13 octobre 2024
Attachements et détachements
En ce dimanche, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous invite à réfléchir aux choses et aux personnes auxquelles nous sommes attachés et qui pourraient nous alourdir, nous empêcher de suivre librement le Christ et son Évangile.
LIVRE DE LA SAGESSE (7, 7-11)
J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue.
Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.
LETTRE AUX HÉBREUX (4, 12-13)
Frères, elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (10, 17-30)
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Homélie
La figure du jeune homme riche est connue : c’est celui qui n’a pas répondu à l’appel de Jésus. Cela arrive. Cela nous est peut-être déjà arrivé ! Voici une rencontre à la fois touchante et questionnante. En Marc (10, 20), il s’agit d’un homme ; en Matthieu (19, 20), d’un jeune homme ; en Luc (18, 18), d’un notable. Mais dans les trois cas, il a de grands biens (Mc 10, 22 ; Mt 19, 22), il est très riche (Lc 18, 22). Marc nous présente Jésus en dialogue avec cet homme, qui ne se met pas à sa suite ; puis en dialogue avec ses disciples qui, eux, l’ont suivi mais se posent des questions. Dans les deux cas, le regard de Jésus est mentionné (v. 21 et 23).
Nous voyons cet homme arriver à Jésus en courant et se jeter à ses pieds. Voilà quelqu’un d’ardent et de décidé ! Il est motivé : il veut savoir ce qu’il faut faire pour accéder à la vie éternelle. De plus, il a confiance en Jésus, qu’il appelle Bon Maître. Jésus lui répond en lui rappelant des éléments des dix Paroles qui touchent la relation à autrui de diverses manières. Tout cela, l’homme le fait déjà : c’est vraiment un bon gars ! On comprend la réaction de Jésus : il regarde avec attention cet homme fidèle et attachant et il l’aime.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais elle continue. Car, en suivant Jésus, il s’agit d’aller plus loin, il ne suffit pas d’être un bon gars, de ne faire de tort à personne. Ni d’ailleurs d’être un pécheur. Jésus lui demande de faire un pas de plus, un engagement personnel à sa suite, i.e. de devenir un disciple. Et l’homme qui courait perd son élan. Il bloque. Il retourne en arrière et s’en va, triste. Pourquoi ? Jésus a touché le point sensible, là où une libération était possible en demandant un dépassement. Cet homme est riche ; mais en plus, il est attaché d’abord à ses biens. Plus qu’à Jésus.
Notre vie est faite d’attachements et de détachements. Les deux sont liés. Pour cet homme, s’attacher à Jésus, y trouver son trésor implique de se détacher des biens, qui par définition sont bons. Dans la Bible, les biens sont tellement bons qu’ils sont faits pour être partagés, particulièrement avec ceux dans le besoin. Il semble que, pour cet homme, ses biens étaient devenus des idoles, le séparant de Dieu et des autres. Il manque ainsi un tournant de sa vie, d’où sa tristesse.
Cette rencontre porte à réflexion. Jésus lui-même fait une observation sur l’entrée dans le Royaume et sa difficulté. Celui-ci, fait de miséricorde, de paix et de justice, appelle à un retournement, à un décentrement, pour se tourner vers l’essentiel, de façon risquée. Sur ce chemin à la suite de Jésus, les richesses risquent d’alourdir et de bloquer. Dans cet échange, les disciples sont étonnés, stupéfaits ! Pour eux, et c’est la même mentalité d’hier à aujourd’hui, la réussite matérielle est un signe que Dieu nous bénit. Alors comment Jésus peut-il se montrer si exigeant ? Ils sont confus.
Jésus voit les choses autrement. Il voit le cœur des humains de l’intérieur, leur fermeture et leur attachement aux moyens plutôt qu’au but, et en même temps leur capacité d’ouverture et toutes ses possibilités. Et les réactions des disciples lui permettent d’élargir l’horizon. Le salut, le Royaume, n’est pas acquis seulement au bout de nos efforts, juste par nous-mêmes. Il est un don de Dieu pour qui tout est possible. Un don qui peut toucher le cœur humain et le transformer quand il accueille, quand il prend le risque de s’ouvrir à plus grand. Parce que Dieu est bon, comme le disait Jésus au début de cet évangile (v.18).
Et la preuve est là : ces disciples qui ont tout laissé pour suivre Jésus, malgré les attachements de toutes sortes qui les retenaient. Ils ont fait ce détachement non en soi, mais à cause de Jésus et de l’Évangile, à cause d’un attachement qui venait les chercher plus profondément, radicalement, avec tout leur être. Et il semble bien que cela valait la peine. Peut-être que l’homme riche a poursuivi sa quête, entre richesse et sagesse, ou qu’il la poursuit encore, autour de nous et en nous. Quand je regarde mon parcours, quels attachements et quels détachements ont marqué ma marche à la suite de Jésus ? Et actuellement, dans cette marche, qu’est-ce qui m’alourdit et qu’est-ce qui me donne des ailes ?
En cette veille de l’Action de grâces, rendons grâce au Dieu bon, qui nous appelle à aller plus loin, à la suite de Jésus notre frère et notre guide, sur les chemins du don et de la gratitude. Amen.
Fr. Daniel Cadrin, O.P.
PRIÈRE
Nous t’en prions, Seigneur,
que ta grâce nous devance
et qu’elle nous accompagne toujours,
pour nous rendre attentifs à faire le bien sans relâche.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.