31 mars 2024
La folie de son Amour
En ce jour de la Résurrection du Christ, Mgr Alain Faubert, évêque auxiliaire de Montréal nous livre une homélie pour nous plonger dans le mystère merveilleux de Pâques.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (16, 1-8)
Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus. De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil. Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande.
En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” » Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Homélie
Qui a écrit cette phrase célèbre : « La folie, c’est de faire la même chose encore et encore et de s’attendre à des résultats différents. » ; « Insanity is doing the same thing over and over again and expecting different results. » ? On l’a attribuée à Albert Einstein, comme bien d’autres dictons, Albert Einstein qui a d’ailleurs écrit sur sa page Facebook : « N’allez surtout pas croire que j’ai dit tout ce qu’on m’attribue sur Internet ! »
Non, c’est plutôt une trouvaille de la romancière féministe américaine Rita Mae Brown. « La folie, c’est de faire la même chose encore et encore, et de s’attendre à des résultats différents » ; elle a aussi eu cette autre réflexion sur la folie : « Selon les statistiques, une personne sur quatre serait folle. Si vos trois meilleurs amis ne sont pas fous, alors c’est vous ! »
La folie… mes amis… la folie de refaire la même chose encore et encore, en espérant un résultat différent… À traverser avec vous les lectures qui nous ont été proposées en cette Vigile pascale, j’en arrivais à me dire : « Dieu est fou! »
Regardez le nombre de fois où il fait et refait alliance avec l’humanité. Et chaque fois, ça plante. Et encore, on aura été quand même discrets dans nos choix de lectures; on n’a pas tout lu de l’histoire d’amour fou de Dieu avec sa Création.
Alliance avec Adam et Ève : il y avait un ver dans la pomme. Nouvelle alliance avec Noé et l’arc-en-ciel; puis vient la tour de Babel et on ne se comprend plus! Encore une nouvelle alliance avec Abraham, mais sa descendance se déchire; Joseph est vendu par ses frères; leurs enfants deviennent tous esclaves en Égypte. Nouvelle alliance avec son peuple à travers Moïse, mais le veau d’or et les idoles de Canaan sont toujours tentants. Encore une autre alliance avec David, son élu, un homme de son choix, mais les fils, les petits-fils se détournent constamment de leur Dieu; ils « firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur », en entraînant la majeure partie du peuple avec eux. Jusqu’à l’exil à Babylone.
À regarder tout ça, oui, on peut se dire : Dieu est fou! Ou bien il est niaiseux, ou bonasse, ou entêté… ce qui n’est pas vraiment mieux.
On va objecter que c’est parce que Dieu est fidèle qu’il agit comme ça. Mais, on le sait bien, on voit autour de nous de ces fidélités malsaines, comme cette femme battue qui reste et endure, des fidélités aveugles, des dépendances, des co-dépendances faites de déni, de refus de voir la réalité en face. Il y a, mes amis, de folles fidélités.
Alors, Dieu est-il vraiment fou? Avec le Seigneur, Dieu d’Israël, on aura appris à se méfier des jugements hâtifs.
Les premiers à nous suggérer une autre interprétation des choses, ce sont les prophètes. On a entendu le grand Isaïe, le petit Baruch, Ézéchiel enfin. Il aurait fallu lire aussi Jérémie, Joël, Zacharie, Osée.
Ah, mes amis, les prophètes! Heureusement les prophètes, pour se lamenter, au nom de Dieu, des infidélités du peuple. Heureusement les prophètes, pour rappeler à tout le monde, à temps et à contretemps, en paroles et en gestes symboliques, au péril de leur santé physique et mentale, rappeler à tous que Dieu est là, que son alliance est offerte, qu’il est libérateur et sauveur. Comment est-ce qu’on pourrait le confondre avec Baal, avec Mardouk et les autres idoles?
Mais surtout, heureusement les prophètes pour nous mettre sur la piste de la véritable fidélité de Dieu. Sa fidélité créatrice ! Dieu n’est pas nostalgique d’une alliance du passé, d’un paradis perdu, d’une restauration illusoire. S’il fait et refait alliance, il ne tourne pas en rond. Il sait qu’Adam est, comme son nom l’indique, un « terreux », une fragile argile, à peine sortie de la boue des origines.
Alors, il s’assure, par les prophètes, d’éduquer les terriens que nous sommes. Déjà Isaïe nous met en garde en son nom : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins (…) Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. »
Annonce lointaine de la Parole qui vient, de la Sagesse qui apparaît sur la terre et vit parmi les hommes.
Annonce surtout d’une alliance nouvelle qui ne sera pas comme celles d’autrefois. Écoutez Jérémie : « Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte (…) Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés (…) Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »
Ça ressemble à ce qu’on a entendu d’Ézéchiel tout à l’heure : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit (…) vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. »
Alors, Dieu est fou? Non, pas du tout ! Pédagogue ! Fidèle? Oui, mais pas figé dans le passé, pas de retour en arrière. Créateur ! Comme au premier jour. Entêté? Déterminé surtout à aller à la racine du mal, à ce qui fait que l’humanité décroche à répétition de l’alliance qu’il lui propose. La véritable cause des échecs, dans le cœur des humains.
Quel est donc cet obstacle à surmonter? Le Seigneur le sait, ce n’est pas qu’un obstacle à franchir; c’est un ennemi à vaincre, à éliminer, à abattre.
Cet ennemi n’a pas un nom très populaire de nos jours. Il se nomme « Péché ». Avec lui, la Mort est entrée dans le monde. Et la Mort, le dernier ennemi, comme dit saint Paul, nous tient par les… entrailles. Parce qu’on veut vivre, bien sûr ! Et la peur de la mort, l’angoisse de la mort, nous pousse à mordre, à écraser, à tout faire : mentir, voler, séduire… pour exister. Le péché et la mort. Main dans la main! « Natural born killers ! »
Il fallait donc, comme le dit la Lettre aux Hébreux, libérer tous ceux et celles (et nous en sommes) qui, par crainte de la mort, passaient leur vie dans l’esclavage (He 2, 15).
