Homélie, dimanche de la 30ème semaine du Temps ordinaire

27 octobre 2024

Entendre les cris des souffrants

Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous invite à toujours rester sensibles à la souffrance humaine dans notre monde et, comme Jésus et comme notre pape François, à agir selon nos capacités, afin que ces voix ne soient pas étouffées.

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Homélie

Dans le récit du passage de Jésus à Jéricho sur la route qui le menait à Jérusalem, on rencontre un élément lumineux, une Bonne Nouvelle : c’est la guérison de l’aveugle Bartimée. En même temps, on est frappé par la présence d’un élément sombre, dramatique : celle de la tentative des gens accompagnant Jésus de faire taire le cri de l’aveugle. Le prétexte pour le faire taire était facile : il ne fallait pas déranger le Maître qui devait se rendre, avec d’autres pèlerins, dans la Ville Sainte. En effet, pourquoi retarder tout un cortège pour un aveugle connu, un homme jugé sans importance, habitué de mendier aux portes de Jéricho ? Ce qui est troublant ici, c’est que des disciples immédiats de Jésus sont probablement intervenus pour faire taire Bartimée. Sauf que Jésus, lui, dans le brouhaha de la foule, a entendu le cri de ce souffrant. Il a probablement entendu aussi les rudes remontrances de ceux qui voulaient faire taire ce malappris qui dérangeait tout le monde.

C’est dans ce contexte que Jésus a posé deux gestes qui auront un impact non seulement sur la vie de Bartimée, mais aussi sur celle des pèlerins en route vers Jérusalem. D’une part, il arrête la foule qui l’accompagne et invite Bartimée à le rejoindre. Ce mendiant aveugle, ce marginalisé social, Jésus le traite comme une personne unique, digne d’être écoutée, comme une personne déjà pleinement aimée de Dieu. Aussi lui demande-t-il : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Puis, à sa requête : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! », Jésus répond immédiatement en lui disant : « Va, ta foi t’a sauvé. » Il ne fait pas que lui donner accès à la lumière du jour. Il transforme son cœur. Bartimée devient un croyant en Jésus. Aussi le voyons-nous devenir immédiatement capable de suivre Jésus et même de se joindre au défilé des pèlerins montant à Jérusalem.

Ajoutons immédiatement que Jésus a fourni aux gens qui faisaient partie du défilé une illustration du drame que vivent trop souvent les hommes, les femmes et les enfants qui souffrent et qui ne sont pas entendus ou qui ne sont pas écoutés. Trop souvent, on empêche ces derniers de faire connaître ouvertement leur souffrance. Pour Jésus, jamais, pour être fidèle à l’amour du Père, on doit se permettre de faire taire les souffrants. Car, dernière leurs cris, il y a non seulement une douleur ou une forme de détresse, mais un appel au secours, une demande d’aide. C’est un lieu où l’amour du prochain doit explicitement se manifester.

Nous le savons tous, faire taire les souffrants, c’est là une pratique présente tout au long de l’histoire humaine. C’est là une manifestation du drame humain que l’on ne peut cacher, une blessure infligée à la fraternité. Dans les siècles passés, en Europe par exemple, on a vu les moines, les religieux et religieuses chercher à répondre aux cris des malades, à ceux qui souffraient des pénuries alimentaires et des épidémies. Mais leurs réponses étaient toujours partielles, insuffisantes. Bien des nobles et des riches ne voulaient pas entendre les cris de ces souffrants. De nos jours, dans les sociétés à sécurité existentielle reconnue, la souffrance prend souvent d’autres visages. On parle de l’isolement des personnes âgées dans nos grandes villes, des gens qui ne parviennent pas à s’intégrer socialement, d’individus qui souffrent de problèmes mentaux. Et puis, nous savons qu’il y a des régimes politiques qui traitent leurs citoyens et citoyennes d’une manière qualifiée d’inhumaine. Les régimes politiques totalitaires sont passés maîtres dans les stratégies inventées pour faire taire les résistants et les insoumis. Ils ne tolèrent pas que des individus et des collectivités se permettent de déroger aux orientations politiques du parti en place. En Chine par exemple, ces derniers temps, les croix ont été enlevées de tous les édifices utilisés pour le culte. Et dans les salles de rencontre des chrétiens et chrétiennes, la photo du président Xi Jinping est généreusement mise en évidence. Façon de rappeler aux croyants et croyantes que le véritable salut, celui qui compte, c’est celui que le régime communiste actuel apporte déjà et continuera d’apporter dans les décennies à venir.

