Homélie, dimanche de la 3ème semaine du Temps ordinaire

26 janvier 2024

À tous les Théophiles du monde!

Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous invite à voir l’évangile de Luc comme un témoignage écrit pour tous les chrétiens, du passé et à venir, pour leur faire prendre conscience de l’Alliance et de l’amitié entre Dieu et son peuple.

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Homélie

Cher Théophile! Qui est donc ce Théophile pour qui Luc a écrit son Évangile? A-t-il existé? Deux grandes familles d’interprétation s’offrent. Selon la première, Théophile serait un personnage historique. Luc aurait inséré une dédicace à un personnage réel pour donner du sérieux à son ouvrage. Théophile serait probablement quelqu’un à qui Luc est redevable ou le commanditaire de l’œuvre. Par contre, selon la deuxième grande famille, le nom de Théophile serait la clé à la réponse. En effet, ce prénom provient de la racine de deux mots grecs : Dieu (Theos) et amour (philia). Les traductions proposées sont « aimé de Dieu » ou « aimant Dieu ». Le nom de Théophile jouerait alors un rôle symbolique. Luc aurait écrit son Évangile pour que ses lecteurs, incluant nous tous et nous toutes, puissent être appelés des Théophiles, des amis de Dieu. Je dois dire que j’ai un petit faible pour cette interprétation.

Être ami de Dieu n’est-ce pas une belle manière de décrire le projet de Dieu qui veut se faire proche de l’humanité, au point de conclure une alliance avec elle, et de devenir son ami? Dieu ne cherche-t-il pas, depuis des temps immémoriaux, l’amitié de l’humanité? L’amitié, nous le savons tous, naît d’une histoire de rencontres qui permettent un apprentissage réciproque. Ainsi Dieu s’est-il approché de nous, graduellement, petit à petit. Il est tellement différent de nous qu’il n’a pas voulu nous effaroucher. Un long processus d’apprentissage qui aboutit au Christ Jésus et qui se poursuit. Toute cette longue histoire a été très mouvementée. Nous en avons une illustration dans la lecture du livre de Néhémie.

Nous sommes à Jérusalem probablement vers 450 av. J.-C. L’exil à Babylone est fini. Le temple de Jérusalem est reconstruit. La vie a repris. Vu de loin, on pourrait dire que tout va pour le mieux. Mais la vérité est tout autre. Les drames du siècle précédent ont laissé des séquelles. On ne se remet pas facilement d’une invasion et du saccage d’une ville. Jérusalem a été conquise par les armées de Nabuchodonosor (et ce ne furent pas des enfants de chœur), le Temple (le magnifique Temple de Salomon) saccagé, pillé… la population tuée pour une part, et pour le reste, épuisée par le siège de la ville, déportée… Il a fallu dire adieu au pays. Dieu aurait-il abandonné son peuple?

Pour remonter le moral du peuple et aussi pour raffermir la foi du peuple en cette alliance avec Dieu, avec ce projet d’amitié, Néhémie organise cette lecture de la Loi par le scribe Esdras! La Parole qui, dans le passé, a rassemblé un peuple d’esclaves pour en faire un peuple libre. La Parole qui a donné à son peuple une Loi, en signe de l’alliance, elle est encore, au lendemain de l’exil, vivante. Il ne s’agit pas de rappeler au peuple de beaux souvenirs, mais de lui faire prendre conscience que la parole de Dieu est toujours parole de vie et de bonheur! Dieu, après l’exil, est encore l’ami de son peuple, comme il l’a toujours été. Aujourd’hui, un avenir s’ouvre. « Allez, festoyez, car la joie du Seigneur est votre rempart! » Aujourd’hui, comme au tout début!

À ce livre de la loi, s’est ajouté, pour nous chrétiens, un autre livre, celui des Évangiles, plus particulièrement celui de Luc, serviteur de la Parole, comme il se désigne lui-même. Cette parole retentit dans la synagogue de Nazareth. Comme avec Esdras, une parole ancienne est lue dans l’assemblée. Et voilà que Jésus proclame: « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Aujourd’hui, la Bonne nouvelle est proclamée aux pauvres, aux opprimés, aux aveugles et aux prisonniers : le monde en est retourné.

J’entends souvent dire que, comme l’islam et le judaïsme, le christianisme serait une religion du livre. De fait, nous sommes entrés en procession avec à sa tête le livre, l’Écriture. Mais quel est ce livre? Un livre qui contient des enseignements, des récits, des prières. Mais tous se fondent sur une présence, une irruption dans notre monde : la Parole de Dieu. Notre livre est sacré non parce que Dieu a dicté à ses auteurs le texte pour nous donner une loi, mais parce qu’il nous renvoie à une expérience qui doit devenir la nôtre : Il est là dans l’histoire. Dieu est présent au monde. Le Christ, Parole de Dieu, est vivant. L’Esprit qui l’a consacré a été répandu sur le monde. Si dans l’Évangile de Luc, nous voyons Jésus interpeler Zachée : « descends, je veux aller souper chez toi » c’est pour que nous aussi nous entendions cette même parole. « Oui, toi, Théophile, descends, je veux aller chez toi et devenir ton ami! » Si Luc présente la parabole de l’enfant prodigue, ce n’est pas seulement pour répondre aux scribes qui ne comprenaient pas à quel point Dieu était un père miséricordieux, mais pour que nous, les Théophiles, prenions conscience que Dieu veut être notre ami et qu’il se réjouit davantage de la conversion d’un seul pécheur que du conformisme moral de 99 justes qui pensent ne pas avoir besoin de conversion. Si Luc rapporte cette prière du bon larron, crucifié avec Jésus : « Seigneur, que je sois avec toi dans ton Royaume… » c’est pour que tous les Théophiles aient confiance au point que lors de leur dernier soupir, ils entendent cette parole d’espérance : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis ».

L’évangile de Luc n’est pas une collection de beaux souvenirs, mais une parole vivante. Il est un témoin de cet événement inouï : la Parole est venue dans notre monde. Il présente cet événement sous la forme d’un récit, comme un témoin, pour que même 2000 ans après les faits relatés, nous recevions cette Parole, aujourd’hui, qu’elle s’insère dans l’histoire dans nos vies et la transforme en Bonne Nouvelle.

Accueillons donc cette Parole toujours vivante dans la communauté des amis de Dieu, des Théophiles. Nous sommes tellement amis avec Dieu que nous devenons amis les uns des autres, et que, comme le rappelle Paul, nous formons ensemble un corps. Accueillons cette Parole qui, grâce à l’Esprit, transforme le pain et le vin que nous présentons en signe de notre amitié profonde avec Dieu nous soudant les uns aux autres en un seul Corps. Amen.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
dans ta bienveillance, dirige nos actions,
afin qu’au nom de ton Fils bien-aimé,
nous portions des fruits en abondance.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.