Homélie, dimanche de la 1ère semaine de l’Avent

1er décembre 2024

La petite fille espérance

En ce premier dimanche de l’Avent, le frère Yves Bériault, O.P., nous explique en détails et de façon poétique cette vertu théologale à laquelle est dédié le temps de l’Avent : l’espérance, cette force intérieur qui guide la foi et la charité.

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Homélie

Frères et sœurs, saviez-vous que le temps de l’Avent est surtout là pour nourrir notre espérance, cette espérance qui est une grâce, un cadeau, qui nous est accordée par Dieu quand nous mettons notre foi en lui. Mais qu’est-ce que l’espérance ? Disons tout d’abord que l’espérance nous invite à regarder bien plus loin que ce que l’on appelle l’espoir et qui est cette manière bien humaine d’attendre des résultats, des succès, dont on espère la réalisation.

L’espoir joue un grand rôle dans nos vies ; l’espoir est l’assise de tous nos projets, de toutes nos réalisations. L’espoir est toujours lié à la réalisation concrète d’une attente ; que ce soit une bonne nouvelle du médecin ou que les Blue Jays gagnent la série mondiale, et j’en passe. Et quand l’événement attendu est passé, l’espoir n’est plus là, il s’est évanoui.

Mais l’espérance nous accompagne tout au long de nos vies et nous invite à regarder bien plus loin que le calendrier de nos engagements ou de nos attentes. L’espérance ne s’arrête pas aux échecs, elle n’est pas déboutée par les déceptions, les angoisses ou la maladie.

L’espérance sait regarder au-delà de ce qui est provisoire, au-delà même de la mort, surtout de la mort, et jamais sa lampe ne s’éteint quand nous gardons les yeux fixés sur le Christ. L’espérance est ce qu’on appelle une vertu théologale, c.-à-dire, une force intérieure qui nous est donnée par Dieu pour nous conduire jusqu’à lui et nous faire tenir jusqu’au bout.

C’est pourquoi, en ce premier dimanche de l’Avent, nous entendons Jésus qui nous invite à relever la tête, à veiller et à prier avec lui, alors que ce monde passe. Ce monde qui n’est pas le dernier mot de l’amour de Dieu pour nous, mais qui est là comme un premier gage de son amour, et qui, un jour, va céder place à des cieux nouveaux et à une terre nouvelle. Nos espoirs sont faits de nos désirs et de nos projets, alors que l’espérance, elle, nous inspire et nous guide dans chacune des phases de nos vies, et ce jusqu’à la fin, puisqu’elle vient de Dieu.

Le poète Charles Péguy, dans un poème sur la fête de Noël, met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée ; la foi à une épouse fidèle, et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes ou encore de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance…

Qui a déjà été canonisé parce qu’il avait espéré ? Et pourtant, nous dit Péguy avec justesse, c’est la petite fille espérance qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

L’année liturgique, qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique.

Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une ou l’autre des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas sollicitées tout au long de l’année à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou de l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que, par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le carême et le temps pascal me semblent davantage orientés vers la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu ! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté vers l’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers, et elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans jamais s’imposer à nous. Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains.

En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. À Noël, c’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui nous y conduit. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Frères et sœurs, nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats, cette espérance qui nous entraîne à sa suite, elle est de toutes nos luttes, puisque c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule.

C’est pourquoi, frères et sœurs, en ce temps de l’Avent, nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous cette espérance, têtue et obstinée, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra.

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
tu as voulu récapituler toutes choses,
en ton Fils bien-aimé, Roi de l’univers :
dans ta bonté, fais que, libérée de la servitude,
toute la création serve ta gloire
et chante sans fin ta louange.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.