5 janvier 2024
Les non-dits sur les mages
En ce dimanche de l’Épiphanie, le frère Yvon Pomerleau, O.P., nous invite à plonger dans les non-dits évangéliques à propos des mages pour enrichir notre quête de sens et de vérité.
PREMIER LIVRE DE SAMUEL (1, 20-22.24-28)
Elcana s’unit à Anne sa femme, et le Seigneur se souvint d’elle. Anne conçut et, le temps venu, elle enfanta un fils ; elle lui donna le nom de Samuel (c’est-à-dire : Dieu exauce) car, disait-elle, « Je l’ai demandé au Seigneur. » Elcana, son mari, monta au sanctuaire avec toute sa famille pour offrir au Seigneur le sacrifice annuel et s’acquitter du vœu pour la naissance de l’enfant. Mais Anne n’y monta pas. Elle dit à son mari : « Quand l’enfant sera sevré, je l’emmènerai : il sera présenté au Seigneur, et il restera là pour toujours. »
Lorsque Samuel fut sevré, Anne, sa mère, le conduisit à la maison du Seigneur, à Silo ; l’enfant était encore tout jeune. Anne avait pris avec elle un taureau de trois ans, un sac de farine et une outre de vin. On offrit le taureau en sacrifice, et on amena l’enfant au prêtre Éli. Anne lui dit alors : « Écoute-moi, mon seigneur, je t’en prie ! Aussi vrai que tu es vivant, je suis cette femme qui se tenait ici près de toi pour prier le Seigneur. C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie. » Alors ils se prosternèrent devant le Seigneur.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN (3, 1-2.21-24)
Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu — et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (2, 41-52)
Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume. À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances. Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.
C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.
Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.
Homélie
Encore une fois, en cette nouvelle année, je suis invité à assurer la prédication pour la fête de l’Épiphanie. Comment éviter la répétition d’homélies précédentes? Eh bien, j’ai choisi de vous parler ce matin des non-dits des évangiles sur les mages.
Une remarque préliminaire : le calendrier liturgique a intitulé la fête de ce jour dimanche de l’Épiphanie et non pas dimanche des mages. L’Épiphanie, la manifestation de Jésus, se décline en trois événements : les noces de Cana, le baptême de Jésus et l’adoration des mages. Comme chaque année, c’est le texte de Matthieu 2, 1-12 qui nous est proposé ce matin. En fait, c’est le seul Évangile de Matthieu qui nous parle de la visite de mages. On ne trouve nulle part ailleurs dans les quatre évangiles de mention de mages. Le premier verset de cet évangile.se formule ainsi : « Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem ». Mon attention va porter ce matin sur les non-dits dans ce verset et qui font partie de notre image des mages. Les non-dits dans la lecture des évangiles ont une importance : on cherche à combler les vides et on finit par croire que ce qu’on ajoute fait partie du message évangélique lui-même.
Le premier verset de notre évangile soulève quelques questions. Qui sont les mages? Combien sont-ils? Comment s’appellent-ils? D’où viennent-ils? …Qui sont les mages? Les mages sont devenus, dans le langage courant, les rois mages. On les trouve souvent, dans l’art, coiffés d’une couronne. Le fait que l’un des cadeaux que les mages ont apporté à l’enfant soit de l’or suggère qu’eux-mêmes étaient rois. Dans l’art, on a aussi vêtu nos rois de riches habits qui évoquent la royauté. Cette mention de la royauté pour les mages n’a rien de surprenant mais ne se trouve nulle part dans le récit de Matthieu. Combien sont les mages? Notre réponse spontanée est sans doute de dire trois mais cela n’est précisé nulle part dans l’évangile de Matthieu. C’est probablement à partir des cadeaux remis à l’enfant, des trois cadeaux, à savoir l’or, l’encens et la myrrhe, que le nombre des mages a été fixé à trois. Pourtant dans l’Église d’Orient, on a considéré à une époque qu’ils étaient douze, comme les douze tribus d’Israël et les douze apôtres. Comment s’appellent-ils? Les mieux informés d’entre nous diront : Gaspard ou Caspard, Melchior et Balthazar. En Allemagne, encore aujourd’hui, une belle tradition existe pour la fête de l’Épiphanie : on inscrit sur le linteau de la maison les trois lettres CMB, avec les chiffres de la nouvelle année pour signifier à la fois les noms des trois mages – Caspard, Melchior et Balthazar – et exprimer le souhait suivant : Christus Mansionem Benedicat (Que le Christ bénisse la Maison). D’où viennent nos mages? Encore une fois, l’évangile de Matthieu ne précise pas le pays. Les savants se disputent avec arguments à l’appui entre la Perse, pays où l’astrologie était populaire et l’Arabie plus proche du pays des Juifs.
On pourrait faire la même analyse pour le dernier verset de notre évangile : « ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays ». Ici encore fusent les questions liées au non-dit : Où retournent-ils? Que deviennent-ils? Les réponses fusent… pour combler le vide. Une belle légende nous dit qu’ils se dirigèrent vers l’Asie et qu’ils furent baptisés par l’apôtre Thomas, le grand évangélisateur de l’Inde. Une peinture ancienne, dans une église d’Allemagne, nous montre les trois mages avec couronne sur la tête, dans une même cuve baptismale … et ensuite ordonnés prêtres et couronnés évêques. Leurs dépouilles mortelles se promèneront ensuite de Constantinople à Milan pour enfin se trouver au cœur de la cathédrale de Cologne. Une belle et édifiante histoire, n’est- ce pas?
Quelle conclusion tirer des non-dits de l’évangile des mages … et de beaucoup d’autres récits évangéliques? Si les vides à combler peuvent entrainer des débordements fantaisistes, ne peuvent-ils pas aussi provoquer un enrichissement du message évangélique, une poursuite de la quête de sens, une appropriation culturelle de la Bonne Nouvelle? Bonne fête des Rois Mages … et que le Seigneur bénisse notre communauté!
Fr. Yvon Pomerleau, O.P.
PRIÈRE
Dieu éternel et tout-puissant,
par l’avènement de ton Fils unique,
tu as bien voulu rayonner d’une lumière nouvelle ;
puisque nous l’avons vu prendre un corps comme le nôtre,
en devenant l’enfant de la Vierge,
accorde-nous d’avoir part à la grâce dans son Royaume.
Lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.