5 décembre 2024
Le Christ est mon rocher
Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous propose d’utiliser ce temps de l’Avent pour ancrer davantage notre espérance et notre stabilité en l’amour de Dieu et pour réaffirmer notre foi par des actions qui reflète cet amour et Sa volonté pour le monde.

LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (26, 1-6)
En ce jour-là, ce cantique sera chanté dans le pays de Juda : Nous avons une ville forte ! Le Seigneur a mis pour sauvegarde muraille et avant-mur. Ouvrez les portes ! Elle entrera, la nation juste, qui se garde fidèle. Immuable en ton dessein, tu préserves la paix, la paix de qui s’appuie sur toi.
Prenez appui sur le Seigneur, à jamais, sur lui, le Seigneur, le Roc éternel. Il a rabaissé ceux qui siégeaient dans les hauteurs, il a humilié la cité inaccessible, l’a humiliée jusqu’à terre, et lui a fait mordre la poussière. Elle sera foulée aux pieds, sous le pied des pauvres, les pas des faibles.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (7, 21.24-27)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux.
« Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc.
« Et celui qui entend de moi ces paroles sans les mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a construit sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet. »
Homélie
Bâtir sa maison sur le roc ou sur le sable ? Le choix s’impose de lui-même, pour peu qu’on en ait les moyens et que l’environnement s’y prête. Qui ne veut pas bâtir sur du solide ? Pourtant, collectivement, les fondements de notre société n’ont jamais paru aussi… comment dire ? fragiles ? précaires ? vulnérables ? Liquide, « société liquide » serait l’expression qui semble s’imposer pour décrire certains aspects de notre construction sociale.
L’expression vient d’un sociologue, Zygmunt Bauman, décédé en 2017. Il s’est rendu célèbre par ce concept alors qu’il cherchait à cerner en quoi consistent les contours d’une société dite « post-moderne » qui aurait perdu sa stabilité, sa cohésion et qui connaît une sorte d’érosion de ses institutions les plus traditionnelles, les plus fiables.
N’est-ce pas une société au caractère liquide qui émerge ? Nous sommes dans le provisoire, dans l’éphémère, l’instable, le changeant. Comme de l’eau. Cette fluidité met l’accent sur l’individu détaché de l’ensemble social et valorisé par sa capacité à consommer, laquelle détermine son statut. On lui fait l’impératif d’avoir la forme et d’être en forme. Il sera adapté s’il est performant, rapide, mobile. Il est constamment invité à de nouveaux départs, à se re-créer et à se récréer. L’engagement relève d’une autre ère, l’ère du solide. Les relations humaines en sont marquées par leur inconstance et l’incapacité de s’inscrire dans la durée. Selon le sociologue, une société liquide est une société où ni le travail, ni l’amour, ni l’amitié ne sont des structures solides.
Les chrétiens et chrétiennes sont bien au défi d’affirmer que le Christ est leur roc, leur salut, eux qui évoluent dans ce monde où on ne peut faire fond sur rien. Que devient la charité chrétienne dans un contexte où le chacun pour soi est si affirmé ? Le lien social disparaissant au profit d’une consommation frénétique, quelle place pour la solidarité ? quand plus rien n’est durable à part le soi-disant « développement durable » ? Il n’y a de permanent que l’état d’insatisfaction dans lequel le consommateur reste enfermé.
L’équilibre rompu entre sécurité et liberté engendre angoisse et anxiété. Même si notre maison est construite sur le roc, sur le Christ, est-il possible de connaître le bonheur alors que nous flottons dans une société liquide ?
En ce temps de l’Avent, nous sommes amenés à approfondir notre espérance, à redécouvrir des repères intangibles. L’Évangile d’aujourd’hui semble dénoncer la superficialité, la fluidité de ces personnes qui prétendent avoir la foi mais en restent à une affirmation sans fondement dans leurs actes. De dire et répéter « Seigneur ! Seigneur! » participe d’une foi un peu trop liquide. Jésus réclame quelque chose de plus substantiel : « faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Le prophète Isaïe nous accompagne en cette saison. Entendons-le encore aujourd’hui qui nous presse : « Prenez appui sur le Seigneur, à jamais, sur lui, le Seigneur, le Roc éternel ». C’est un appel à toutes les personnes qui se sentent emportées dans la fluidité de notre monde, qui en éprouvent la précarité, qui sont troublées par son caractère changeant dont personne n’est vraiment protégé. « Vous pourriez demain être la personne sans abri », laissait entendre dimanche dernier, à « Tout le monde en parle », une intervenante auprès des sans-abris. Cette même journée, la liturgie nous faisait l’invitation d’approfondir notre vie fraternelle… de faire de nouveaux progrès.
Ce serait notre témoignage chrétien aujourd’hui, d’être proche de tous ceux et celles qui se sentent près de la sortie de la société. À l’encontre de la société liquide, nous engager pour la paix et pour la dignité humaine. Créer du lien, du solide. Adopter un mode de vie prophétique qui aille à l’encontre de la consommation outrancière, du travail abrutissant et sans horizon, de la tyrannie de l’instantané.
En Église, que coule l’eau de notre baptême ! En ce sens, l’Église est la seule société liquide qui vaille puisqu’elle est notre maison fondée sur le roc.
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
Réveille, Seigneur, ta puissance,
et viens à notre secours avec grande force,
afin que le salut retardé par nos fautes soit hâté
par la grâce de ton pardon.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.