Homélie, dimanche de la 6ème semaine du Temps ordinaire

16 février 2025

La joie des béatitudes

En ce dimanche, le frère Yves Bériault, O.P., nous donne de très belles clés de lecture pour mieux ressentir toute la beauté des Béatitudes et l’amour qui les traverse, à nous qui cherchons le chemin du bonheur.

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Homélie

Il y a quelques jours, j’écoutais la très belle chanson de Christophe Maé : Il est où le bonheur ? Quelle belle introduction que cette chanson pour mieux comprendre le sens des béatitudes que Jésus nous fait entendre aujourd’hui. Ces béatitudes nous parlent effectivement de bonheur, d’un bonheur profond et durable.

Le prophète Jérémie, dans la première lecture, compare ce bonheur à un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert ; l’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit. Quelle belle image du bonheur que celle d’un arbre verdoyant planté près d’un ruisseau.

Pourtant, vous me direz que le message de l’Évangile semble aujourd’hui contredire cette belle image bucolique où tout n’est que calme, luxe et volupté, pour reprendre les mots du poète Baudelaire. Heureux êtes-vous si vous êtes pauvres, si vous avez faim, si vous pleurez, si vous êtes haïs, exclus et persécutés. Quelle joie ! Qui veut de ce bonheur-là ?

Les béatitudes sont l’un des textes les plus commentés des évangiles. Si l’on inclut les béatitudes chez l’évangéliste Mathieu, il s’agit de huit paroles de Jésus qu’il incarnera tout au long de sa vie et qui sont des chemins de bonheur menant à la fois vers Dieu et vers le prochain.

Pour bien les comprendre, il faut savoir que les béatitudes s’adressent à ceux et celles qui suivent déjà le Christ et qui sont marqués par son esprit. Ainsi, quand il est question d’être pauvre, Jésus fait référence aux anawim, ce terme hébreu qui désigne les humbles, les pauvres et les opprimés de l’Ancien Testament, et dont la seule richesse était de s’en remettre complètement à Dieu, dans l’attente du Messie. Heureux ces pauvres ! Nous dit Jésus.

Cette même pauvreté nous donne aussi d’avoir faim de Dieu, faim de sa Parole, faim de l’Eucharistie, faim de tout ce qui peut nourrir en nous cette vie nouvelle que la foi en Jésus Christ a déposée en nous. En effet, la foi en Christ ne se limite pas à une croyance intellectuelle, mais implique une union spirituelle profonde avec lui. La transformation intérieure du croyant devient un reflet de la vie de Christ en lui et dépose en lui une faim et une soif, qui se fait à la fois recherche de Dieu et recherche du prochain, qui donne faim et soif de justice, de vérité. Heureux ceux et celles qui sont habités par cette faim, nous dit Jésus !

On peut tout à fait appliquer à Jésus-Christ les Béatitudes : lui, le pauvre qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui est mort dans le dénuement et l’abandon ; lui qui a pleuré le deuil de son ami Lazare ; et qui a connu l’angoisse du Jardin des Oliviers ; lui qui a pleuré sur le malheur de Jérusalem ; lui qui a eu faim et soif, au désert et jusque sur la croix ; lui qui a été méprisé, calomnié, persécuté, mis à mort. (Marie-Noël Thabut)

Je me souviens de ce vieux moine trappiste. C’est lui qui sonnait la cloche du monastère d’Oka où j’avais passé un mois avec les moines. C’est lui qui sonnait la cloche pour appeler ses frères à la prière. Il me paraissait très âgé, tout courbé par les années. À l’occasion de la fête du dominicain saint Thomas d’Aquin, le père abbé m’avait demandé de prêcher. J’avais alors commencé mon homélie, le sourire en coin, en rappelant à ces moines ce que saint Thomas avait dit à leur sujet et au sujet des dominicains. Il avait dit que les dominicains, qui s’appellent aussi les frères prêcheurs, étaient faits pour prêcher, et que les moines étaient faits pour pleurer ! Et ce vieux moine, que j’avais croisé près de sa cloche quelques heures plus tard, m’avait appelé à l’écart pour me dire : « Vous avez bien raison, mon père, il nous faut pleurer sur notre pauvre monde. » Il avait ainsi touché à l’esprit de la béatitude « Bienheureux ceux qui pleurent ». Car ceux et celles qui pleurent, selon les béatitudes, ne peuvent regarder leurs frères et sœurs de ce monde avec indifférence ni s’approcher d’eux sans être porteurs d’un grand amour pour eux. « Heureux les doux », nous dit Jésus, « heureux les miséricordieux », « heureux ceux qui pleurent », car vous portez avec moi mon amour pour le monde.

Il est où le bonheur ? Jésus nous ouvre le chemin du bonheur, le vrai bonheur, un bonheur durable dès maintenant, ainsi que la promesse d’un bonheur à venir, lorsque nous déposerons ultimement nos vies entre les mains de Dieu. Mais d’ici là, les béatitudes sont une invitation à agir, à nous compromettre, à donner des ailes à l’Évangile et lui faire ainsi parcourir le monde.

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.
Heureux les affligés, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils hériteront la terre.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.
Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, qu’on vous persécute et qu’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi.

Il est où le bonheur ? Il s’agit en fait d’être des saints, de laisser le visage du Christ s’imprimer en nous. C’est ce que l’écrivain catholique Georges Bernanos écrivait à ce sujet, tel que rapporté par le moine martyr Christian de Chergé : « Il y a des millions de saints dans le monde, écrivait-il, connus de Dieu seul, une espèce rustique, des saints de toute petite naissance qui n’ont qu’une goutte de sainteté dans les veines et qui ressemblent aux vrais saints, comme un chat de gouttière au chat persan ou au siamois primé dans les concours. » Si nous acceptons chacun d’être ce « chat de gouttière », il est certain que nous trouverons notre place dans l’une et l’autre de ces béatitudes qui forment le toit du monde ! (Christian de Chergé. Homélie pour la Toussaint 1976, p. 11).

Que ce soit là votre joie frères et sœurs dans le Christ !

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu as promis d’habiter les cœurs droits et sincères ;
donne-nous, par ta grâce,
de vivre de telle manière que tu puisses faire en nous ta demeure.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.