Homélie, Dimanche des Rameaux B

24 mars 2024

Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu

En ce dimanche des Rameaux, face aux ténèbres du Calvaire, le frère André Descôteaux, O.P., nous invite à reconnaître, comme le centurion, que ce roi crucifié est bel et bien le Fils de Dieu, notre Sauveur.

vraiment-cet-homme-etait-le-fils-de-dieu

Homélie

Alors que Jésus vient d’être crucifié, l’obscurité se fit non seulement sur Jérusalem, mais sur toute la terre, précise l’évangéliste Marc. C’est comme si le cosmos retenait son souffle face au drame qui se joue au Calvaire.

C’est en effet l’heure des ténèbres. Ténèbres des passants qui tournent en dérision le Crucifié. « Sauve-toi, toi-même, descends de la croix ! » Ténèbres des grands prêtres et des scribes qui se moquent de lui et qui osent lui lancer un défi « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Qu’il descende de la croix ; alors nous croirons en lui ». Ténèbres de ceux qui, crucifiés avec lui, le bafouent. Jésus se tait. Ce « roi » crucifié (comme le stipule l’inscription au-dessus de sa tête) exprime le non-pouvoir, la non-valeur, le renoncement radical au pouvoir et la gratuité absolue de sa fidélité et de son amour. Ténèbres de tous ceux pour qui le messie doit obéir à la logique mondaine de la puissance. Leurs yeux sont obscurcis. Ils voient, mais, en fait, ils ne voient pas et ne comprennent pas.

Ténèbres de Jésus lui-même. Jésus ne répond pas à cette meute de loups qui s’acharnent sur lui, mais c’est à Dieu qu’il crie sa souffrance. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Même si cette expression renvoie à un psaume, il faut se garder d’amoindrir la portée d’un tel cri, car il nous transporte à l’intérieur de la prière de Jésus, à ce qu’il est au plus intime de lui-même.

Oui, Jésus souffre : on l’a dépouillé, on l’a crucifié, on l’a ridiculisé. Cependant, il ne répond pas à ses agresseurs, à ces gens qui se moquaient de lui. Son cri nous révèle, toutefois, ce qui le fait véritablement souffrir : sa perception d’être abandonné de son Père. Où est cette présence de Celui qui était toujours à ses côtés ? Ce père qu’il venait d’appeler Abba dans sa prière de l’agonie à Gethsémani, où est-il maintenant ? Celui avec lequel il vivait en une communion profonde manifeste dans ces longs moments de prière solitaire au lever du jour ? Où est bien celui qui le fait vivre et sans lequel il ne peut vivre ?

Certes, ce n’est pas un cri de désespoir absolu, puisqu’il se coule dans la forme d’une prière adressée à « mon Dieu », mais l’intensité dramatique demeure intacte. Nulle solitude ne peut engendrer une plus grande souffrance que celle du Fils bien-aimé abandonné par Dieu. Sommes-nous conscients que le dernier mot de Jésus dans l’Évangile de Marc est cette ultime prière du pourquoi.

Parce que dernière cette parole, elle devient capitale pour le sens de l’ensemble. Ou bien son Dieu s’est éloigné puisqu’il n’était plus avec lui. Sa mort manifesterait alors qu’il est un mystificateur, un menteur, un illuminé de plus. Ce cri ferait de toutes ces autres paroles bonnes à être jetées aux poubelles. Ou bien, il fallait, pour nous accompagner jusqu’à la mort, que Jésus, en sa conscience même, aille jusqu’à cet anéantissement.

Mais tout ne s’arrête pas là, car au moment même où Jésus expire, le rideau du temple se déchire comme au moment du baptême de Jésus où Dieu avait déchiré les cieux pour nous rejoindre. La Croix : nouvelle et universelle déchirure ! Dieu n’est plus du côté du Sanctuaire, du Saint des Saints et nous de l’autre. Son sanctuaire est dans cet homme mort sur la croix. La présence de Dieu est dans le crucifié, pierre rejetée qui devient la pierre d’angle d’une maison aux dimensions du monde. Tous et toutes pourront entrer par le Crucifié en communion profonde avec le Père.

Les ténèbres font place à la lumière par une parole renversante. « Le centurion qui était là en face de Jésus voyant comment il avait expiré, déclara : ‘Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu’ ! » Cette profession de foi ne provient pas d’un disciple, d’un proche ou d’un compatriote de Jésus, mais d’un étranger, d’un païen, d’un ennemi : le capitaine commandant la troupe qui a crucifié Jésus. Alors que les passants et les grands prêtres voulaient voir pour croire, lui, en voyant comment Jésus est mort, croit.

Dans l’évangile de Mathieu, cette confession suit les signes merveilleux de la résurrection de saints et de tremblements de terre accompagnant la mort de Jésus. Ici, rien de cela. Ce centurion, qui a dû assister à la mort de bien d’autres crucifiés, est frappé par la manière dont meurt Jésus. Sa faiblesse et sa souffrance, qui contredisent l’idéal du Messie attendu ou de l’homme divinisé chez les Grecs, deviennent pour ce centurion les signes de la présence de Dieu en cet homme mort sur une croix. Ils sont la fenêtre dans le cœur de Jésus qui lui permettent de découvrir la véritable identité de Jésus : vraiment cet homme était le Fils de Dieu.

Il devient ainsi le tout premier dans l’Évangile de Marc à proclamer que Jésus était le Fils de Dieu. Pierre, après des questions de Jésus, a confessé, par une grâce venue d’ailleurs, Jésus non comme Fils de Dieu, mais comme le Christ. Il s’était toutefois rebellé à l’annonce par Jésus des souffrances que devait subir le Messie. Ici, le centurion reconnaît dans le Crucifié, justement dans sa souffrance, son cri et sa mort même, le Fils de Dieu.

Il va sans dire que la foi du centurion contraste avec celle de Pierre qui a failli quand il a honteusement trahi son Maître. « Je ne connais pas cet homme » ! Connaître et confesser ne sont pas corrélés. Aucune connaissance ne garantit qu’à l’heure de l’épreuve, on tiendra bon. Malheureusement, on peut écrire des livres sur Jésus et trébucher au moment de témoigner de lui dans sa propre vie.

Le Fils de Dieu, sur qui reposent la bénédiction et l’amour uniques du Père, choisit de ne pas s’élever lui-même, mais de suivre un chemin de servitude, voire de souffrance et de mort, afin que, par la croix, le monde puisse reconnaître qu’il est le Fils et partager avec lui un accès libre et joyeux au Père.

La croix est ainsi le point de rencontre entre Dieu et l’humanité. Alors que nous allons partager le pain et le vin, signes laissés par le Christ lui-même du don de sa vie, entrons dans le mystère de cette grande semaine. Soyons, comme le centurion, atteints au plus profond de nous-mêmes par le chemin emprunté par le Christ pour que, comme lui, nous proclamions, malgré nos propres ténèbres et toutes les ténèbres du monde : « vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! » Amen.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Père de Jésus Christ, notre Dieu,
nous avons fait mémoire de l’entrée
triomphale de ton Fils
au milieu de ton peuple
et voilà que se profile aussitôt, à nos yeux,
le mystère de sa passion et de sa mort sur la croix.
Accorde-nous de croire en l’amour
qui l’a conduit au Calvaire
et l’a ressuscité d’entre les morts
et nous aurons la force de le suivre
sur le chemin de sa passion,
pour avoir part à la gloire de sa résurrection,
car il vit et règne, avec toi et le Saint-Esprit
pour les siècles des siècles.

∞ Amen.