9 septembre 2024
Une croissance difficile
Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous explique les débuts difficiles de la jeune communauté chrétienne de Corinthe au temps de saint Paul et fait un lien avec les défis d’évangélisation que notre Église connait aujourd’hui.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (5, 1-8)
Frères, on entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, une inconduite telle qu’on n’en voit même pas chez les païens : il s’agit d’un homme qui vit avec la femme de son père. Et, malgré cela, vous êtes gonflés d’orgueil au lieu d’en pleurer et de chasser de votre communauté celui qui commet cet acte.
Quant à moi, qui suis absent de corps mais présent d’esprit, j’ai déjà jugé, comme si j’étais présent, l’homme qui agit de la sorte : au nom du Seigneur Jésus, lors d’une réunion où je serai spirituellement avec vous, dans la puissance de notre Seigneur Jésus, il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi, son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur.
Vraiment, vous n’avez pas de quoi être fiers : ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté.
Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC (6, 6-11)
Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la synagogue et enseignait. Il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. Les scribes et les pharisiens observaient Jésus pour voir s’il ferait une guérison le jour du sabbat ; ils auraient ainsi un motif pour l’accuser.
Mais lui connaissait leurs raisonnements, et il dit à l’homme qui avait la main desséchée : « Lève-toi, et tiens-toi debout, là au milieu. » L’homme se dressa et se tint debout. Jésus leur dit : « Je vous le demande : Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ? de sauver une vie ou de la perdre ? »
Alors, promenant son regard sur eux tous, il dit à l’homme : « Étends la main. » Il le fit, et sa main redevint normale.
Quant à eux, ils furent remplis de fureur et ils discutaient entre eux sur ce qu’ils feraient à Jésus.
Homélie
Au cours des derniers jours, nous avons lu des extraits de la 1ère lettre de saint Paul aux Corinthiens. L’image qui ressort de ces textes, c’est celle d’une Église en proie à de sérieux conflits d’ordre communautaire et théologique et marquée en parallèle par un laxisme moral évident. Mais pourquoi donc cette communauté chrétienne a-t-elle connu une croissance aussi éprouvante et dramatique ? Rien de semblable au parcours réconfortant de la communauté chrétienne de Philippes.
À cette question, l’exégète Daniel Marguerat, dans son livre Paul de Tarse (2023), répond en retenant d’abord le fait que cette jeune communauté chrétienne n’avait pas pu compter sur une présence prolongée de saint Paul et de ses assistants. En effet, ces derniers arrivent à la ville portuaire de Corinthe en l’an 50 et en repartent environ dix-huit mois plus tard. Malgré cette courte présence, la nouvelle communauté chrétienne comptait alors environ 50 baptisés. À retenir toutefois que cette communauté était majoritairement composée de convertis d’origine païenne. Et ces convertis avaient été marqués soit par le culte à l’empereur divinisé ou encore par les cultes à Apollon ou à Zeus, à Artémis ou à Athéna. En outre, saint Paul a choisi de compter sur les « maisonnées » disséminées dans la ville pour favoriser l’évangélisation. Ce modèle favorisait aussi l’esprit de chapelle et les jeux d’influence. Bref, laissés à eux-mêmes après le départ de l’apôtre, ces nouveaux chrétiens ont eu tendance à revenir à leurs anciennes visions religieuses et à leurs habitudes. Et le défi qu’ils avaient à relever était énorme : il leur fallait se construire une identité chrétienne en plein milieu païen sans pouvoir compter sur un modèle concret à imiter. D’où les tâtonnements et les conflits, et ce, tant aux plans de la pensée que de la pratique. Ce n’est pas sans raison que saint Paul, apprenant ce qui se passait au sein de cette communauté, en particulier le scandale du chrétien qui vivait avec la femme de son père, pouvait leur dire : « Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. »
Voilà certains éléments des origines troublées de la communauté de Corinthe. Or, certains chrétiens et chrétiennes du Québec ont actuellement le sentiment de vivre le même désarroi que les baptisés corinthiens. À cause du dysfonctionnement de l’encadrement paroissial traditionnel dans nos milieux, les autorités catholiques de divers diocèses ont invité, au cours des dernières années, les baptisés à se regrouper en petits groupes, en « maisonnées », dans le but de nourrir leur foi et de devenir des acteurs efficaces de l’évangélisation. Malheureusement, après quelques années d’expérimentation, les observateurs sont forcés de reconnaître que l’entreprise est boiteuse, difficile. Les personnes qui n’avaient pas de lien avec une communauté chrétienne et qui se sont converties au cours des dernières années se sentent trop souvent étrangères en présence des personnes qui se disent chrétiennes depuis leur enfance. Ici, il n’y a pas que les sensibilités religieuses qui sont différentes, il y a aussi des manières différentes de comprendre la fidélité à Jésus et à son Évangile. D’où des incompréhensions et même l’éclatement de « maisonnées ». Certains membres plus informés de ces groupes restreints font spontanément un lien avec l’expérience de l’Église de Corinthe. Cette Église, disent-ils, malgré ses tâtonnements, a réussi progressivement à répondre à l’appel du Seigneur. L’Esprit Saint l’a soutenue. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour nous aujourd’hui, au Québec ? Ne devrions-nous pas, nous aussi, nous montrer persistants dans l’épreuve ? Tabler nous aussi sur le travail de l’Esprit ? Ne pourrions-nous pas tabler sur la parole de saint Paul : « Nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu et vous êtes le champ que Dieu cultive, la maison qu’il construit. » (I Co 3, 9)
Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.
PRIÈRE
Seigneur Dieu, source de tout bien,
réponds sans te lasser à notre appel :
inspire-nous de discerner ce qui est juste
et dirige-nous pour que nous puissions l’accomplir.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.