Donc : tuer la mort, éliminer, éradiquer le péché! Mais comment? Si on se retrouve ici, cette nuit, ce matin, frères et sœurs, c’est qu’on sait bien comment le Seigneur s’y est pris. Et nous n’en croyons pas nos yeux ni nos oreilles!
Pour effacer le péché, Dieu s’est laissé identifier au péché, sur la croix de la malédiction qui devient bénédiction. Pour assassiner la mort, Dieu plonge et se noie dans la mort. Trahi, renié, abandonné. Seul, comme on sera seuls, nous aussi, même entourés de nos amis, face à l’ennemi, le gouffre, le néant, la Mort.
Et après la mort de Jésus sur la Croix? Rien. Le silence.
Mais, à l’aurore du troisième jour annoncé par le prophète Osée, un signe. Pas de coups de tonnerre, pas de trompettes triomphantes. Une pierre roulée pour laisser entrer des femmes dans un tombeau vide. La rencontre d’un inconnu lumineux. Un message plein d’énigmes: le Crucifié (avec un « c » majuscule) n’est pas ici. Il est ressuscité (mais qu’est-ce que ça veut dire?). Il vous précède en Galilée. Là, vous le verrez (mais avec quels yeux?).
Est-ce que la mort et le péché sont vraiment vaincus? Disparus, depuis ce matin-là? Si on répond « oui » trop vite, ça va être à notre tour de passer pour des fous ! « T’as pas vu l’état du monde? Partout la violence, dans nos rues et même à l’université, la haine ! La planète a la fièvre et tous ses enfants en sont malades. »
Et pourtant, oui, j’en suis certain, frères et sœurs : depuis ce matin-là, la mort est blessée à mort; la merde du péché est transformée en engrais, pour faire pousser le Royaume de Dieu en germination.
Fidélité créatrice de notre Seigneur, fou d’amour plus sage que notre sagesse; faible d’une tendresse plus puissante que tout notre pouvoir. « Son amour, envers nous, s’est montré le plus fort. Éternelle est la fidélité du Seigneur! »
Scandale et folie de la Croix! Sa victoire est bien réelle, en Jésus ressuscité. Mais cette victoire doit passer en nous, pour s’infiltrer dans le monde.
La question à cent mille piastres : comment cela peut-il se faire? Comment donc est-ce que je vais pouvoir accueillir la résurrection, entrer dans le monde de la résurrection, pour en vivre et en contaminer mon entourage? Dans sa Lettre aux Romains, saint Paul nous a montré le chemin, et il n’y en a pas 56, chemins… Tu veux vivre en ressuscité ? Meurs avec le Christ, descends au tombeau avec lui. Remonte avec lui de cette plongée, de ce baptême, et vis désormais pour Celui qui est mort pour toi. Accueille une autre logique de vie, libérée de la peur, de la mort, et de tout ce qui empoisonne ta relation aux autres, à toi-même et avec le Seigneur.
Vie nouvelle, monde nouveau. Ce monde est accessible. Mais pour y entrer, il faut passer la mort. Vivre une pâque.
Ça me fait penser à une expérience « pascale » que j’ai vécue il y a bientôt 30 ans. J’étais en voyage en Nouvelle-Zélande avec un bon ami qui vivait là-bas. C’est le pays des aventuriers. Tu peux tout faire : du ski, de la randonnée, de la plage. Il y a un climat pour tout ça en même temps.
Mon ami, amateur de sensations fortes, me met devant un choix : « Ou bien on va faire du saut en bungee; ou bien on va faire de la spéléologie : on va descendre en rappel dans un gros trou, et on va remonter une rivière souterraine sur 400 mètres. »
J’ai choisi le rappel et le « spelunking ». Je pensais que c’était moins risqué… jusqu’à ce qu’on se retrouve, 4 intrépides ou stupides explorateurs, à 100 mètres sous terre, devant un mur, avec la rivière à la hauteur des épaules. Un des 4, notre guide, un Australien, nous dit : « No worries, mate! Prenez votre respiration, plongez. Vous allez apercevoir une fissure, passez au travers et vous allez remonter de l’autre bord. Je vous attends là. Mais un conseil, relaxez en passant par la fissure. Si vous stressez, vous allez vous crisper, ça va faire que vous allez être gros, et vous allez rester coincés. » Je m’entends encore lui demander : « Mais… qu’est-ce qui se passe si je reste pris dans la fissure ? » Et lui qui me répond : « No worries, mate! Just relax. Trust me. »
Si je suis ici, c’est que j’ai passé la fissure. J’entends Jésus nous dire : « No worries! Suivez-moi. Faites-moi confiance. Faites-vous petit; ça va passer. On remonte ensemble! On ne retourne pas en arrière, ni en Église, ni en société. Le Seigneur est fidèle d’une fidélité créatrice. Il fait du neuf, même avec du vieux. Avec moi, dit Jésus, ayez la sage folie de suivre le Dieu de toutes nos Pâques! »
Amen!
Mgr. Alain Faubert, évêque auxiliaire de Montréal
PRIÈRE
Aujourd’hui, Seigneur Dieu,
par ton Fils unique, vainqueur de la mort,
tu nous as ouvert les portes de l’éternité ;
tandis que nous fêtons solennellement la résurrection du Seigneur,
nous t’en prions :
accorde-nous d’être renouvelés par ton Esprit
pour que nous ressuscitions dans la lumière de la vie.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.