Homélie, dimanche de la 27ème semaine du Temps ordinaire

6 octobre 2024

Ce que Dieu a séparé, Dieu le réunit

Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous fait redécouvrir le passage de la Genèse concernant l’apparition de l’homme et de la femme ainsi que le projet de Dieu pour une humanité ouverte sur l’altérité, l’accueil, le dialogue et l’amour !

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Homélie

Peut-être parce que je suis un romantique fini, j’aime voir les gens en amour. J’aime entendre un ami de mon âge appeler sa bien-aimée ‘mon chou’. Les films d’amour qui se terminent bien m’émeuvent. Je n’ai pas le cynisme de Sacha Guitry qui soutenait que ‘si l’amour rend aveugle, le mariage rend la vue’. Ou encore, ‘le mariage, c’est résoudre à deux les problèmes qu’on n’aurait pas eus tout seul’.

L’amour c’est beau. L’amour c’est grand. Je réentends notre Céline nationale chanter à la clôture de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris l’hymne à l’amour de la grande Édith Piaf qui se termine ainsi.

Si un jour, la vie t’arrache à moi,
Si tu meurs, que tu sois loin de moi

Dieu réunit ceux qui s’aiment.

Pourtant tout semble se compliquer avec Dieu, du moins avec la religion. Je lisais cette semaine dans un éditorial d’une très sérieuse revue catholique britannique, The Tablet, ‘Il existe un schisme silencieux parmi les fidèles sur le divorce, la contraception, l’avortement, les relations sexuelles hors mariage, etc. Cette dissidence peut-elle être simplement considérée comme une désobéissance pécheresse ou comme la preuve que cet enseignement, qui touche si intimement la vie des femmes, s’est égaré ?’

Vous comprendrez qu’une homélie ne peut s’attaquer sérieusement à cette difficile question. Je vous propose tout simplement de suivre la suggestion de Jésus qui renvoie ses interlocuteurs au commencement, tout au début, au moment où Dieu crée le ciel et la terre ainsi que l’être humain. Jésus ne se situe jamais dans l’horizon légaliste du permis et du défendu, mais dans celui du dessein originel du Dieu créateur, source de toute vie et de tout amour.

Scrutons donc ce commencement tel que présenté dans le deuxième récit de la création que nous avons entendu en première lecture et dont vous avez une copie. Vous aurez remarqué que la traduction lue est fort différente de celle à laquelle nous sommes habitués.

En effet, pas d’homme au sens de mâle, mais un humain, un être humain générique au point que nous pouvons dire qu’avant que l’humain ne se soit endormi par l’action de Dieu, pas d’homme masculin ni féminin! S’ensuit un isolement que Dieu juge inacceptable.

Il veut que cet humain ait un secours comme son vis-à-vis. Le mot ‘secours’ a un sens beaucoup plus fort qu’une aide. Comme le mot le dit, il s’agit d’un secours vital qui sauve d’un danger mortel : celui de l’isolement, celui du repli sur soi-même. L’humain n’est pas fait pour se contempler dans un miroir. Il est fondamentalement relationnel. Ainsi Dieu lui cherche un secours qui sera ‘comme son vis-à-vis’. Comme et non identique. L’autre ne sera pas un décalque. Au contraire, avec ce vis-à-vis, le dialogue s’impose sans exclure la confrontation. Autrement dit, une relation qui pourra prendre différents visages.

Après que l’humain n’eût pas trouvé dans les animaux un secours comme son vis-à-vis, Dieu plonge celui-ci dans le sommeil de sorte que l’origine de l’homme et de la femme échappe radicalement à chacun. Cette différence entre l’homme et la femme, ce mystère auquel chacun sera confronté à sa source en Dieu et est un don à recevoir par les deux.

Il n’en demeure pas moins que l’auteur nous donne quelques indications sur la manière d’agir de Dieu. « Il construisit le côté qu’il avait pris de l’humain en femme ». Le terme hébreu qui, depuis saint Jérôme, avait été traduit par côte, est rendu ici par côté. Il faut savoir que le mot hébreu utilisé ne signifie jamais un os. Il ne peut donc pas être une côte. Dieu aurait ainsi pris un côté de l’humain et construit à partir de ce côté une femme.

Comment réagit l’homme? Nous pourrions être éblouis par son enthousiasme. Mais attention. Tout d’abord, il parle d’elle et non à elle. Pas un mot ne lui est adressé. Ne devait-elle pas être son vis-à-vis? Pire, il la ramène à lui! Écoutons ce qu’il dit : ‘celle-ci, cette fois, est os de mes os et chair : à celle-ci il sera crié « femme » (isshâ) car d’« homme » (îsh) a été prise, celle-ci!’ Pauvre Adam, il se trompe complètement! Il veut ramener à lui sa moitié, comme si elle lui appartenait, comme si on l’avait prise de lui.

