5 octobre 2024
La béatitude des petits
Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous explique comment Jésus semble bien considérer que les pauvres et les petits sont bénis de Dieu, et nous invite à devenir comme eux : capables de voir et d’entendre l’éternelle nouveauté de Dieu manifestée en Jésus Christ.
LIVRE DE JOB (42, 1-3.5-6.12-17)
Job s’adressa au Seigneur et dit : « Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est impossible. Quel est celui qui déforme tes plans sans rien y connaître ? De fait, j’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles hors de ma portée, dont je ne savais rien. C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu. C’est pourquoi je me rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre. »
Le Seigneur bénit la nouvelle situation de Job plus encore que l’ancienne. Job posséda quatorze mille moutons et six mille chameaux, mille paires de bœufs et mille ânesses. Il eut encore sept fils et trois filles. Il nomma la première Colombe, la deuxième Fleur-de-Laurier, et la troisième Ombre-du-regard. On ne trouvait pas dans tout le pays de femmes aussi belles que les filles de Job. Leur père leur donna une part d’héritage avec leurs frères.
Après cela, Job vécut encore cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils : quatre générations. Et Job mourut âgé, rassasié de jours.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (10, 17-24)
En ce temps-là, les 72 disciples que Jésus avait envoyés revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. ».
Homélie
Les grands de ce monde sont censés avoir des privilèges, c’est pourquoi on les qualifie volontiers de « privilégiés ». Leur position sociale, leur force économique leur donne accès à des biens interdits au commun des mortels. Ils vivent dans une autre sphère, à l’abri des soucis et ne sont jamais qu’à un « clic » de tous leurs désirs. De même, une élite intellectuelle peut se prévaloir de connaissances qui ne sont pas à la portée de tous. Ils participent tous à la béatitude de l’argent, du pouvoir, du savoir. Le monde les félicite ! Mais l’Évangile tient un tout autre langage.
Ces derniers jours, la liturgie semble bien résolue à nous inviter à « se faire comme cet enfant » ou à accueillir « un de ces petits ». Elle nous a aussi plongé dans un climat d’enfance spirituelle avec la mémoire de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et sa petite voie, puis en honorant les anges gardiens, eux aussi en relation avec les petits. L’humble saint François d’Assise indiquait ce même chemin de pauvreté. La liturgie met peut-être autant d’insistance à nous dissuader de vouloir être « grand » ou « le plus grand ». Jésus ne manque pas de stigmatiser l’orgueil de ces villes qui ont rejeté sa venue.
Il nous faut convertir nos ambitions : se faire le dernier, le serviteur de tous, devenir comme de petits enfants pour être le plus grand dans le royaume des cieux, lequel doit être accueilli à la manière des enfants. Comme pour enfoncer le clou, la première lecture nous fait entendre des extraits du livre de Job. Oui, celui que le langage populaire a rendu célèbre : « être pauvre comme Job ». Job qui s’était résigné à tout plutôt que de maudire Dieu pour le malheur qui l’affligeait. Il reçoit finalement le centuple pour sa fidélité : non, contrairement à ce que croyaient ses faux-amis, il n’avait pas perdu la bénédiction de Dieu!
Glorification de la pauvreté ? Invitation aux pauvres à se résigner à leur sort ou même à s’en réjouir ? Cela irait à l’encontre de toute une mentalité biblique qui interprète la richesse, la prospérité, l’abondance des récoltes, comme signe de la bénédiction de Dieu. Pourtant Jésus semble bien considérer que les pauvres et les petits sont bénis de Dieu. Cette réalité ne s’est pas imposée à lui facilement. Jésus est passé par tout un cheminement pour en arriver à une étonnante découverte : ce sont les pauvres, les petits qui ont les yeux pour voir, les oreilles pour entendre.
L’échec de sa prédication, particulièrement auprès des élites religieuses, et le refus de croire de certaines villes orgueilleuses, ont pu plonger Jésus dans la perplexité. Comment, pourquoi, les gens les mieux préparés à accueillir son message y restent-ils insensibles ? Pourquoi le don de Dieu ne les rejoint-il pas ? Il y avait de quoi s’affliger et se lamenter. Mais voilà que sous l’action de l’Esprit se produit un « eurêka », une sorte d’illumination pour Jésus. Soudain, il comprend ! Il comprend ce qu’il n’arrivait pas à intellectualiser et qui fait partie du mystère de Dieu : il y a une profonde affinité entre Dieu et les tout-petits. C’est à eux que Dieu se révèle. Ils ont un appétit de le connaître. Ils ont une antenne pour capter sa parole de grâce, ils ont un cœur capable de l’accueillir. Non pas que Dieu rejette les sages et les savants, non pas que Dieu s’oppose à la raison ou à la recherche scientifique, mais tous ces avantages ne sont pas forcément propices pour rejoindre le cœur de Dieu, sa miséricorde. Les pauvres et toutes les personnes qui s’y apparentent, y ont un accès direct. Ils voient, ils entendent alors que d’autres, en apparence mieux nantis, mieux équipés, restent sourds et aveugles, comme privés du sens de la foi.
Le bienheureux Raymond de Capoue, que les Dominicains célèbrent aujourd’hui, a œuvré avec fermeté pour que ses frères Prêcheurs soient préservés de « cette bête monstrueuse : l’orgueil et le souci de sa réputation qui mine et détruit toute œuvre bonne ». Il disait à ses frères : « Implorez Dieu pour qu’il vous donne l’esprit d’humilité ». Ce sera notre prière aujourd’hui pour que nous puissions rejoindre Jésus dans son mouvement d’exultation envers le Père qui donne aux plus petits de voir et d’entendre l’éternelle nouveauté de Dieu manifestée en Jésus Christ.
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
Seigneur Dieu,
quand tu pardonnes et prends pitié,
tu manifestes au plus haut point ta toute puissance ;
multiplie pour nous les dons de ta grâce:
alors, en nous hâtant vers les biens que tu promets,
nous aurons part au bonheur du ciel.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.