19 janvier 2025
L'heure des noces !
En ce dimanche, le frère André Descôteaux, O.P., se pose la question de cette heure de Jésus qui « n’est pas encore venue » et qui n’empêche pourtant pas Marie, toujours pleine de foi et d’espérance, de pousser son fils dans son ministère public.

LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (62, 1-5)
Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire.
On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ».
Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (12, 4-11)
Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous.
À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter.
Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN (2, 1-11)
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau.
Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Homélie
Une mère de famille désirant accroître la connaissance de l’Évangile chez son fils avait décidé de lui parler le plus souvent possible en utilisant des citations de l’Évangile. Ainsi, un matin, alors qu’il traînait dans le lit, elle lui dit : ‘Prends ton grabat, lève-toi et marche à l’école’. Celui-ci de lui répondre : ‘Femme, mon heure n’est pas encore venue’. Brillant, le jeune homme!
« Mon heure n’est pas encore venue ». Quelle réponse déroutante de Jésus à Marie qui l’informait qu’ils n’avaient plus de vin et qui devait sans doute attendre quelque chose de lui! Que veut dire Jésus? Son heure n’est pas encore venue! Est-ce à dire qu’il n’y a rien à espérer de lui? Ou bien, certes, son heure n’est pas encore venue, mais ne pourrait-elle pas advenir plus vite qu’on ne le pense? D’ailleurs, Jésus n’est-il pas venu à Cana accompagné de ses tout nouveaux disciples? Cette ambiguïté laisse à Marie un espace de liberté où elle décide, dans la foi, d’intervenir. Elle va trouver les serviteurs leur enjoignant de faire tout ce que Jésus pourrait leur demander.
Anne Soupa, cette théologienne française féministe, dans son livre intitulé ‘Marie comme vous ne l’avez jamais vu’, présenté d’ailleurs dans le magazine Rencontre, propose un commentaire lumineux de ce passage. Ainsi, affirme-t-elle que Jésus ‘bousculé par la confiance sans limites que Marie lui témoigne, va obtempérer’. Et plus loin, ‘À Cana, la sollicitation de Marie est capitale, car elle fait advenir l’heure que Jésus ne jugeait pas encore venue’. Poursuivant, elle soutient que s’il n’y a pas, contrairement aux autres évangélistes, de récit comme tel du baptême chez Jean, Marie est celle qui ‘a plongé son Fils dans son ministère public’. ‘Dès cette noce, se dit et pourra se redire la Bonne Nouvelle. Par le vin offert, qui remplace l’eau des jarres de la purification, se noue la nouvelle alliance. ‘En partageant le vin, le Christ Jésus invite déjà chacun et chacune à la fête de la résurrection’. L’heure de la noce est venue!
L’invitation est donc lancée à l’humanité entière : tous et toutes sont invités, quelle que soit l’époque, quel que soit le lieu! Dieu vient, en son Fils, faire alliance avec chacun et chacune de nous!
Et pourtant, à voir les choses, l’heure est-elle venue? Nous avons bien des raisons d’en douter. C’est pourquoi il nous faut être attentifs à ce que nous dit le prophète Isaïe. Celui-ci s’adresse aux exilés qui rentraient à Jérusalem. Beaucoup de déception. Ils sont mal accueillis par ceux qui s’y étaient établis. Le pays était loin de ruisseler de lait et de miel. Croyez et ne désespérez pas, les enjoint-il, car: « On ne te dira plus : ‘Abandonnée !’ À ta terre, on ne dira plus : ‘Désolation !’ Mais on t’appellera ‘Mon plaisir en elle’, et ta terre ‘Épousée’, car le Seigneur trouve en toi son plaisir et cette terre sera épousée. Comme un mari se réjouit d’une fiancée, de toi, ton Dieu se réjouira ». À l’alliance légale, une sorte de pacte entre un suzerain et son vassal comportant obligations et punitions en cas de désobéissance, Isaïe préfère l’alliance entre époux avec tout ce qu’elle peut comporter d’intimité, de respect mutuel, d’amour partagé, mais aussi de fécondité, de plaisir et de joie d’être ensemble. Crois et espère, dit Isaïe ! Travaille à t’établir! L’heure vient !
Nous retrouvons l’attitude de Marie : croire et espérer. Marie, parce qu’elle croit, espère. Parce qu’elle croit, elle met des hommes à l’écoute de son Fils. Parce qu’elle croit, la mère conduit son Fils à manifester qui il est, à manifester sa gloire! Parce qu’elle a cru, d’autres, comme les disciples, croiront à sa suite.
L’heure tarde : crois et espère. Alors que Dieu invite l’humanité à nouer une alliance nouvelle avec lui, l’Église, au lieu de rassembler, malheureusement, par ses divisions, divise. Toutes les Églises sont conscientes de ce scandale et de leur contre-témoignage. Voilà pourquoi elles sont engagées dans un processus de dialogue en vue de refaire l’unité entre elles. Dans ce processus, nous avons pris conscience que nous sommes malgré tout unis sur des points majeurs. Cette année marque le 1700e anniversaire du Concile de Nicée où la nature divine du Christ est réaffirmée avec l’introduction dans le Credo de ce fameux ‘consubstantiel au Père’. Cet article de foi est commun à presque toutes les Églises chrétiennes. Plus près de nous, depuis le Concile Vatican II, des avancées spectaculaires ont été accomplies. Par exemple, les luthériens et les catholiques se sont entendus sur la justification, sujet de conflit depuis des siècles. Pourtant, certaines questions comme celle de l’ordination des femmes ont dressé des murs entre nous. Nous pouvons même avoir l’impression d’un essoufflement du mouvement œcuménique. L’heure semble s’éloigner.
Ne nous laissons pas abattre. Comme Marie, croire et espérer et aussi agir. « Faites tout ce qu’il vous dira ». Et que nous dit-il? Heureux les pauvres de cœur; heureux les miséricordieux; heureux les artisans de paix; heureux ceux et celles qui ont soif de justice. Et quand vous priez, dites ‘Notre Père qui es aux cieux’. Oui, faisons tout ce qu’il nous dit!
Le dominicain Emmanuel Durand qui vient de publier un volume sur l’espérance, livre dont je vous recommande la lecture, en cette année sainte placée sous le thème ‘Pèlerins d’espérance’ écrit : « Nous pouvons légitimement espérer l’impossible, mais tel que Dieu entend l’accomplir ».
L’heure est l’affaire de Dieu même si le signe de Cana montre qu’il est possible d’influencer les desseins de Dieu. Croire, espérer et faire tout ce qu’il nous dira ! En cette eucharistie, signe de l’Alliance nouvelle, entrons dans la noce. C’est l’heure de la foi et de l’espérance !
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
toi qui rassembles ce qui est dispersé,
et qui gardes ce que tu as rassemblé,
jette un regard de paix sur le troupeau conduit par ton Fils :
accorde à ceux qu’un même baptême a consacrés
d’être unis dans la plénitude de la foi
et de demeurer en communion par le lien de la charité.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.