont perdu ou qu’ils n’ont jamais trouvé. Car ces deux fils, chacun à leur manière, sont à distance de ce père.

Certes, le fils aîné est du type bon gars, loyal, qui est toujours resté à la maison, fidèle au service. Et le cadet revient finalement à la maison, plein de repentir. Mais l’aîné est bougonneux face au retour de son frère et il récrimine contre son père. L’aîné entendra-t-il l’appel de son père à entrer dans la fête ? La parabole ne finit pas, elle reste ouverte. Et le fils cadet, qui a tout gaspillé, pourquoi revient-il ? Pour se remplir le ventre et trouver une job. Il est reçu comme un fils par son père, qui lui donne bague et sandales, les signes du fils qui n’est pas serviteur. Mais le cadet comprendra-t-il ce qui lui arrive, qu’il est un fils ? Les deux fils ont chacun un chemin à poursuivre.

Ces deux fils sont bien différents : l’un à la maison, l’autre sur la route ; l’un qui ménage, l’autre qui dépense. Mais, malgré les apparences, ils ont beaucoup en commun. Les deux ont à découvrir leur filiation, le sens de la relation filiale ; ce qui dans toute expérience spirituelle, aujourd’hui comme hier, demeure une question cruciale. Le contexte de la parabole, au début, le dit bien (v.1-2). Il montre des publicains et des pécheurs, des gens qui se croient loin de Dieu, enfermés en eux-mêmes et dans leurs fautes ; et il montre des pharisiens et des scribes, des gens qui se croient proches de Dieu, mais enfermés en eux-mêmes et dans leurs codes.

La venue de Jésus invite les deux à découvrir qu’ils sont fils et filles et donc frères et sœurs. Et ainsi à manger et fêter ensemble. Dieu n’est pas celui ou celle que vous pensez. Alors, cela veut dire que vous-même n’êtes pas qui vous pensez être.

Revenons aux deux fils. Ils ont en commun, chacun à leur manière, de voir leur père non comme un père mais comme un patron. Pour l’aîné, un patron qui lui donne des ordres (v.29) ; pour le cadet, qui va lui donner une job (v.19). Ni l’un ni l’autre n’est dans une relation filiale. Il semble que quelque chose ne s’est pas développé, à cause de leur éducation ou pour d’autres raisons : blocages, conformismes, spiritualité fausse ou faussée, car cela peut avoir cet effet. Les deux fils n’ont pas trouvé que cette figure était un père, source de vie, et donc qu’ils étaient des fils et en même temps frères.

Dans la parabole, en contraste, c’est intéressant de noter comment le père agit face à chacun des fils. Dans les deux cas, il sort pour aller vers l’un et l’autre (v.20.28). Il ne se comporte pas comme un patron, un chef, face à des employés, ou comme un parent absent, indifférent. Toi, mon enfant, dit-il à l’aîné, et il le supplie, il ne lui donne pas des ordres. Et face au retour du cadet, il se réjouit, il s’empresse vers lui et l’accueille comme un fils, non comme un employé.

Opposition forte et très parlante entre l’image que les fils ont du père et la réalité même du père dans le récit. Il y a un fossé qui nous parle d’un enjeu, celui de trouver ce qui était perdu ou ce qui n’a jamais réussi à se construire : une vraie relation filiale avec le Dieu vivant. Une relation avec Quelqu’un, non pas avec une force vague et impersonnelle, ni une sorte d’immense sur-moi auquel obéir, mais Quelqu’un qui est source de vie, qui est mystère de joie et qui va vers ses enfants, les attend, les invite. Et qui ne peut rien faire de plus que de leur offrir une relation créatrice, libératrice, sans fardeau qui écrase. Et du coup, cela permet d’entrevoir que moi-même et l’autre sommes alors frères, sœurs : ton fils que voilà, dit l’aîné (v.30) ; ton frère que voilà, dit le père (v.32). Tout est là dans ce passage.

Nous sommes présents dans ce récit, dans l’une et/ou l’autre de ces figures, de leur mouvement, de leurs réactions. En ce temps de carême et de réconciliation, nous sommes invités à entrer à nouveau sur un long chemin, ce voyage sans cesse à reprendre pour retrouver le visage du Dieu vivant, retrouver notre filiation et ainsi notre fraternité, et nous en réjouir.

Rendons grâce au Dieu vivant, pour ces retrouvailles de toutes sortes. Rendons grâce avec et en Celui qui nous rapproche autour de la table et nous invite à fêter ensemble, dans la communion à son Corps. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu, par ton Verbe incarné,
tu as merveilleusement réconcilié avec toi le genre humain ;
accorde au peuple chrétien de se hâter avec un amour généreux
et une foi ardente au-devant des fêtes pascales qui approchent.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.