Homélie, dimanche de la 7ème semaine du Temps ordinaire

23 février 2025

Un monde de miséricorde

En ce dimanche, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous explique comment appliquer sainement l’amour de nos ennemis et nous invite à orienter notre état d’esprit vers la miséricorde et la bonté du Père.

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Homélie

En cette année jubilaire, où nous sommes des pèlerins de l’espérance, en ces jours chargés de tensions et de soucis, pour le pape François et pour notre pays, et aussi en ces rues plus chargées que d’habitudes, nous sommes appelés par Jésus à faire un pas en avant, à avancer dans l’amour du prochain, particulièrement celui qui est lointain, loin de nous.

Jésus s’adresse à ses disciples, qui le suivent sur son chemin déroutant. Il leur a parlé des heureux et des malheureux. Maintenant, dans la même ligne, il les invite, par deux fois (il insiste), à aimer leurs ennemis. Ce qui est un paradoxe, puisqu’ils sont nos ennemis, et c’est aussi tout un défi! Qui sont ces ennemis? Jésus en donne certains traits : ceux qui vous haïssent, qui vous maudissent, qui vous calomnient, qui vous frappent sur la joue, qui prennent votre manteau. On pourrait continuer et enrichir cette description. Mais pourquoi et comment les aimer?

Quand on parle d’aimer, on pense souvent à une émotion à éprouver, un sentiment qui nous habite. Mais ce n’est pas ici ce dont il s’agit. Il ne s’agit pas d’avoir de l’affection pour des gens qui nous font mal. Ce n’est ni possible, ni humain. Mais plutôt de leur faire et de leur souhaiter du bien, de réagir par une sorte de respect, qui garde ses distances mais reste enligné sur une bien-veillance ou bien-faisance. Cela relève de l’attitude et de l’agir.

Ce n’est pas toujours possible. Dans sa lutte politique pour l’indépendance de son pays, le Mahatma Gandhi a choisi la non-violence, s’inspirant d’ailleurs de l’esprit des béatitudes. Pour lui, cette approche consistait à faire appel à la conscience de l’autre; c’est ainsi qu’elle pouvait être efficace. Mais en certains cas, quand cette conscience semble tout-à-fait endormie ou effacée, une autre sorte de résistance est nécessaire. Lors de la 2ème guerre mondiale, la philosophe et militante juive Simone Weil, pacifiste et disciple de Gandhi, a décidé, devant l’offensive nazie, de joindre les forces de la résistance française à Londres.

Jésus lui-même nous donne l’exemple d’une approche non-violente mais résistante devant le mal qu’on lui fait. Lors de son procès, quand un soldat le frappe, Jésus lui répond (Jn 18, 22-23) : Si j’ai mal parlé, montre en quoi; si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? Face à cet acte de violence contre lui, il invite le soldat à penser à ses actes, il l’interroge sur ses motifs. Voici quelqu’un qui se tient, avec dignité. Voici l’homme, dira Pilate un peu plus loin (Jn 19, 5). Voici le nouvel Adam, l’homme nouveau, dit Paul dans la 2e lecture.

Cet appel de Jésus à l’amour des ennemis a des fondements. Il fait référence ici à la Règle d’or : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent. Mais Jésus la modifie en l’exprimant de façon positive : Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Il invite aussi à ne pas nous en tenir à la logique du donnant-donnant, qui nous restreint dans nos relations et peut nous enfermer dans un univers strict de calculs, où la gratuité de la vie, du don de soi et de l’accueil des autres est évacuée. Sa finale d’ailleurs nous fait entrer dans un monde de générosité.

Le fondement ultime de tout cela, sa source vive, n’est pas une Loi ou un grand Principe, mais Quelqu’un, le Dieu vivant, qui est un Père miséricordieux, un Père de compassion. C’est un visage aimant et universel, bon envers tout être humain, incluant les méchants et les ingrats. Sa perfection, c’est sa miséricorde, que Jésus nous invite à imiter parce que nous sommes ses enfants, fils et filles du Très-Haut. C’est là une vision de Dieu, de l’être humain et de l’univers, qui est large, généreuse, et non étroite et mesquine. Elle nous dépasse un peu, elle nous met au défi, mais elle offre un horizon de sens, où il vaut la peine de vivre, en donnant et pardonnant. Comme le fait David qui épargne Saül, dans la 1ère lecture.

Dimanche dernier, dans le cadre du Jubilé des artistes à Rome, le pape François a transmis un message : À quoi sert l’art dans un monde blessé? Ce qu’il dit aux artistes, qu’il appelle les gardiens de la beauté, peut s’appliquer à nous, dans nos vies quotidiennes, et dans la ligne de l’évangile d’aujourd’hui : « Je vois en vous des gardiens des Béatitudes ! Nous vivons à une époque où de nouveaux murs se dressent, où les différences deviennent un prétexte pour la division plutôt qu’une occasion d’enrichissement mutuel. Mais vous, hommes et femmes de culture, vous êtes appelés à construire des ponts, à créer des espaces de rencontre et de dialogue, à éclairer les esprits et à réchauffer les cœurs. » Et il ajoute : « Éduquer à la beauté, c’est éduquer à l’espérance. »

Cette fin de semaine-ci, à Rome, c’est le Jubilé des diacres. Je ne sais pas si nous aurons un message du pape! Mais portons dans notre prière ces 50,000 hommes (pour l’instant, contrairement aux premiers siècles), au service de la communion et de la mission de l’Église.

En cette eucharistie, rendons-grâce pour la miséricorde, que nous recevons et qui nous recrée, qui nous est donnée pour que nous la transmettions, avec générosité, à la suite de Jésus, le Fils du Très-Haut et l’Adam nouveau, qui nous entraine dans son amour et se fait proche de nous dans la Parole et le Pain de vie. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu tout-puissant, nous t’en prions :
accorde-nous de conformer à ta volonté
nos paroles et nos actes
dans une inlassable recherche des biens spirituels.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.