15 novembre 2024
Oser dans la confiance
En ce jour où nous célébrons saint Albert-Le-Grand, le frère André Descôteaux nous invite à faire fructifier les dons reçus et rendre grâce à Dieu pour la confiance qu’il dépose en nous, à l’exemple du grand maître Albert.
LIVRE DE BEN SIRAC LE SAGE (6, 18-21. 33-37)
Mon fils, dès ta jeunesse, accueille l’instruction, et jusqu’à l’âge des cheveux blancs tu trouveras la sagesse. Comme celui qui laboure et fait les semailles, cultive-la et attends ses bons fruits. Tu peineras un peu pour la travailler, mais bientôt, tu mangeras de ses produits. Aux ignorants, elle semble terriblement dure, et qui n’a pas d’intelligence n’y persévère pas : elle pèse sur lui comme une lourde pierre, et il ne tarde pas à la rejeter.
Si tu prends plaisir à écouter, tu apprendras, et si tu prêtes l’oreille, tu deviendras sage. Tiens-toi dans la compagnie des anciens ; si tu trouves un sage, attache-toi à lui. Écoute volontiers tout discours qui vient de Dieu, et ne néglige aucun proverbe sensé. Si tu vois quelqu’un de bon sens, cours vers lui dès le matin, et que tes pieds usent le seuil de sa porte. Réfléchis aux préceptes du Seigneur, applique-toi toujours à étudier ses commandements ; lui-même affermira ton cœur, et ton désir de sagesse sera comblé.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”
Homélie
Il vous est sans doute déjà arrivé de vous retrouver devant une personne qui vous impressionne beaucoup et qui vous fait perdre vos moyens au point de vous sentir paralysé. Il y a quelques années à l’occasion du jubilé de l’Ordre, le pape François recevait tous les membres du chapitre général qui avait lieu à Bologne. Après l’allocution du maître de l’Ordre et la sienne, nous l’avons tous salué individuellement. Je me suis risqué de lui parler en espagnol : il était loin d’être parfait tellement j’étais intimidé, mais ce fut quand même sympathique tellement le pape François s’était montré accueillant.
Je me demande si le serviteur à qui le maître avait confié un talent n’a pas été paralysé par la vision qu’il a de son maître. À l’entendre, il avait terriblement peur de son maître qu’il n’a pas voulu prendre aucun risque, même pas déposer l’argent à la banque. Pauvre de lui! Plus il parle, plus il se calle. Le maître reprend ses propres paroles pour le condamner. Nous savons bien que la dureté attribuée au maître ne s’applique pas à notre maître, le Christ Jésus, qui, au dernier jour, reprenant les mots de la parabole, reviendra d’un long voyage.
En effet, dans l’Évangile de Matthieu, il se présente comme doux et humble de cœur. Il est ému aux entrailles devant la souffrance. Il est plein de miséricorde envers les pécheurs, quels qu’ils soient. Il choisit même parmi les publicains celui qui deviendra l’apôtre Mathieu. Certes, il se montre exigeant. Il s’attend à ce que ses disciples agissent conformément à ce qui leur a été ordonné, mais, en tant que maître, il est celui qui prend Pierre par la main quand il coule. Il apaise la tempête devant ses apôtres terrifiés. Il est encore celui qui donnera sa vie en rançon pour la multitude. À la fin de l’évangile, il promet d’être avec ses disciples tous les jours jusqu’à la fin des temps. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur. Au contraire, nous pouvons nous sentir en confiance avec Jésus.
Quand il distribue les talents, cette énorme somme d’argent, à chacun c’est tout d’abord en fonction de leurs capacités. Autrement dit, il n’impose pas de fardeaux impossibles à porter. Pas de piège, mais bien plutôt un signe de confiance. Voilà pourquoi nous devrions nous sentir honorés de nous voir confier, nous, ses disciples, un, deux, cinq talents. Mais ces talents, ne sont-ils pas d’abord et avant tout cet Évangile, ce trésor pour lequel on vend tout ce que l’on possède pour l’acquérir ? Durant son long voyage, c’est justement la Bonne Nouvelle qu’il a proclamée qu’il remet à chacun, chacune d’entre nous pour la faire fructifier, pour que d’autres découvrent la joie que Jésus est venu semer dans le monde.
Évidemment, saint Albert le Grand était un homme d’une grande intelligence, un génie, selon les critères humains. À lui aussi, le Christ lui a confié le plus beau des trésors : l’Évangile. À cause de son intelligence, peut-être avait-il déjà une grande confiance en lui-même, mais, ici, il s’agit d’autre chose. Non pas la confiance que nous pouvons avoir par nous-mêmes, mais la confiance que nous éprouvons parce que proches du Christ Jésus qui nous fait confiance et qui nous pousse à la créativité et à l’inventivité. Les sociétés sont différentes. Dans le temps, elles évoluent. Il faut donc sans cesse rendre audible et crédible la Bonne Nouvelle. Ainsi en a-t-il été pour Saint Albert qui s’est retrouvé à la naissance d’un nouvel Occident, avec l’émergence de nouvelles classes sociales et avec la découverte de penseurs grecs aussi importants qu’Aristote. Il n’a pas eu peur. Il s’est permis toutes les audaces. Aucun recoin du savoir humain qu’il n’a exploré. L’univers est habité par la présence secrète du Dieu de l’Évangile. Pourquoi craindre, être paralysé? Il a cherché. Il a enseigné. Sa foi l’a sans cesse poussé à aller plus loin. Il a, dans le contexte nouveau qui était le sien, fait fructifier l’évangile en le présentant d’une manière originale. Un des fruits de son activité sera saint Thomas d’Aquin. C’est lui qui accompagnera le jeune Thomas d’Aquin dans sa recherche théologique. Et c’est encore lui qui, après la mort de ce dernier, le défendra contre les attaques d’hérésie dont il a été la victime. Eh oui, même saint Thomas d’Aquin a été accusé d’hérésies, et plusieurs!
Dans l’évangile de ce jour, il n’est malheureusement pas question d’un serviteur qui aurait osé placer la somme confiée et qui aurait tout perdu. Personnellement, j’aurais bien aimé savoir ce que le maître lui aurait dit. Mais je suis convaincu que s’il s’était attiré des reproches, ceux-ci n’auraient pas été aussi sévères que ceux adressés au serviteur qui, par peur, avait enfoui le talent dans le sol, car il avait osé. Il avait pris le risque de l’Évangile.
Ainsi, dans cette eucharistie, rendons grâce à Dieu pour la confiance qu’il nous témoigne, pour le don qu’il nous fait de son Évangile pour que nous le fassions fructifier comme saint Albert le Grand a su le faire éminemment..
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Seigneur Dieu,
tu as voulu que l’évêque saint Albert Le Grand
mérite le nom de grand
pour avoir concilié sagesse humaine et foi divine ;
accorde-nous, à l’école d’un tel maître, de parvenir,
à travers les progrès des sciences,
à te connaître plus profondément et à t’aimer davantage.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.