Homélie, Jeudi Saint B

28 mars 2024

"Toi, me laver les pieds?"

En ce Jeudi saint où nous célébrons la Cène du Seigneur, le frère André Descôteaux, O.P., nous invite à laisser Jésus nous laver les pieds et à accepter qu’il nous aime jusqu’au bout, chacun et chacune de nous individuellement.

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Homélie

Le lavement des pieds est au cœur de l’évangile que vient de proclamer le frère Daniel. Ce geste de Jésus est perçu comme extraordinaire, mais l’est-il vraiment? Vous connaissez tous Rodrigo et son épouse Marina. Quelques fois, ils viennent à nos célébrations avec leur bébé Estêvão. Il est vraiment gentil. Dimanche dernier, c’est à peine si je l’ai entendu gazouiller. Mais imaginez qu’il faut changer les couches de ce petit ange. Et pas seulement, une fois par mois. Dans quelque temps, quand il apprendra à manger tout seul, je t’avertis Rodrigo, tu vas trouver de la purée partout : par terre, sur ses vêtements, sa bavette, sa chaise-haute et un tout petit peu dans sa bouche. Le pire, il va trouver ça drôle. Alors que ça vous tente ou non, il faudra le nettoyer et le changer ! Un service quotidien motivé par l’amour !

Dans la société, il y a aussi tous ces salariés qui rendent des services indispensables. Pensons aux préposés dans les hôpitaux ou les CHSLD. Quand vous ne pouvez sortir de votre lit, vous êtes très heureux quand une préposée ou un préposé fait votre toilette, change votre lit et apporte la fameuse bassine ! J’ai connu, lors d’une hospitalisation, une préposée qui était un véritable rayon de soleil.

Dans notre société, il y a beaucoup de gens qui se dévouent pour les autres. Qu’a donc de si exceptionnel le geste que pose Jésus? Pierre nous en donne la réponse. Jésus est le Maître et le Seigneur. Voilà pourquoi il ne peut absolument pas accepter que Jésus prenne la place de l’esclave et lave ses pieds et ceux des autres disciples. Cet abaissement de Jésus lui est intolérable.

J’aime cette réaction de Pierre, car elle est naturelle. Nous sommes tellement habitués à cette scène que nous n’en percevons pas l’aspect choquant, voire scandaleux. Nous rendons-nous bien compte que celui qui lave les pieds de ses apôtres est l’envoyé du Père, son Fils bien-aimé? À Noël, nous avons fêté un Dieu qui naît dans une étable, entouré d’un bœuf, d’un âne, attirant à lui des bergers, pauvres parmi les pauvres. Aujourd’hui, ce même Jésus se comporte comme un esclave. Jésus est vraiment le Fils du Dieu très bas ! Ce matin, à l’office, dans un commentaire du lavement des pieds, nous avons entendu : « alors que nous nous serions attendus à ce que Jésus nous explique comment servir Dieu, voici qu’il s’agenouille devant l’être humain, pour le laver et le purifier ».

La réponse de Jésus à Pierre laisse entendre que, pour le moment, il ne peut pas comprendre ce qu’il fait. Ce sera après Pâques qu’il pourra en saisir la portée. Pour l’instant, il doit se laisser faire pour « avoir part avec lui », Jésus. Pierre doit accepter le service que lui rend le Christ.

Pierre doit accepter que son Maître et Seigneur, au moment où il passe de ce monde à son Père, l’aime et l’aime jusqu’au bout. Il l’aime jusqu’à mourir comme un esclave sur le bois pour y manifester le pardon et la vie qui jailliront de son cœur. Du sang et de l’eau qui, par le baptême, feront de tout être humain, par le don de l’Esprit, une créature nouvelle, un fils et une fille du Père, un frère et une sœur du Christ.

Ainsi, Pierre, accepte d’être aimé jusqu’au bout par le Christ ! Toi aussi, Gustavo, accepte d’être aimé ainsi ! Toi aussi, Marian ! Toi aussi, Sylvie ! Moi également, André, accepte d’être aimé jusqu’au bout.

En lavant les pieds de ses disciples, c’est comme si Jésus lavait les pieds de chacun de nous. Voilà pourquoi nous refaisons le geste de Jésus. Non pas pour nous émouvoir devant un beau geste, mais pour que, à travers ces quelques membres de notre assemblée qui se feront laver les pieds, Jésus lui-même nous lave les pieds, à tous et à toutes.

Blaise Pascal, ce grand mathématicien français, philosophe et théologien dont nous avons célébré, l’an dernier, le quatre centième anniversaire de naissance, fait parler, dans ses Pensées, le Christ lors de son agonie à Gethsémani. « Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi ». Ne pouvons-nous pas affirmer que, ce soir, en reprenant ce geste, c’est chacun de nous qui se voit laver pour avoir part, nous aussi, au Christ, à sa vie et à son amour ? Encore une fois, le Christ se donne. Ce soir, comme il nous aime, au moment de passer de ce monde au Père, il nous aime jusqu’au bout.

Dans la lettre de Paul qui a été lue, celui-ci affirme que le pain rompu devient le corps livré pour nous. De même que la coupe partagée devient la coupe de son sang répandu pour la multitude. Ne nous cachons pas dans cette multitude ! Ne nous cachons pas dans cette masse du « vous ». C’est, encore une fois, pour chacun et chacune de nous qu’il rompt le pain et partage la coupe. Faisant mémoire de sa mort et de sa résurrection, nous serons associés à sa Pâque, à son grand passage de la mort à la vie en plénitude !

Comme l’agneau pascal qui a protégé le peuple élu avant qu’il n’entreprenne sa fuite d’Égypte et sa marche vers la libération, Jésus marche à la mort, devant nous, pour que nous passions avec lui de l’esclavage à la liberté des enfants de Dieu.

Mon message est très simple : laissons-nous donc aimer ! Laissons-nous laver les pieds par Jésus. Mangeons au pain rompu pour nous et buvons à la coupe partagée pour nous. Livrons-nous à l’amour du Christ pour nous ! Soyons habités par ces sentiments de l’Apôtre Paul qui, un jour, a écrit : « Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Amen.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu nous appelles à célébrer la très sainte Cène
où ton Fils unique,
avant de se livrer lui-même à la mort,
a remis pour toujours à son Église le sacrifice nouveau,
le repas qui est le sacrement de son amour ;
donne-nous de puiser à ce grand mystère la charité
et la vie en plénitude.
Lui qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.