Homélie, samedi, 1ère semaine du Carême

24 février 2024

Aimer les ennemis... c'est du domaine de la grâce.

Aujourd’hui, le frère Yves Bériault, O.P.,  nous explique que pour accomplir l’invitation du Christ d’aimer nos ennemis, nous devons entrer dans le domaine de la grâce de l’amour de Dieu.
Aimer-les-ennemis

Homélie

Un des personnages d’un roman d’Amos Oz (1939-… écrivain israélien), intitulé Une panthère dans la cave, nous offre un point de vue au vitriol sur l’amour des ennemis :

« Aimer son ennemi, dit ce personnage, c’est pire que transmettre des informations.

Pire que trahir ses frères.

Pire que dénoncer.

Pire que lui vendre des armes.

Pire encore que devenir transfuge.

Aimer l’ennemi est la pire des trahisons. »

C’est certainement là la règle commune en notre monde et que nous-mêmes, trop souvent, même entre membres d’une même communauté, ou entre frères et sœurs d’une même famille, nous faisons l’expérience. Que dire si nous étions en Israël ou en Palestine, ou en Ukraine, et j’en passe. C’est que la haine est la voie la plus facile qui s’impose à nous dans la résolution de nos conflits, qu’ils soient personnels ou internationaux. La haine est de l’ordre d’un réflexe primaire qui rend capable des pires cruautés en retour du mal qui a été fait.

Oui, il y a des luttes à mener, même sur les champs de bataille, pour la justice, pour la survie, mais la haine ne peut être le moteur qui justifie de telles actions. J’ai beaucoup étudié la vie de la jeune Etty Hillesum, une jeune juive néerlandaise assassinée à Auschwitz. Elle fait l’expérience de l’occupation de son pays par les troupes allemandes dans les années 40, elle est le témoin d’une foule d’exactions et de violence, mais au cœur de cette tourmente, sa toute jeune expérience de Dieu l’amène à affirmer ceci : « que si la haine devait s’emparer de mon cœur il me faudrait en guérir au plus vite. » Elle a cette vive intuition que son amour de Dieu ne peut cohabiter avec la haine. Et au cœur de cette tempête qui ravage l’Europe tout entière, cette jeune femme se fait prière et charité auprès des persécutés comme des envahisseurs.

Un philosophe, un juif lui aussi, Vladimir Jankélévitch, affirme dans l’un de ses livres, que le pardon est mort dans les camps d’extermination. Selon cet auteur, il y a des situations où le pardon est impossible sinon il devient obscène.

Il nous est beaucoup plus facile, n’est-ce pas, de faire nôtres les convictions du personnage du roman d’Amos Oz ou encore du philosophe Jankélévitch, que de celles de la jeune Etty Hillesum. Et pourtant Jésus nous demande d’aimer nos ennemis, de prier pour ceux qui nous persécutent.

Je dois vous avouer que j’aime bien prêcher sur les passages d’évangile difficiles, car cela m’oblige à sortir des lieux communs, de tout ce qui fait ronronner tranquillement la foi, sans que cela nous compromette.

L’amour des ennemis est l’un de ces passages, enseignement central dans l’évangile de Jésus. Impossible de le suivre sans vouloir être fidèle à ce qu’il nous demande, parce qu’il en va de notre salut ou, en termes plus concrets, plus actuels, il en va à la fois de notre santé mentale et spirituelle. Saint Augustin aborde ce thème de la haine en disant que l’épée de ta haine qui veut percer le cœur de ton prochain devra tout d’abord te transpercer le corps. Autrement dit, tu seras la première victime de ta haine, du mépris pour ton frère, pour ta sœur. C’est la romancière catholique Sylvie Germain qui exprime tellement bien ce qui est en jeu quand la haine du prochain s’empare de nous.

« La haine, écrit-elle, n’est pas seulement la voie la plus facile […] la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être, de son esprit, par la maladie du mal. […] Et la victime, tout en demeurant innocente en tant qu’elle est arbitrairement persécutée, qu’elle n’a rien fait qui puisse justifier le malheur dont on la frappe, n’en assombrit et n’en grève pas moins son innocence – sur le plan spirituel – du seul fait qu’elle se met à désirer la vengeance, à vouloir nuire à son tour. » (Germain, Sylvie. Etty Hillesum. Pygmalion. 1999. p. 145

Frères et sœurs, trop souvent, nous faisons l’expérience que nous ne pouvons accomplir par nous-mêmes ce radicalisme auquel Jésus nous invite, que c’est au-delà de nos forces. Qu’il nous est trop demandé! Et c’est ici que nous entrons dans le domaine de la grâce, dans un dynamisme spirituel qui vise à nous transformer de l’intérieur en nous configurant au Christ, en nous faisant lui ressembler. Et c’est ici que se trouve la voie de sortie face à notre perplexité devant ce qui nous semble impossible dans l’enseignement de Jésus. C’est de vouloir de tout cœur que les paroles du Christ prennent racine en nous, nous offrant à lui comme une terre fertile prête à recevoir la semence de sa Parole.

N’ayons pas peur des mots. Il nous faut vouloir devenir des saints et des saintes, des disciples inconditionnels du Christ, et alors l’Esprit Saint fera le reste en nous. Car, n’en doutons pas, le véritable bonheur consiste à faire nôtre ce chemin de vie que Jésus nous propose, cette folie de la croix qui va contre toute logique humaine, mais qui est puissance de Dieu en nos vies.

Frères et sœurs, voilà donc une résolution de carême qui devrait nous occuper au moins jusqu’à Pâques et sans doute, bien au-delà! Amen.

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Tourne vers toi notre cœur, Père éternel,
afin que, dans la recherche constante de l’unique nécessaire
et en pratiquant la charité,
nous te rendions hommage par toute notre vie.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.