Homélie, dimanche de la 2ème semaine du Temps ordinaire

19 janvier 2024

Les temps nouveaux

Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous explique comment le récit des Noces de Cana permit aux premiers chrétiens d’interpréter une multitude d’autres notions et événements centraux à la foi et à la façon de vivre en Christ.

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Homélie

Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »

Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Le miracle que Jésus a réalisé lors des noces de Cana est bien singulier. Il surprend, car il ne s’agit pas ici d’une intervention miraculeuse en faveur de malades ou de personnes handicapées, ou encore de personnes possédées par un esprit démoniaque. À première vue, l’intervention de Jésus ne se situe pas du tout dans la catégorie d’une lutte contre les forces du mal. Elle vient plutôt permettre aux personnes invitées à un mariage de pouvoir continuer de festoyer et de se réjouir ensemble. Rappelons ici que les célébrations de mariage, dans la Galilée de l’époque de Jésus, s’étalait sur près d’une semaine. Et puis, dans ce monde rural, c’est toute la communauté villageoise qui participait à la fête. Il faut donc prendre en compte le fait que le petit village de Cana, tout comme celui de Nazareth situé à quelques kilomètres plus au sud, devait compter entre 150 et 200 habitants. La consommation de vin, dans une telle circonstance, devait y être importante, d’autant plus que bien des invités de l’extérieur participaient à cette célébration joyeuse. La quantité d’eau transformée en vin a de quoi impressionner : 6 jarres de pierre, c’était environ 600 litres de vin.

Quand nous lisons ce récit de l’eau changée en vin, nous nous demandons spontanément pour quel motif Jésus est intervenu dans le cadre de cette célébration. Et là, nous avons une surprise. C’est Marie, sa mère, qui apprend que le vin va faire défaut. Deux conséquences prévisibles dans la circonstance : d’une part la célébration va perdre de son élan et les expressions de fraternité et de solidarité vont s’étioler lentement, d’autre part les mariés vont être humiliés et accusés d’avoir mal planifié les éléments nécessaires visant à assurer la tenue d’un grand rassemblement qui se voulait joyeux. Marie, elle, prend l’initiative d’informer Jésus de l’embarras que va engendrer le manque de vin et se permet en outre d’inviter les serviteurs à obéir à Jésus. Notons bien : Marie informe Jésus d’un manque, d’un vide qui aura un impact négatif sur le climat de partage et de fraternité rattaché à la nature joyeuse de la célébration. Le resserrement des liens entre les personnes présentes ne se produira que partiellement si rien n’est fait. Jésus, lui, va répondre à ce manque, il va combler la soif des participants et participantes pour que la joie d’être ensemble se prolonge.

Comment les chrétiens et chrétiennes du passé et d’aujourd’hui ont-ils trouvé une nourriture spirituelle dans ce récit de miracle ?

Notons que les disciples ont fait une relecture de cet événement après la célébration du Jeudi Saint et la Passion-Résurrection de Jésus. Ils ont alors compris que Jésus, à Cana, avait révélé, en paroles et en actes, les temps nouveaux qu’il venait inaugurer. Le vin que Jésus avait offert représentait, symboliquement parlant, les dons que l’Esprit Saint allait distribuer dans les communautés de foi. Saint Paul par exemple, dans la deuxième lecture de ce jour (cf. I Co 12, 4-11), dresse justement un inventaire de ces dons : « À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse, à un autre, une parole de connaissance (…); un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi (…); un autre encore, (…), des dons de guérison ». Ces dons, on le constatait, étaient de nature à transformer les relations humaines, à réduire les manifestations de violence et d’égoïsme. Ils nourrissaient en effet la fraternité entre les membres de chaque communauté croyante et engendraient chez chacun et chacune la joie de se savoir aimé de Dieu.

Par ailleurs, les croyants ont rapidement fait le lien entre le signe que Jésus avait donné à Cana et l’Eucharistie partagée le dimanche. Ils ont appris à lire ce signe du repas de fête en lien avec la Passion-Résurrection de Jésus. Cette vie qu’il avait donnée généreusement pour la multitude, les chrétiens pouvaient maintenant s’en nourrir pour marcher sur le chemin qui menait à la gloire, à celle du Christ Jésus d’abord puis à celle qu’ils partageraient au-delà du temps présent.

Le récit du miracle de Cana a aussi amené bien des chrétiens et chrétiennes à porter une attention particulière à l’attitude de Marie, la mère de Jésus. Cette dernière, en informant Jésus que le vin faisait défaut et en se permettant ensuite de dire aux servants d’obéir à son fils, manifestait explicitement sa ferme assurance d’être écoutée. Elle avait la conviction que la réponse de Jésus viendrait, même si elle n’en connaissait pas la nature. Pour bien des baptisés, la confiance que Marie a manifestée dans sa relation à Jésus était à imiter. Il fallait, comme elle, exprimer dans la prière ses attentes et laisser le Christ Jésus agir à sa manière. Dans le récit du miracle, il y a aussi une autre dimension qui se manifeste et dans laquelle Marie est bien intégrée : celle de la collaboration à la mission de son fils, et ainsi à l’œuvre de Dieu. Ce qui avait commencé avec le « oui » de l’annonce de l’ange Gabriel se prolongeait cette fois au cœur de la célébration du mariage.

Au plan moral et spirituel, la façon d’agir de Marie a été interprétée comme une interpellation. Marie devenait un modèle à imiter. Son souci des mariés et des hôtes manifestait un sens très prononcé de la compassion et de la fraternité. Vouloir imiter Marie, cela voulait dire que tout baptisé devait se soucier de la vie des personnes de son entourage, qu’il devait savoir identifier les manques ou les besoins qui affectaient ou affecteraient leurs vies. C’était une façon d’imaginer que le climat de la célébration du mariage à Cana aurait à se retrouver, dans une certaine mesure, dans les milieux où les croyants et croyantes avaient pris racine ou prendraient racine.

À la lumière du récit de Cana, nous, les croyants et croyantes, nous sommes invités à reconnaître que le Christ Jésus nous donne accès à une intensité de vie que n’aurions pas pu imaginer. Sachons rendre grâce pour cette vie où son amour vient nous transformer de l’intérieur.

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
toi qui rassembles ce qui est dispersé,
et qui gardes ce que tu as rassemblé,
jette un regard de paix sur le troupeau conduit par ton Fils :
accorde à ceux qu’un même baptême a consacrés
d’être unis dans la plénitude de la foi
et de demeurer en communion par le lien de la charité.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.