Homélie, jeudi de la 29ème semaine du Temps ordinaire

24 octobre 2024

La paix. Quelle paix?

Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous explique une des 33 « paroles dures » de Jésus dans l’Évangile, celle qui exprime un paradoxe difficile à accepter : la Bonne Parole peut être source de division et de discorde.

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Homélie

Le fait est indéniable, inscrit dans les livres d’histoire, l’humanité a connu des guerres de religions, des peuples se sont déchirés au nom de leurs croyances. Impossible non plus d’ignorer que des familles se sont divisées pour des motifs religieux, incapables d’accepter qu’un des leurs appartienne à une autre confession de foi. La religion facteur de cohésion et d’unité a aussi souvent été source de conflits et d’exclusions.

Jésus, et plus encore les premières communautés chrétiennes ont été à même de constater ces oppositions et ces ruptures, jusqu’au sein même des familles. Est-il vraiment, comme il le laisse entendre, responsable de ce désordre?

Comment pouvaient réagir les disciples, et les croyants et croyantes de tous les âges, devant le spectacle désolant de divisions, de rupture des liens familiaux? À l’expérience, le porteur de paix au nom de l’Évangile s’avère un facteur de discorde. La paix n’est-elle pas le bien le plus précieux, celui qu’il faudrait protéger à tout prix? La tentation, pour qui vit en situation de conflits, la tentation est grande d’identifier Jésus comme source de divisions et d’en arriver à renoncer à sa foi pour rétablir la paix avec les siens. Comment surmonter ce qui constitue un véritable scandale, une pierre d’achoppement dans un parcours de foi? Faut-il renoncer à sa foi pour avoir la paix? La foi est-elle bien la source de la paix que tout être humain recherche?

De manière assez paradoxale, Jésus prend à rebours la croyance de ses disciples : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division ». Cette déclaration a été recensée parmi les 33 « paroles dures » de l’évangile. Elle semble, à première vue, aller directement en contradiction avec la béatitude « heureux les artisans de paix! » et ce souhait qui accompagnait l’annonce de la naissance du Sauveur : « sur la terre, paix pour les hommes ses bien-aimés ». Syméon n’en laissait pas moins entendre que ce Jésus serait là « pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël, et pour être un signe contesté » (Lc2,34-35).

Alors toute cette question de paix nous ramène finalement à l’identité et à la mission de Jésus : est-il ou non le Messie attendu, celui qui apportera la paix au peuple? Le prophète Michée ne laissait-il pas entrevoir que la venue du Messie mettrait fin à tous ces déchirements qu’il observait : « le fils insulte le père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère, chacun a pour ennemis les gens de sa maison. Mais moi, je regarde vers Yahvé, j’espère dans le Dieu qui me sauvera; mon Dieu m’entendra » (Michée 7,6-7). Grave question : depuis le temps de Michée, qu’est-ce que la venue de Jésus a changé? La situation ne s’est-elle pas empirée? « Moi, si je parle de paix, eux sont pour la guerre », dit le psalmiste. La volonté de paix se heurte à de farouches résistances. Qui nous fera voir la paix?

Commençons par la négative. Ce monde, humain, trop humain ne peut nous apporter la paix à laquelle nous aspirons. L’esprit du monde en est un où règne la confusion entre le bien et le mal, la vérité et le mensonge, les faits et la fiction, la lumière et les ténèbres.

L’être humain est capable du meilleur comme du pire. Mais lorsque ses intérêts sont en jeu, il peut être impitoyable, féroce, et recourir à n’importe quel prétexte, même à saveur religieuse, pour satisfaire ses convoitises. Nous sommes divisés au cœur même de notre être. Nous éprouvons en nous-mêmes cet affrontement entre la chair et l’esprit. L’être humain, laissé à ses propres forces est incapable d’atteindre à la paix véritable. Elle ne sera jamais qu’une paix apparente, fragile, aussi précaire que les conditions changeantes qui la déterminent.

Alors, la religion vient-elle jeter de l’huile sur le feu? Sert-elle de carburant à l’instinct de guerre? L’être humain, animal territorial, utiliserait-il la religion pour marquer ses espaces? Qui en douterait? Combien d’extrémistes drapés dans l’enthousiasme religieux! Combien de fanatiques prêts à instrumentaliser une religion pour une cause xénophobe ou raciste! Combien d’atrocités commises au nom d’un Dieu qui aurait été blasphémé ou ignoré! Là où religion et raison ne vont pas de pair, la religion risque d’être à la remorque de la violence. Vatican II a bien tenté de pacifier l’univers des religions. Les leaders religieux s’efforcent de lever toute ambigüité pour affirmer l’opposition radicale entre violence et religion, mais les actes extrémistes et les lois oppressives ont toujours cours.

Depuis Moïse jusqu’à Jésus, la Révélation a montré le chemin du dépassement de la violence pour la rencontre du Dieu de l’Alliance. La paix, le pardon, la réconciliation, ce temps de grâce advenu en Jésus-Christ a amené avec lui une absolue nouveauté. Une déclaration ouverte d’un amour inconditionnel qui échappe à toute mesure humaine.

C’est bien là le feu que Jésus a apporté sur la terre. Le feu de l’Esprit qui sera répandu, au prix d’un baptême, du don de sa propre vie. La paix pascale. La mission de Jésus et la nôtre.

La paix, il nous l’a donnée. Mais pas à la manière du monde. Il nous faut encore la recevoir, se laisser guider par cet Esprit de paix qui nous protège contre les mensonges même les plus sacrés.

Fr. Raymond Latour, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
qui régis et le ciel et la terre,
exauce, en ta bonté, les supplications de ton peuple
et donne à notre temps la paix qui vient de toi.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.