23 janvier 2024
Prédication populaire
Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous explique comment le besoin ressenti de popularité peut nous dérober notre liberté et nous invite plutôt à imiter Jésus.
LETTRE AUX HÉBREUX (7, 25 – 8, 6)
Frères, Jésus est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même.
La loi de Moïse établit comme grands prêtres des hommes remplis de faiblesse ; mais la parole du serment divin, qui vient après la Loi, établit comme grand prêtre le Fils, conduit pour l’éternité à sa perfection.
Et voici l’essentiel de ce que nous voulons dire : c’est bien ce grand prêtre-là que nous avons, lui qui s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les cieux, après avoir accompli le service du véritable Sanctuaire et de la véritable Tente, celle qui a été dressée par le Seigneur et non par un homme. Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices ; il était donc nécessaire que notre grand prêtre ait, lui aussi, quelque chose à offrir. À vrai dire, s’il était sur la terre, il ne serait même pas prêtre, puisqu’il y a déjà les prêtres qui offrent les dons conformément à la Loi : ceux-ci rendent leur culte dans un sanctuaire qui est une image et une ébauche des réalités célestes, comme en témoigne l’oracle reçu par Moïse au moment où il allait construire la Tente : Regarde, dit le Seigneur, tu exécuteras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne.
Quant au grand prêtre que nous avons, le service qui lui revient se distingue d’autant plus que lui est médiateur d’une alliance meilleure, reposant sur de meilleures promesses.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (3, 7-12)
En ce temps-là, Jésus se retira avec ses disciples près de la mer, et une grande multitude de gens, venus de la Galilée, le suivirent. De Judée, de Jérusalem, d’Idumée, de Transjordanie, et de la région de Tyr et de Sidon vinrent aussi à lui une multitude de gens qui avaient entendu parler de ce qu’il faisait.
Il dit à ses disciples de tenir une barque à sa disposition pour que la foule ne l’écrase pas. Car il avait fait beaucoup de guérisons, si bien que tous ceux qui souffraient de quelque mal se précipitaient sur lui pour le toucher. Et lorsque les esprits impurs le voyaient, ils se jetaient à ses pieds et criaient : « Toi, tu es le Fils de Dieu ! »
Mais il leur défendait vivement de le faire connaître.
Homélie
Nous vivons à une époque qui mesure la popularité : des personnes, des idées, des projets, des programmes, des lieux touristiques, des magasins, des restaurants, des vêtements. Cela se fait par sondage ou par nombre de clics sur des sites internet.
Il y a de ces personnes que l’on désigne du nom « d’influenceurs » qui seraient les arbitres du bon goût et montrent la voie à suivre pour qui veut être « in ». C’est la tyrannie du populaire. Il faut être avec les masses, si possible, au milieu d’elles, pour pouvoir infléchir leur pensée, obtenir leur adhésion. La popularité est perçue comme la valeur première, comme s’il était devenu acceptable que le plus généralement accepté fasse norme.
Les débats d’idées n’ont plus leur place. La popularité se fait garante de vérité. Le grand art consistera à trouver ce qui est dans l’air du temps, ce qui est fédérateur, ce qui plaît. L’époque est au « marketing » et à la publicité massive, pour assommer le consommateur ou rééduquer les récalcitrants d’une société conformiste.
Jésus, évidemment, n’a pas poursuivi ce genre de notoriété. Il n’était pas homme à ajuster sa prédication pour obtenir la faveur des foules. Il ne recherchait pas son profit, ni l’approbation du plus grand nombre. Il est vrai que son discours plaisait. Surtout son enseignement en paraboles qui rejoignait les gens. Mais il ne craignait pas les paroles audacieuses qui auraient pu provoquer l’hostilité des élites religieuses. Ses gestes pouvaient aussi prêter à la controverse. Cela n’a pas manqué. Il n’aurait jamais sacrifié à l’adulation des foules, mais il répondait à sa mission de rassembler tout Israël.
Difficile de rester libre, de ne pas vouloir répondre aux attentes de ceux et celles qui vous suivent, de ne pas avoir peur de perdre son « beau public », comme le chantait Charlebois dans « Ordinaire ». Les « j’aime » de « Facebook » et autres approbations sociales ont un caractère addictif.
Comment comprendre l’insistance que met l’évangile d’aujourd’hui sur la popularité de Jésus? « Une grande multitude de gens », est-il répété, des gens si nombreux qu’ils risquaient de l’écraser, à tel point qu’il a fallu mettre une barque à sa disposition. On se précipitait sur lui pour le toucher et, comble de l’adulation, même les esprits impurs se jetaient à ses pieds! Même Jean le Baptiste n’avait pas eu une telle renommée! Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui, mais dans le cas de Jésus, les foules viennent de sept lieux différents, autant dire de partout! Marc s’attache à démontrer que Jésus se révèle encore plus populaire que Jean. Il semble que les foules ont bien suivi son discours. Jean annonçait à la stupéfaction générale que bientôt viendrait un plus fort que lui, un plus grand que lui qui baptiserait non plus dans l’eau mais dans l’Esprit-Saint. Voilà que Jésus apparaît et est reconnu par l’ensemble du peuple. Les attentes envers Jean le Baptiste se sont déplacées vers lui.
Qu’est-ce qui faisait donc courir les foules? Avaient-elles vraiment discerné en Jésus l’Envoyé de Dieu? Étaient-elles avides de ses opinions tranchées sur les observances du jeûne et du sabbat? Ou bien étaient-elles curieuses de ces prodiges qu’il accomplissait? Jésus connaissait trop le cœur humain pour céder au piège de la gloriole, si capricieuse et si éphémère. La puissance et la domination étaient à sa portée, mais toujours il les a refusées. Son autorité lui venait de son obéissance au dessein du Père. Le règne de Dieu était sa seule recherche.
Dans la foule, il pouvait discerner les pauvres qui attendaient la consolation, le salut. Il confortait ceux et celles qui mettaient leur espérance dans un Dieu miséricordieux. Il savait que sa Parole donnait vie et libération au peuple des pauvres oppressés par le joug de la Loi. Il se tenait sur le bord de la mer, comme pour faire reculer la frontière du mal. Sa parole attirait tous ceux-là que la Loi repoussait. Ce n’était pas un faux prophète, calculateur. La multitude venait à lui, pour toutes sortes de motifs. Jésus leur offrait sa disponibilité, il leur était déjà livré.
La foule, inconstante, se retournera un jour contre lui. Son espérance aujourd’hui semble comblée, mais les élites religieuses sauront la manipuler au point qu’elle en viendra à réclamer sa mort.
Nous avons à servir humblement la Parole. Ce service pourra nous valoir une certaine estime, mais comme Jésus, nous avons à demeurer libre pour que la Parole soit vraiment parole de Dieu. C’est elle qui exige un cœur pur et nous accorde la seule approbation qui compte.
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
Nous t’en prions, Seigneur,
accorde-nous de vivre dans un monde
où les événements se déroulent selon ton dessein de paix,
et où ton Église connaisse la joie
de te servir dans la sérénité.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.