Homélie, mardi de la 27ème semaine du Temps ordinaire

8 octobre 2024

La vaisselle peut attendre !

Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., examine la situation et l’état d’esprit de Marthe et de sa sœur Marie et nous aide à comprendre exactement ce que Jésus offre de vivre à ses deux amies.

Homélie

Que se passe-il dans la cuisine de Marthe ? Le bruit des casseroles s’entend jusqu’au salon où Jésus et Marie sont en grande conversation. Peut-être n’ont-ils rien entendu, absorbés qu’ils sont dans leur dialogue, mais pour qui a des oreilles, on ne peut s’y tromper, Marthe n’est pas de bonne humeur !

Et la voilà qui explose ! Elle entre au salon et déballe toute sa frustration. Mais plutôt que de s’adresser directement à sa sœur, elle demande en quelque sorte à son invité de se poser en arbitre ou encore lui reproche une certaine complicité avec sa sœur. Elle interpelle le visiteur : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ». Comme s’il revenait à Jésus de présider à la répartition des tâches ! Elle lui demande maintenant d’intervenir : « Dis-lui donc de m’aider ». De quoi mettre son invité dans un terrible embarras.

Jésus, très conciliant, pour apaiser l’atmosphère, aurait pu dire à Marie d’aller prêter main forte à sa sœur. Non, il déclare plutôt à Marthe qu’elle se « donne du souci et s’agite pour bien des choses ». De quoi mettre de l’huile sur le feu et faire fulminer la pauvre Marthe qui se « désâmait » avec ses chaudrons! « Merci pour l’appréciation ! Belle reconnaissance pour tout le mal que je me donne ! », aurait-elle pu répliquer, mais l’évangile ne nous dit rien de sa réaction.

Pourquoi Marthe s’est-elle adressée à Jésus plutôt qu’à sa sœur ? Avait-elle supposé que Marie lui ferait la sourde oreille tandis qu’elle se rendrait plutôt à l’autorité de Jésus ? Possible. Mais, peut-être avait-elle ressenti un malaise, un doute, voire un questionnement sur la légitimité, la solidité, la vérité, de sa position. Elle avait besoin plus d’un renforcement que d’une approbation. Un doute se serait insinué en elle : le problème est-il chez Marie ou bien chez elle ? La finale de l’évangile nous en donnera la clé.

Jésus, en s’adressant à Marthe lui fait d’abord une affirmation : « une seule chose est nécessaire ». Marthe n’est-elle pas justement occupée à cette chose nécessaire, les préparatifs du repas ? Jésus poursuit en disant que « Marie a choisi la meilleure part ». La seule chose nécessaire serait à identifier à la meilleure part. Comment comprendre ? Une tradition de l’Église a interprété cette remarque de Jésus comme une allusion à la vie contemplative qui serait la meilleure part et la vie active, d’un autre degré d’excellence, mais inférieure.

Notons que Jésus déclare que Marie a choisi la meilleure part. Elle nous est présentée comme une femme libre, qui a fait un choix, visiblement un bon choix, puisqu’il s’agit de la meilleure part. Si on vous donne le choix et que la meilleure part est disponible, allez-vous y renoncer ? Peut-être, si vous êtes d’une grande charité et ne voulez pas priver une autre personne de cette part, ou si vous êtes assez humble pour croire que la « meilleure part » revient à quelqu’un d’autre. Mais il n’est pas dit que Marthe en ait été privée du fait du choix de Marie.

Peut-être Marthe avait-elle eu l’intuition que le choix de Marie était bien le meilleur et que son intention n’était pas de le lui enlever. Jésus précise justement que « la meilleure part » de Marie ne lui sera pas enlevée. C’est celle du disciple, assise aux pieds du Maître. Pour sa part, après son intrusion au salon Marthe devra-t-elle retourner à ses chaudrons ? Réclamera-t-elle pour elle-même la meilleure part ?

Marthe, jusqu’ici, a évolué dans le monde de la nécessité et de la contrainte. À ne pas confondre avec celui du service qui implique une vraie liberté intérieure, ce dont Marthe semble bien dépourvue. Elle agit à contrecœur, avec un ressentiment, une frustration qu’elle n’arrive plus à dissimuler.

Dans sa cuisine, elle était enfermée dans le monde de la nécessité, ou ce que le monde impose comme nécessité. Toutes ces tâches auxquelles il faut répondre, impérativement. Au point d’en arriver au surmenage et au « burnout ». Tout est impératif dans cet univers.

Marie a su se dégager de la nécessité pour converser avec Jésus, être vraiment avec lui. Elle a conservé son option, même lorsque sa sœur a fait irruption dans le salon. Elle aurait pu se lever aussitôt de son siège et s’excuser pour aller retrouver sa sœur. Ce serait un réflexe normal. De répondre à l’appel de la nécessité, de répondre au rappel à l’ordre. Mais Marie n’a pas bougé. Elle est restée là. Elle a fait montre d’une grande force de caractère pour ne pas obéir à la tyrannie de la nécessité.

Marthe éprouve bien un malaise. Elle voit sa sœur, elle l’envie peut-être. Bien sûr, quelqu’un doit préparer le repas, mais pas au point de renoncer à sa liberté, de s’immoler avec ses chaudrons ! Personne, sauf Jésus, pouvait dire à Marthe que la nécessité n’était pas forcément dans sa cuisine. Qu’il n’y a qu’une seule chose qui est nécessaire. Tout le problème est que cet unique nécessaire n’est pas contraignant. Il faut se dégager, s’abstraire de ce qui nous réclame au quotidien pour le trouver. Ce n’est pas se désengager de ses responsabilités mais affirmer que l’existence ne doit pas être entièrement engloutie dans les appels de la cuisine.

Que choisira donc cette chère Marthe ? Il y a de la place pour elle aux pieds de Jésus. L’unique nécessaire s’y trouve. La vaisselle peut attendre !

Fr. Raymond Latour, O.P.

 

Note : un peintre français en séjour au couvent d’Ottawa y a peint une fresque représentant avec humour le repas chez Marthe et Marie. Au menu : du blé d’Inde !

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
dans ta tendresse inépuisable,
tu combles ceux qui t’implorent,
bien au-delà de leurs mérites et de leurs désirs ;
répands sur nous ta miséricorde
en délivrant notre conscience de ce qui l’inquiète
et en donnant plus que nous n’osons demander.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.