27 février 2025
Faire des pieds et des mains
Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous invite à considérer l’importance du respect et de la délicatesse pour aider chacun et chacune dans son cheminement spirituel, surtout lorsqu’il s’agit de potentiels nouveaux venus dans la foi.

LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE (5, 1-8)
Ne t’appuie pas sur tes richesses, ne dis pas : « Elles me suffisent. » Ne te laisse pas entraîner par ton instinct et ta force à suivre les désirs de ton cœur. Ne dis pas : « Qui m’en imposera ? », car le Seigneur ne manquerait pas de te châtier. Ne dis pas : « J’ai péché, et rien ne m’est arrivé », car le Seigneur sait attendre longtemps. Ne sois pas assuré du pardon au point d’entasser péché sur péché. Ne dis pas : « Sa miséricorde est grande, il pardonnera bien tous mes péchés », car, en lui, il y a pitié mais aussi colère ; son indignation s’abattra sur les pécheurs.
Ne tarde pas à te retourner vers le Seigneur, ne remets pas ta décision de jour en jour ; car brusquement éclatera la colère du Seigneur, et à l’heure du châtiment, tu seras anéanti. Ne t’appuie pas sur des richesses injustement acquises : elles ne te serviront de rien au jour de l’adversité.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (9, 41-50)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
Chacun sera salé au feu. C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre de la saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes, et vivez en paix entre vous. »
Homélie
La part de fragilité et de vulnérabilité que nous portons tous nous enseigne à compter sur la miséricorde de Dieu et aussi à respecter les personnes de notre entourage qui vivent ces mêmes limites. Cette vérité profonde de notre être n’est pas toujours en évidence.
Ainsi, l’évangile d’aujourd’hui reconnaît que dans une communauté chrétienne, tout le monde n’est pas dans la même situation. Il y a des membres qui sont en position de force et qui ont un rôle défini au sein de la communauté. Il y a aussi « les petits », ceux qui risquent de trébucher, d’être victimes des gens qui détiennent une autorité, les « leaders ». À l’écoute de cet évangile, nous pensons spontanément aux abus dans l’Église, mais l’évangile ne parle pas d’abus, ni même de péché. Pourtant, la matière est assez grave pour que Jésus affirme à propos de celui qui est occasion de chute ou de scandale : « mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules, et qu’on le jette à la mer ». De quelle nuisance s’agit-il ?
Les « petits » dont il est question ne sont pas à assimiler à des enfants. Au plan de la foi, nous sommes tous en croissance, mais ces « petits » seraient des nouveaux-venus à la foi, des gens en provenance du paganisme, des « convertis ». Ils n’auraient pas encore la maturité spirituelle pour comprendre, par exemple, la liberté de et qui ne verrait aucun mal à manger la viande qui avait été offerte aux idoles. Même s’il n’y a là objectivement aucun péché, saint Paul, dans une lettre aux Corinthiens recommande de s’en abstenir si cette pratique devait nuire à un de ces néophytes. La charité doit primer.
Marc insiste sur cette nécessité. Il faut tout faire pour éviter d’être la cause de la chute d’un de ces « petits ». Notre responsabilité est engagée. Personne n’aura à s’arracher l’œil ou la main, mais c’est une manière de dire qu’il faut consentir à tous les sacrifices pour protéger le cheminement de ceux et celles qui pourraient être troublés par une pratique ou une autre, répréhensible ou non. Nous sommes en dehors du cadre permis-défendu. C’est de la délicatesse de la charité dont il s’agit ici, ou d’une foi attentionnée, soucieuse du progrès de tous les membres de la communauté. Nous sommes collectivement engagés au salut de tous. La moindre contribution, même un verre d’eau vaut son pesant d’or. Mais à défaut d’avoir cette charité élémentaire, les croyants et croyantes doivent au moins s’abstenir de devenir un obstacle sur le parcours de foi des autres, spécialement les plus vulnérables. Nous sommes pèlerins d’espérance. Nous marchons ensemble, avec le souci de ne laisser personne à distance.
L’Évangile réprouve tout acte de violence ou d’abus qui atteindrait une personne humaine, surtout en situation de vulnérabilité, qu’elle soit membre de la communauté chrétienne ou non. Mais le passage de notre évangile exige quelque chose de l’ordre de la considération, du respect, de la délicatesse : une intelligence du cœur qui va au-delà de ce que la règle commanderait, un esprit de finesse capable de prévenir des conséquences fâcheuses pour un membre dont le jugement ne serait pas encore bien avisé. Les membres de la communauté sont invités à être vigilants, prévenants les uns pour les autres. La communion fraternelle est en jeu.
Le contraire de cette attitude ressemblerait à de l’orgueil, de l’arrogance. Ce serait l’affirmation d’un individualisme de qui se situe strictement en rapport avec son droit, ses privilèges, sans égard pour le retentissement de son action sur les autres membres : quelqu’un qui s’enferme dans le « je ne fais rien de mal » en se dispensant de ce que la charité ordonnerait.
Les « petits » sont certes appelés à grandir. Mais dans la communauté chrétienne, il importe de les prendre là où ils en sont dans leur cheminement, et surtout de ne pas l’entraver par une pratique qui pourrait être déstabilisante. Tout n’est pas toujours opportun.
Les personnes en situation d’autorité ou de leadership portent une responsabilité plus grande parce que leurs actions sont susceptibles d’un retentissement plus important. Elles ont pour rôle d’édifier la communauté, de s’assurer que chaque membre sera bien respecté dans son cheminement. Cette attitude est bien sûr recommandée pour l’ensemble : nous sommes frères et sœurs, engagés sur un même chemin de foi, nous sommes tous responsables les uns des autres. C’est ainsi que le pas des « petits » sera affermi et que la croissance de toute la communauté sera assurée. L’Évangile nous demande de faire des pieds et des mains pour y parvenir.
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
tu as donné à saint Grégoire,
maître de doctrine et honneur du peuple arménien,
la grâce d’enseigner la vie mystique ;
accorde-nous d’apprendre à son école l’art de parler avec toi
et d’éclairer sans cesse notre vie par les sacrements de l’Église.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.