Homélie, dimanche de la 19ème semaine du Temps ordinaire

11 août 2024

Plusieurs modèles de vies chrétiennes

Ce dimanche, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous explique comment différents modèles de sainteté et de vie chrétienne se sont développés depuis les petites communautés de saint Paul.

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Homélie

Vivre sa foi au Christ Jésus, au milieu du premier siècle de notre ère au sein de l’empire romain, constituait tout un défi. Saint Paul en était très conscient. Il savait que les petites communautés chrétiennes dispersées autour de la Méditerranée étaient condamnées à vivre dans l’épreuve et la persécution. Car ces communautés devaient vivre dans l’illégalité du fait qu’elles refusaient de participer au culte païen à rendre à César. Par ailleurs, pour les chefs de synagogues, ces communautés nouvelles étaient hérétiques et donc à combattre. Saint Paul, pour sa part, ne cachait pas aux nouveaux chrétiens ce qu’il avait dû endurer en tentant de proposer le Christ Jésus et son Évangile dans les villes où il avait séjourné. En l’an 57, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, il rappelle certaines de ses tribulations : cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups moins un, trois fois j’ai été battu de verges, une fois j’ai été lapidé (cf. II Co 11, 23-33). À Damas et à Lystres, on a voulu le tuer, à Antioche, il a été expulsé de la ville par les autorités civiles. Bref, l’apôtre Paul laissait entendre aux nouveaux chrétiens qu’ils connaîtraient, eux aussi, la persécution.

Or, c’est au cœur de son expérience de persécuté que saint Paul va se proposer comme modèle à imiter. S’il dit, dans sa lettre aux Éphésiens : « Cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés » (Ep 5,1), il sera plus concret dans sa première lettre aux Corinthiens : « C’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés en Jésus Christ. Je vous exhorte donc : soyez mes imitateurs ». (I Co, 4, 15-17) L’argumentation de saint Paul était simple : puisque j’imite le Christ, en m’imitant vous imiterez à votre tour le Christ. Ne disait-il pas : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ. » ? (1 Co 11,1) À la base, c’est l’imitation de l’amour du Christ Jésus qui a donné sa vie sur la croix.

Que constatons-nous ici ? Saint Paul se présente comme un modèle de vie chrétienne adapté au contexte religieux et politique de l’époque. Et c’est la possibilité du martyre qui venait donner une couleur tout à fait singulière à ce modèle héroïque de vie chrétienne. Modèle qui ne demandait pas que du courage et de la constance, mais une foi indéracinable en Jésus comme source de la vie ultime en Dieu. D’ailleurs, les premières générations chrétiennes se sont rapidement reconnues dans ce modèle où l’attachement au Christ devait être inconditionnel. Vivre chrétiennement, c’était être prêt à faire face à la menace de l’emprisonnement et de la mort brutale. Les membres de ces communautés ne pouvaient pas fermer les yeux sur le fait que des disciples de Jésus avaient déjà connu le martyre. C’est pourquoi ils trouvaient dans les attitudes et les pratiques adoptées par saint Paul un chemin de vie.