C’est là un exemple de l’étouffement que vivent des populations entières. Un autre exemple de souffrants dont les cris sont souvent étouffés : c’est celui des vagues de migrants qui vont se buter à des frontières qui se referment de plus en plus. En effet, des millions de personnes cherchent à échapper à la misère matérielle, sociale et politique qui les atteint. Les pays qui offrent des conditions de vie enviables ont peur d’être petit à petit envahis. À ces migrants qui crient leur détresse, les autorités politiques répètent qu’elles n’ont plus les ressources pour les accueillir. En conséquence, elles durcissent leurs politiques d’accueil, elles élèvent des murs de protection. Or, malgré la complexité de la situation actuelle, le pape François a posé un geste, en juillet 2013, qui a surpris bien des observateurs. Si le pape avait simplement publié un texte invitant les pays favorisés à partager davantage avec les migrants, peu de gens auraient réagi. Mais il a choisi de poser un geste d’éclat. Il s’est rendu à Lampedusa, en Sicile, et s’en est pris ouvertement à l’indifférence du monde face à la mort de centaines de migrants qui avaient péri en Méditerranée. Il a voulu, lui, faire entendre le cri de détresse de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui avaient péri, mais aussi celui de tous ceux qui étaient prêts à tout dans l’espoir d’avoir accès à une vie humainement décente. Le pape était tout à fait conscient de la complexité de la crise migratoire actuelle. Il était aussi conscient de la part de responsabilité des autorités politiques de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine qui n’offraient pas à leurs citoyens et citoyennes le minimum de sécurité sociale. Malgré cela, il ne voulait pas que les gens qui ont du pouvoir s’organisent pour étouffer le cri des réfugiés et des migrants. Il tenait à ce que l’attitude de Jésus à l’endroit des souffrants, à l’endroit de Bartimée en particulier, soit entendue dans la majorité des pays du monde.

Nous devons l’avouer, nous sommes souvent dépassés par l’ampleur de la souffrance au sein de notre monde. Car nous vivons dans un monde déchiré, un monde en mal de salut. Retenons que Jésus, devant les maladies et la souffrance qu’il rencontrait, n’était pas naïf. Il voyait bien qu’il ne guérirait pas tous les malades de Galilée et de Judée. Mais, par son geste à l’endroit de Bartimée, il a tenu à clairement montrer que tous ceux et celles qui choisiraient de le suivre devraient être à l’écoute des cris des souffrants. Surtout, il a voulu que ses disciples cherchent à leur apporter un secours à la mesure de leurs ressources et de leurs moyens. Il a tenu à ce que le drame qu’engendre le durcissement du cœur soit de plus en plus réduit là où seraient présentes des communautés chrétiennes.

Aujourd’hui, en entendant le récit de la guérison de l’aveugle Bartimée, nous sommes invités non seulement à mieux accueillir l’Évangile mais surtout à reconnaître que l’Esprit Saint nous rejoint au quotidien. Retenons que les gens qui étaient dans la foule, à la sortie de Jéricho, ont vu leur regard changer ainsi que leur cœur à la suite de la guérison de Bartimée. Puissions-nous faire une expérience de conversion semblable à la leur ! Puissions-nous surtout apprendre à entendre et à écouter comme Jésus l’a fait à Jéricho !

Fr. Jean-Louis Larochelle, .O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ;
et pour que nous puissions obtenir ce que tu promets,
fais-nous aimer ce que tu commandes.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.