Homélie, samedi de la 2ème semaine de l’Avent

14 décembre 2024

Se convertir à l'espérance

Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., explore les figures du prophète Élie, Jean-Baptiste et Jean de la Croix comme exemple à se détacher des vielles habitudes pour s’attacher dans leur mission à l’annonce de la volonté de Dieu.

Homélie

À dix jours de Noël, la liturgie nous offre, avec Jésus, trois magnifiques modèles pour nourrir notre attente.

Le grand contemplatif Jean de la Croix est du même bois que Élie et Jean Baptiste. Ils ont en commun une fidélité exemplaire à leur mission, qualité manifestée à son sommet par Jésus. Ils ont tous, d’une manière ou d’une autre, marché à la lumière de la croix. Ensemble, ils parlent d’une présence de Dieu à l’intime de leur être au point qu’ils y ont consacré leurs vies sans réserve, avec une entièreté qui leur donnait de défier toutes les adversités. Le mot de Jean de la Croix convient à tous : « un total détachement pour un attachement total ».

En Élie, Jean Baptiste et Jean de la Croix, nous avons affaire à trois radicaux. La première lecture par la voix de Ben Sira le Sage faisait l’éloge de Élie, le modèle du prophète. Il est assez rare dans la Bible de trouver un tel hommage de la sagesse au prophétisme. Les écrits sapientiaux et prophétiques sont bien distincts. Il arrivera que les uns et les autres s’expriment dans un style poétique, comme Jean de la Croix le faisait pour rejoindre le sublime de son expérience spirituelle, mais habituellement, les sages et les prophètes évoluent dans des champs séparés. Les sages ont tendance à s’attacher à la réalité telle qu’elle est, ils la décrivent avec une sorte de distance, même de méfiance. Ils y vont allègrement de mises en garde, d’avis éclairés sur les actions humaines. Il se dégage de leurs écrits un certain pessimisme. On trouvera chez eux bien peu d’élan, d’exaltation ou d’appel à l’espérance. Ils sont d’une sobriété presque grisâtre. Au contraire, les prophètes sont plongés au cœur des réalités humaines. Ils sont souvent pris à partie et doivent lutter contre des forces d’opposition. Ils dérangent par la véhémence de leurs dénonciations, ils consolent avec des accents de grande douceur, ils encouragent par des visions de paix et de fécondité.

Ben Sira le Sage fait donc l’éloge du prophète Élie. Il admire sa parole de feu, son ardeur, ses prodiges redoutables. Il reconnaît en lui le prophète de la fin des temps. Et dans cet éloge, il se laisse aller à une prophétie : « heureux ceux qui te verront », ce qui contribuait à la pensée répandue qu’un jour Élie réapparaîtrait.

Dans l’Évangile, Jésus confirme que de fait, Élie est bel et bien revenu, dans la personne de Jean le Baptiste. Personne n’ignorait le sort qui a été réservé à celui qui spontanément rappelait la figure du prophète Élie. Malgré l’immense popularité dont jouissait Jean Baptiste, Jésus laisse entendre que le prophète n’a pas été accueilli : « au lieu de le reconnaître, ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu ». Le rejet du Messie était ainsi déjà annoncé. La même plainte vaudrait pour Jean de la Croix qui a été traité misérablement pour ses efforts de réforme.

Ces évocations nous ramènent à l’appel à la vigilance qui est l’une des attitudes réclamées en ce temps de l’Avent. Nous avons toujours à affiner notre regard de foi, à découvrir comment Dieu se manifeste en notre monde, dans notre Église. Les divergences de vues sont normales, mais quand elles tournent à la violence et à l’exclusion, cela signale un dérapage, une sortie de la route de l’espérance. Une authentique espérance sait reconnaître l’œuvre de Dieu, sait découvrir la cohérence entre un message et la Bonne Nouvelle.

Jean de la Croix aurait sans doute pu s’identifier à ces personnages que la liturgie nous présente aujourd’hui. Il avait une conscience aigüe de ce que réclamait la volonté de Dieu et a tenté de l’accomplir, au prix d’immenses sacrifices, jusqu’à connaître une véritable torture dans un séjour en prison. Cette expérience lui a servi pour nourrir son œuvre, particulièrement « La nuit obscure ».  

Jean de la Croix a choisi de prendre un chemin de détachement, de pauvreté radicale pour s’attacher totalement au Christ. C’est dans ce dénuement qu’il affirmait son espérance. Il ne se satisfaisait pas des biens de ce monde qui risquaient de le détourner de sa recherche de profonde communion avec Dieu au centre de son âme, comme un feu intérieur. C’est ainsi qu’il recommande : « Pour arriver à être tout, ne cherche à être quelque chose en rien ». Lui, familier du paradoxe évangélique de mourir à soi-même pour avoir la vie, savait aussi manier les paradoxes dans ses œuvres où ténèbres et lumière en viennent à se confondre.

Jean de la Croix est allé aussi loin que l’on puisse imaginer dans le détachement. C’était pour lui une voie d’union à Dieu, un peu de la même manière que le jeûne affinait chez le peuple juif l’appétit, l’attente pour la venue du Messie qui seule comblerait son espérance et qu’illustrait Jean-le-Baptiste.

La période de l’Avent, à la différence de celle du Carême, n’insiste pas sur les pratiques pénitentielles. Son appel à la conversion est un appel à se convertir à l’espérance. Toute la vie de saint Jean de la Croix semble un immense travail d’espérance. Elle a Dieu pour seul appui. Comment sans elle passer « la nuit obscure »? Avec Jean de la Croix, découvrons que « la vive flamme de l’amour » prend naissance à la petite flamme de l’espérance.

Fr. Raymond Latour, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu inspiras au prêtre saint Jean
le renoncement total à lui-même
et un extraordinaire amour de la croix ;
accorde-nous de suivre fidèlement son exemple,
et de parvenir ainsi à la contemplation éternelle de ta gloire.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.