9 février 2025
Me voici : envoie-moi !
Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., adresse la frustration fréquente chez les croyants de ne pas percevoir « assez » la présence de Dieu dans leur vie ou cette impression que Dieu fait du favoritisme quand il dispense ses miracles.
![me-voici-envoie-moi](https://cedum.org/wp-content/uploads/2025/02/HOMELIES-pdf-JANVIER-2025-8.webp)
LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (6, 1-2a.3-8)
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée.
Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. »
J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (15, 1-11)
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants.
Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis.
Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (5, 1-11)
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.
Homélie
Quand nous fréquentons la bible, quand nous lisons certaines biographies de figures mystiques rattachées à la tradition chrétienne, nous rencontrons régulièrement des récits d’expériences religieuses étonnantes. Aux yeux des personnes qui les ont vécues, ces expériences ont été des manifestations fortes de la présence de Dieu dans leurs vies, car ces expériences les auraient amenés à mieux collaborer au plan de salut de Dieu. Parmi la liste des croyants et croyants qui ont vécu de telles expériences mystiques, on peut penser au prophète Isaïe. N’est-ce pas ce qu’il raconte lui-même dans la première lecture de la liturgie de ce jour (cf. Is 6, 1-8) ? Ce prophète, en l’an 740 avant notre ère, a eu une vision qui lui a fait voir la gloire incommensurable de Dieu. Et dans cette vision, un ange est venu lui purifier les lèvres avec un charbon ardent. Immédiatement après cette purification, il a entendu la voix du Seigneur qui se cherchait un porte-parole capable d’aller parler au peuple rebelle d’Israël. Isaïe, encore baigné dans la lumière de sa vision, a trouvé le courage de dire au Seigneur : « Me voici : envoie-moi ! ». Autre exemple d’une expérience religieuse bouleversante : celle qu’a vécue Saül le pharisien (le futur saint Paul) qui, sur le chemin de Damas, a été terrassé par un flot intense de lumière et a entendu la voix de Jésus ressuscité (cf. Ac 9, 3-6). De persécuteur des chrétiens, il est devenu le grand évangélisateur des païens. Nous constatons que, dans ces deux cas, Dieu s’est fait soudainement et intensément présent. De toute évidence, il a voulu leur confier des missions importantes et les faire collaborer étroitement à son plan de salut.
À la lecture de ces récits d’expérience mystique, bien des chrétiens et chrétiennes se demandent pourquoi Dieu ne semble pas vouloir accorder généreusement des expériences de cette nature aux croyants ordinaires. En effet, il faut bien le reconnaître, une majorité de baptisés disent régulièrement qu’ils n’éprouvent pas la présence de Dieu dans leur vie. Aussi ont-ils le sentiment que Dieu est trop discret et qu’il ne manifeste pas suffisamment sa présence pour stimuler leur vie spirituelle. Et là, pour justifier leur déception, ils se permettent d’affirmer que Dieu est un peu injuste puisqu’il favorise certaines personnes seulement. Ils pointent alors du doigt les privilèges dont ont profité des mystiques comme Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation. Bref, quand ils se comparent à ces figures chrétiennes remarquables, ils avouent faire bien piètre figure. Mais ont-ils raison de se plaindre ? Qu’est-ce qui est central dans une vie chrétienne ? N’est-ce pas l’amour du prochain comme signe de l’attachement au Christ Jésus ? D’ailleurs, la tradition chrétienne n’a-t-elle pas valorisé les témoignages de ces trois femmes parce qu’elles ont manifesté un amour du prochain exceptionnel ? Dans la reconnaissance de leur sainteté, les phénomènes paranormaux ne semblent pas avoir joué un rôle significatif. Ce n’est pas parce qu’il y a eu dans la vie de l’une ou l’autre de ces femmes des phénomènes tels que des extases, des lévitations, des bilocations, des capacités de lire dans l’esprit des personnes qu’elles côtoyaient qu’elles ont été proposées comme des modèles de vie chrétienne.