Or, ce modèle particulier de vie chrétienne incluant la possibilité du martyre a été mis en sourdine à partir du IVe siècle, du moins sur le territoire de l’empire romain. En effet, à partir de l’an 313, l’empereur Constantin va décider de protéger la minorité chrétienne au sein de son empire. De christianisme hors-la-loi, la religion chrétienne sera d’abord tolérée, puis deviendra la religion officielle de l’État en l’an 381. Ce fut là une période de transition qui changea profondément le statut des chrétiens. De persécutés, ils deviennent des citoyens protégés et même favorisés par le pouvoir politique. Un tel renversement a eu un impact profond sur la façon de penser et de vivre sa vie de baptisé. Afin de maintenir vivante la radicalité de l’Évangile, on a alors vu apparaître petit à petit, au sein du réseau chrétien, un nouveau modèle de vie. Comme le précédent, il était inspiré par une volonté de se laisser brûler par l’amour de Dieu et de le manifester dans la vie de tous les jours. Ce nouveau modèle, c’était celui du moine et de la moniale. Ce choix de vie se voulait radical. Pour demeurer dans une communion fidèle au Christ Jésus, ils choisirent de rompre en quelque sorte avec le monde, de mener une vie où les attaches avec la vie sociale traditionnelle étaient réduites au maximum. Pour ces moines et ces moniales, l’objectif essentiel à poursuivre, c’était la vie céleste à venir et non pas la vie d’ici-bas. Ceci les amena à vivre en marge, loin des villes, dans des milieux ruraux. Ils s’imposèrent une vie matérielle simplifiée, des pratiques ascétiques exigeantes et plusieurs heures par jour de prière communautaire. Comme les monastères se sont multipliés tout au long du Moyen-Âge, le modèle de vie chrétienne qu’ils incarnaient s’est répandu. Les laïcs étaient en conséquence invités à les imiter. À leur tour, ils ne devaient pas s’attacher aux biens du monde, tout en étant incités à vivre dans la charité et la fraternité. Ils avaient à s’imposer des jeûnes, à ne pas chercher l’enrichissement, à faire une place significative à la prière. La vraie vie, ce n’était pas la vie présente, sur terre, mais la vie éternelle à espérer avec force. Cette spiritualité inspirée du mouvement monastique a marqué la vie des croyants et croyantes pendant des siècles. À ce propos, le choix des saints et des saintes que l’Église a proposés comme modèles à imiter est révélateur. Le modèle de vie chrétienne particulièrement valorisé était alors celui du détachement du monde terrestre pour mieux rechercher le monde à venir.

Voilà qu’un autre grand changement de modèle de vie chrétienne s’est produit avec la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle. Les processus d’industrialisation et d’urbanisation, ainsi que le développement des sciences et des technologies ont eu pour effet de modifier en profondeur l’expérience que les hommes et les femmes ont alors faite de notre monde. Ils ont pris conscience du pouvoir croissant que l’humanité avait sur sa propre destinée historique. Ils ont aussi pris conscience du fait que les inégalités sociales n’étaient pas coulées dans le béton, que des transformations sociopolitiques étaient possibles. En d’autres termes, la sécurité existentielle devait être offerte à la majorité des membres des sociétés. Dans ce nouveau contexte socio-économique et culturel, on a vu les chrétiens et chrétiennes s’engager à lutter pour plus de justice dans les rapports sociaux et plus d’humanité dans le monde du travail. Pensons ici au mouvement de l’Action catholique, à partir des années 1930. Les travailleurs et travailleuses catholiques étaient invités à reconnaître que l’amélioration des conditions de vie des gens était une mission pleinement évangélique, qu’elle relevait de la charité chrétienne. Le Concile Vatican II, lui, dans les années 60, est venu reconnaître la bonté de la création ainsi que l’importance de l’action des laïcs chrétiens au cœur des sociétés. Les pères du Concile se sont ainsi exprimés : « La vocation propre des laïcs consiste à chercher le Règne de Dieu (…) à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu. Ils vivent au milieu du siècle, (…), et à cette place, ils sont appelés par Dieu à travailler à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment… ». (cf. Lumen Gentium, no 31) On est bien loin ici de la spiritualité du mépris du monde. Pour préciser cette prise de position du Concile, nous pouvons rappeler que la théologie de la libération, développée en Amérique latine, a mené des générations de baptisés à s’investir dans la transformation de structures politiques et économiques de manière à assurer une vie décente au plus grand nombre possible de citoyens et citoyennes. Un nouveau modèle de sainteté chrétienne émergeait ainsi dans le monde de la modernité.

Ainsi constatons-nous que les chrétiens, au cours des siècles, ont dû prendre en compte les transformations des conditions de vie des citoyens et citoyennes. Mais, en même temps, leur souci du don de soi pour la vie des autres, par amour de Dieu, a été continuellement nourri. Les modèles de sainteté ont changé, mais jamais leur inspiration fondamentale n’a été touchée : celle de donner sa vie comme le Christ Jésus l’a fait en allant jusqu’au bout de sa mission sur la croix. C’est cette même inspiration qui doit nous nourrir. En conséquence, que l’Esprit Saint nous soutienne !

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu éternel et tout-puissant,
comme l’enseigne l’Esprit Saint,
nous pouvons déjà t’appeler du nom de Père ;
fais grandir en nos cœurs l’esprit d’adoption filiale,
afin que nous soyons capables d’entrer un jour
dans l’héritage qui nous est promis.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.