26 janvier 2024
À tous les Théophiles du monde!
Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous invite à voir l’évangile de Luc comme un témoignage écrit pour tous les chrétiens, du passé et à venir, pour leur faire prendre conscience de l’Alliance et de l’amitié entre Dieu et son peuple.
LIVRE DU PROPHÈTE NÉHÉMIE (8, 2-4a.5-6.8-10)
En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (12, 12-30)
Frères, prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ?
Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ? En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous. »
Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Mais en organisant le corps, Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres.
Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses.
Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (1, 1-4 ; 4, 14-21)
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Homélie
Cher Théophile! Qui est donc ce Théophile pour qui Luc a écrit son Évangile? A-t-il existé? Deux grandes familles d’interprétation s’offrent. Selon la première, Théophile serait un personnage historique. Luc aurait inséré une dédicace à un personnage réel pour donner du sérieux à son ouvrage. Théophile serait probablement quelqu’un à qui Luc est redevable ou le commanditaire de l’œuvre. Par contre, selon la deuxième grande famille, le nom de Théophile serait la clé à la réponse. En effet, ce prénom provient de la racine de deux mots grecs : Dieu (Theos) et amour (philia). Les traductions proposées sont « aimé de Dieu » ou « aimant Dieu ». Le nom de Théophile jouerait alors un rôle symbolique. Luc aurait écrit son Évangile pour que ses lecteurs, incluant nous tous et nous toutes, puissent être appelés des Théophiles, des amis de Dieu. Je dois dire que j’ai un petit faible pour cette interprétation.
Être ami de Dieu n’est-ce pas une belle manière de décrire le projet de Dieu qui veut se faire proche de l’humanité, au point de conclure une alliance avec elle, et de devenir son ami? Dieu ne cherche-t-il pas, depuis des temps immémoriaux, l’amitié de l’humanité? L’amitié, nous le savons tous, naît d’une histoire de rencontres qui permettent un apprentissage réciproque. Ainsi Dieu s’est-il approché de nous, graduellement, petit à petit. Il est tellement différent de nous qu’il n’a pas voulu nous effaroucher. Un long processus d’apprentissage qui aboutit au Christ Jésus et qui se poursuit. Toute cette longue histoire a été très mouvementée. Nous en avons une illustration dans la lecture du livre de Néhémie.
Nous sommes à Jérusalem probablement vers 450 av. J.-C. L’exil à Babylone est fini. Le temple de Jérusalem est reconstruit. La vie a repris. Vu de loin, on pourrait dire que tout va pour le mieux. Mais la vérité est tout autre. Les drames du siècle précédent ont laissé des séquelles. On ne se remet pas facilement d’une invasion et du saccage d’une ville. Jérusalem a été conquise par les armées de Nabuchodonosor (et ce ne furent pas des enfants de chœur), le Temple (le magnifique Temple de Salomon) saccagé, pillé… la population tuée pour une part, et pour le reste, épuisée par le siège de la ville, déportée… Il a fallu dire adieu au pays. Dieu aurait-il abandonné son peuple?
Pour remonter le moral du peuple et aussi pour raffermir la foi du peuple en cette alliance avec Dieu, avec ce projet d’amitié, Néhémie organise cette lecture de la Loi par le scribe Esdras! La Parole qui, dans le passé, a rassemblé un peuple d’esclaves pour en faire un peuple libre. La Parole qui a donné à son peuple une Loi, en signe de l’alliance, elle est encore, au lendemain de l’exil, vivante. Il ne s’agit pas de rappeler au peuple de beaux souvenirs, mais de lui faire prendre conscience que la parole de Dieu est toujours parole de vie et de bonheur! Dieu, après l’exil, est encore l’ami de son peuple, comme il l’a toujours été. Aujourd’hui, un avenir s’ouvre. « Allez, festoyez, car la joie du Seigneur est votre rempart! » Aujourd’hui, comme au tout début!
À ce livre de la loi, s’est ajouté, pour nous chrétiens, un autre livre, celui des Évangiles, plus particulièrement celui de Luc, serviteur de la Parole, comme il se désigne lui-même. Cette parole retentit dans la synagogue de Nazareth. Comme avec Esdras, une parole ancienne est lue dans l’assemblée. Et voilà que Jésus proclame: « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Aujourd’hui, la Bonne nouvelle est proclamée aux pauvres, aux opprimés, aux aveugles et aux prisonniers : le monde en est retourné.
J’entends souvent dire que, comme l’islam et le judaïsme, le christianisme serait une religion du livre. De fait, nous sommes entrés en procession avec à sa tête le livre, l’Écriture. Mais quel est ce livre? Un livre qui contient des enseignements, des récits, des prières. Mais tous se fondent sur une présence, une irruption dans notre monde : la Parole de Dieu. Notre livre est sacré non parce que Dieu a dicté à ses auteurs le texte pour nous donner une loi, mais parce qu’il nous renvoie à une expérience qui doit devenir la nôtre : Il est là dans l’histoire. Dieu est présent au monde. Le Christ, Parole de Dieu, est vivant. L’Esprit qui l’a consacré a été répandu sur le monde. Si dans l’Évangile de Luc, nous voyons Jésus interpeler Zachée : « descends, je veux aller souper chez toi » c’est pour que nous aussi nous entendions cette même parole. « Oui, toi, Théophile, descends, je veux aller chez toi et devenir ton ami! » Si Luc présente la parabole de l’enfant prodigue, ce n’est pas seulement pour répondre aux scribes qui ne comprenaient pas à quel point Dieu était un père miséricordieux, mais pour que nous, les Théophiles, prenions conscience que Dieu veut être notre ami et qu’il se réjouit davantage de la conversion d’un seul pécheur que du conformisme moral de 99 justes qui pensent ne pas avoir besoin de conversion. Si Luc rapporte cette prière du bon larron, crucifié avec Jésus : « Seigneur, que je sois avec toi dans ton Royaume… » c’est pour que tous les Théophiles aient confiance au point que lors de leur dernier soupir, ils entendent cette parole d’espérance : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis ».
L’évangile de Luc n’est pas une collection de beaux souvenirs, mais une parole vivante. Il est un témoin de cet événement inouï : la Parole est venue dans notre monde. Il présente cet événement sous la forme d’un récit, comme un témoin, pour que même 2000 ans après les faits relatés, nous recevions cette Parole, aujourd’hui, qu’elle s’insère dans l’histoire dans nos vies et la transforme en Bonne Nouvelle.
Accueillons donc cette Parole toujours vivante dans la communauté des amis de Dieu, des Théophiles. Nous sommes tellement amis avec Dieu que nous devenons amis les uns des autres, et que, comme le rappelle Paul, nous formons ensemble un corps. Accueillons cette Parole qui, grâce à l’Esprit, transforme le pain et le vin que nous présentons en signe de notre amitié profonde avec Dieu nous soudant les uns aux autres en un seul Corps. Amen.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
dans ta bienveillance, dirige nos actions,
afin qu’au nom de ton Fils bien-aimé,
nous portions des fruits en abondance.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.