12 septembre 2024
L'ennemi à éliminer
Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous explique comment dépasser nos attitudes et comportements habituels envers nos ennemis et comment « tuer » l’ennemi véritable à la manière de Jésus.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (8, 1b-7.10-13)
Frères, la connaissance rend orgueilleux, tandis que l’amour fait œuvre constructive. Si quelqu’un pense être arrivé à connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faudrait ; mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est vraiment connu de lui.
Quant à manger ces viandes offertes aux idoles, le pouvons-nous ? Nous savons que, dans le monde, une idole n’est rien du tout ; il n’y a de dieu que le Dieu unique. Bien qu’il y ait en effet, au ciel et sur la terre, ce qu’on appelle des dieux – et il y a une quantité de « dieux » et de « seigneurs » –, pour nous, au contraire, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons ; et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout vient et par qui nous vivons.
Mais tout le monde n’a pas cette connaissance : certains, habitués jusqu’ici aux idoles, croient vénérer les idoles en mangeant de cette viande, et leur conscience, qui est faible, s’en trouve souillée.
En effet, si l’un d’eux te voit, toi qui as cette connaissance, attablé dans le temple d’une idole, cet homme qui a la conscience faible ne sera-t-il pas encouragé à manger de la viande offerte aux idoles ? Et la connaissance que tu as va faire périr le faible, ce frère pour qui le Christ est mort. Ainsi, en péchant contre vos frères, et en blessant leur conscience qui est faible, vous péchez contre le Christ lui-même.
C’est pourquoi, si une question d’aliments doit faire tomber mon frère, je ne mangerai plus jamais de viande, pour ne pas faire tomber mon frère.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (6, 27-38)
En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
« Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
« Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »
Homélie
Quoi faire de ses ennemis ? Plusieurs options s’offrent à nous.
La solution de l’évitement est certainement la plus commune. Il s’agit de les tenir à distance ou de s’en protéger quand ils s’approchent. Dans ce dernier cas, le parti de les ignorer semble le plus sûr, le moins risqué, le plus socialement acceptable. C’est « l’accommodement raisonnable » qui suppose que votre ennemi accepte une sorte de convention de non-agression dans une mutuelle indifférence apparente.
Il y a toujours l’option offensive consistant à nourrir encore un peu plus les conflits. Si on se trouve dans l’incapacité de nuire directement à son ennemi, la médisance est d’un bon recours pour garder active l’inimitié. Entretenir l’amitié, certainement, mais aussi entretenir l’ennemi, lui souhaiter du mal et continuer à le haïr au plus profond de son cœur. Il suffit pour cela de remuer les causes du ressentiment, de se convaincre encore et toujours de sa traîtrise, de sa lâcheté, de sa méchanceté, de son injustice, de son insensibilité, de son… autant l’accabler de tous les défauts du monde ! Il a bien mérité d’être votre ennemi ! C’est l’option de « l’ennemi cultivé », comme on arrose son jardin. Un petit meurtre psychologique, tuer son ennemi aussi souvent qu’il ressurgit dans vos pensées !
Jésus nous propose une troisième option, celle-là très radicale. Elle est à la portée de tous, mais on y a rarement recours. Disons les choses brutalement : Jésus nous invite lui aussi à tuer nos ennemis ! Il nous en expose la méthode dans l’Évangile que nous venons d’entendre.
Comment liquider vos ennemis ? Avec quelle arme ? Quel poison ? Cela vous intéresse ? En voici la recette, infaillible. L’amour. Aucun ennemi n’y a jamais survécu ! Elle nous vient de celui qui « en sa personne a tué la haine » (Ep 2,16). Comment l’amour pourrait-il avoir raison de la haine ? N’y a-t-il pas un mur d’incommunicabilité entre eux ? Comment procéder pour obtenir le résultat souhaité ?
Jésus nous propose d’abord de ne pas suivre notre pente naturelle qui serait de remettre à notre ennemi la monnaie de sa pièce, répondre au mal par le mal, à l’insulte par l’insulte. Difficile ? Peut-être, mais qui veut la fin prend les moyens ! Pour contrer cette tendance toute humaine, pourquoi ne pas déconcerter votre ennemi par un geste de bonté ? « Faites du bien à ceux qui vous haïssent » … voilà une petite manœuvre guerrière qui ne manquera pas de faire son effet. Après cette première touche, poursuivez l’attaque dans votre propre cœur : « souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient ». Chaque jour, une petite dose de ce régime devrait venir à bout de l’ennemi le plus coriace. Il n’y aura plus qu’à y ajouter un peu de générosité pour l’achever complètement !
Mais dans cette tentative de liquider l’ennemi, nous devons livrer bataille à l’ennemi qui se loge à l’intérieur de nous, celui qui revendique, qui réclame vengeance, qui veut obtenir satisfaction, qui ne se contenterait de rien d’autre que de la reddition de l’adversaire, une capitulation en bonne et due forme. Notre ennemi intérieur ne manquera pas, avec beaucoup de rationalisations, de se regimber devant toute tentative de bonté envers qui nous a fait du mal. Il nous traitera de « looser », il nous reprochera de ne pas nous respecter, d’agir en faibles. C’est lui qu’il nous faut vaincre d’abord pour accéder à l’arme décisive de l’amour.
Soyons bien au fait que l’amour qui tuera notre ennemi ne provient pas de nous, mais du Christ. Sans lui, nous resterions dans nos impasses relationnelles. Sans lui, nous ne ferions que perpétuer le cycle de la vengeance et de l’inimitié. Sans lui, nous nous empoisonnerions l’existence à toujours coexister avec notre ennemi, en lui faisant une place telle que notre cœur en serait totalement occupé.
Pour se lancer dans cette entreprise amour-haine, il nous faut encore une motivation supérieure. Pour quel motif voudrait-on en finir avec son ennemi ? Pourquoi devrions-nous nous priver de la présence de la personne que l’on aime détester ? Jésus nous en indique le mobile : il s’agit de s’affirmer dans sa spécificité de fils et filles de Dieu, en aimant comme Dieu, en faisant miséricorde comme lui qui est bon « pour les ingrats et les méchants ».
Nous avons l’arme du crime, l’amour. Le motif : être vraiment des fils et filles du Très-Haut. Il ne reste plus qu’à passer à l’acte !
Fr. Raymond Latour, O.P.
PRIÈRE
Nous t’en prions, Dieu tout-puissant :
que la bienheureuse Vierge Marie obtienne les bienfaits
de ta miséricorde
en faveur de tous ceux qui célèbrent son nom glorieux.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.