Avez-vous remarqué également que Dieu n’est absolument pas mentionné ? Aucune gratitude. C’est mal parti! En passant, Ève qui ne dit pas un mot, qui se laisse ainsi traiter, prendra sa revanche quand elle accouchera de Caïn. À sa naissance, elle dira « j’ai acquis un homme avec l’aide du Seigneur ». Le géniteur a pris le bord, comme on dit. Il est remplacé par son fils, qu’elle désigne comme un homme alors qu’il n’est que petit bébé. Elle ignore complètement le père. Dans l’histoire humaine, c’est la première fois, mais sans doute pas la dernière.

Phénomène très rare dans la Bible, le narrateur se permet un commentaire un peu bizarre, car, si je ne m’abuse, le premier homme et la première femme n’ont pas de parents! « À cause de cela », dit-il, c’est-à-dire parce que « il est spontanément difficile d’accepter l’insécurité provoquée par le manque, l’altérité et le non-savoir. Ainsi, vivre une juste relation supposera un long chemin. Un homme devra quitter le monde « de papa et maman », le monde familier qui lui fournit ses repères et le rassure. En prenant le risque de l’inconnu, il pourra s’attacher peu à peu à sa femme dans une relation qui fera place à la différence de chacun. Alors ils recevront l’un de l’autre d’être (de devenir peu à peu) une « chair unique », une personne à part entière assumant sa singularité et donc sa fragilité ».

Que retenir de notre lecture?

– Concernant la différence entre homme et femme, le récit est discret. Nulle part, elle n’est décrite. Nulle part, l’homme n’est dit supérieur à la femme. Nulle part, la femme n’est présentée comme le complément de l’homme. Elle ne provient pas de lui. La différence entre les deux est radicale même si elle n’est pas précisée.
– L’enjeu est de voir comment l’homme et la femme vont conjuguer leurs singularités.
– On ne peut s’appuyer sur ce texte pour soutenir une priorité de l’homme sur la femme ni voir en l’homme un principe actif et en la femme un principe passif.
– Le dialogue n’est pas facile même pour le premier couple. Ce récit doit nous consoler. L’aventure de l’amour est grande. Elle est belle, mais la réussite, si je peux m’exprimer ainsi, n’est pas garantie. Il faut quitter père et mère pour s’attacher à l’autre et non attacher l’autre à soi-même.
– Si le dialogue est au cœur de la relation entre l’homme et la femme, il faudrait sans doute entendre la voix des femmes lorsque les hommes d’Église définissent la morale.

Jésus, dans l’évangile, conclut sur ses paroles « ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas ». À la blague, si, en Genèse, Dieu sépare l’homme et la femme, dans l’évangile il les unit. « Alors que le texte de Genèse évoque la difficulté de la relation entre femme et homme et l’état d’esprit qu’elle suppose pour être épanouissante, Jésus développe ce que cette relation peut permettre : construire une véritable unité entre les partenaires, une unité capable de défier la durée ». Jésus élargit la perspective comme si Dieu poursuivait son œuvre en unissant ce qui est différent.

La vie est la vie avec tout ce qu’elle comporte. Voilà pourquoi je conclurai (enfin !) en citant le pape François. Dans son exhortation apostolique Amoris laetitia (la joie de l’amour), il écrit : « un discernement particulier est indispensable pour accompagner pastoralement les personnes séparées, divorcées ou abandonnées ». Il poursuit : « Il est important de faire en sorte que les personnes divorcées engagées dans une nouvelle union sentent qu’elles font partie de l’Église, qu’elles ‘ne sont pas excommuniées’ et qu’elles ne sont pas traitées comme telles, car elles sont inclues dans la communion ecclésiale » (no 242 et 243).

Rendons grâces à Dieu pour nous avoir créés comme nous sommes, pour nous avoir ouvert le chemin de l’altérité, de l’accueil, du dialogue et de l’amour ! Rendons grâces à Dieu qui est venu jusqu’à nous en Jésus pour faire alliance avec nous, dans la diversité de ce que nous sommes. Ainsi comme le dit le pape François à la fin de sa lettre, « Ne désespérons pas à cause de nos limites, mais ne renonçons pas non plus à chercher la plénitude d’amour et de communion qui nous a été promise ». 

Fr. André Descôteaux, O.P. (1)

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu as voulu que toute loi de sainteté consiste à t’aimer
et à aimer son prochain :
donne-nous de garder tes commandements,
et de parvenir ainsi à la vie éternelle.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.

 

(1) Je me suis grandement inspiré des analyses de l’exégète belge André Wénin. Pour approfondir sa pensée, je suggère la lecture de son livre : D’Adam à Abraham, ou les Errances de l’humain. Gn 1:1-12-4, Paris, Cerf, coll. « Lire la Bible, no 148 », 2007, 252 p.