En d’autres mots, ce qui a été avant tout retenu dans la vie de ces trois femmes que nous venons de nommer, c’est leur charité rayonnante. Les trois ont assumé des responsabilités significatives dans la vie de l’Église. Catherine de Sienne, par exemple, a œuvré pour rétablir l’unité dans l’Église lors de la crise qui, au XIVe siècle, a vu trois papes revendiquer en même temps le siège de saint Pierre. Thérèse d’Avila, pour sa part, s’est engagée, au XVIe siècle, tant dans la réforme du Carmel que dans celle de l’Église de son milieu. Marie de l’Incarnation, une fois arrivée à Québec en 1639, a porté plus que le souci de l’éducation des jeunes filles de souche française ou canadienne. À cause même de son esprit missionnaire, elle a tenu à accueillir des jeunes filles des Premières Nations dans son école. Pour cette raison, elle s’est imposée d’apprendre quatre langues autochtones, soit le huron, l’algonquin, le montagnais et l’iroquois. En plus, elle a composé des catéchismes dans ces langues afin qu’elle-même et ses consœurs ursulines puissent bien faire connaître le Christ Jésus et son Évangile aux jeunes filles autochtones. Comme nous le constatons, chez ces trois femmes la relation amoureuse avec Dieu s’accompagnait toujours d’une compassion prononcée à l’endroit des populations dans le besoin, soit au plan humain, soit au plan spirituel. D’ailleurs, tout comme saint Paul, elles avaient bien saisi que l’amour du prochain est le signe premier d’une intimité de cœur avec Dieu (cf. I Co 1-13).
Il est éclairant ici, en lien avec Marie de l’Incarnation, de lire les biographies de jésuites missionnaires du XVIIe siècle en terre nord-américaine. Dans ces dernières, peu de mentions d’expériences mystiques. En revanche, les rédacteurs ont fait ressortir leur acceptation de vivre dans des conditions matérielles et sociales extrêmement difficiles. Ils ont bien noté que leur audace missionnaire et leur courage ne pouvaient s’expliquer que par un véritable amour de l’autochtone, amour qui prenait sa source dans un attachement viscéral au Christ Jésus et à son Évangile. Bref, ces hommes étaient pleinement habités par la grâce de Dieu. Certains ont d’ailleurs subi le martyre à cause même de cet amour du prochain. Leur intimité avec Dieu, discrète le plus souvent, n’était pas à questionner.
L’histoire nous apprend que Dieu se fait généreusement présent chez toute personne qui veut suivre les voies de sa conscience. Mais nous avons l’impression que sa présence, même discrète, se fait particulièrement remarquée chez les personnes qui, volontairement, cherchent à se rendre disponibles au plan spirituel. À ce propos, il vous est sans doute arrivé d’entendre les récits de personnes qui ont fait le pèlerinage de Compostelle ou qui sont allés en pèlerinage à Lourdes ou à Fatima. Plusieurs d’entre elles reconnaissaient que l’un ou l’autre de ces pèlerinages les avaient rejointes. Elles y ont eu le sentiment de vivre des moments d’intimité de cœur avec Dieu. Mais, dans ces expériences, pas de montée exaltante au troisième ciel, pas de retournement à la manière de saint Paul. Comme me le disait un dominicain maintenant décédé : « Saint Joseph, lui, n’a pas reçu de signes extraordinaires de la part de Dieu pour le convaincre d’assumer sa mission de père adoptif de Jésus. Il a dû se contenter d’un tout petit songe pour l’inciter à accepter Marie, déjà enceinte, comme épouse (cf. Mt 1,19-21). Rien pour engendrer l’enthousiasme chez lui ! Malgré tout, il a dit oui ». Cette observation laisse clairement entendre que nous n’avons pas à demander des signes extraordinaires de la part de Dieu pour accepter de servir notre prochain. C’est Dieu qui a l’initiative des signes à donner pour nous inviter à collaborer avec lui pour sa mission de salut. C’est ce qu’il a fait dans le passé, c’est ce qu’il continue de faire.
Sachons donc reconnaître, à la manière du prophète Isaïe, la magnificence de Dieu et accueillir les demandes de collaboration qu’il nous faits à travers les appels de l’Église et du monde, à travers aussi les événements qui nous rejoignent de près. Que l’Eucharistie que nous allons célébrer nourrissent notre foi et notre espérance !
Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant, Dieu de majesté,
nous t’adressons cette prière :
puisque ton Fils unique, ayant pris notre chair,
fut en ce jour présenté dans le Temple,
fais que nous puissions, avec une âme purifiée,
être présentés devant toi.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.