Homélie, dimanche, 5e semaine du Temps ordinaire

4 février 2024

Responsabilité missionnaire

Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous invite à redoubler de courage et d’unité communautaire pour réaliser le désir profond de Dieu d’offrir son salut à tous les êtres humains.
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Homélie

Le récit évangélique d’aujourd’hui manifeste bien que Jésus, dès le début de son ministère, a visé grand. Il n’a pas voulu se cantonner à Capharnaüm, dans le lieu d’habitation de Pierre et André. Il n’a pas voulu imiter Jean le Baptiste qui avait choisi Béthanie, sur les bords du Jourdain, comme lieu pour prêcher et baptiser. Dès le départ, Jésus a fait sentir à ses disciples que la Bonne Nouvelle devait être entendue ailleurs, c’est-à-dire dans tous les villages de la Galilée. Explicitement, il a manifesté qu’il voulait entrer en contact avec le plus de gens possible en Israël.

Nous savons qu’à la suite de sa mort sur la croix et de sa résurrection, ses apôtres ont cherché à être fidèles à sa consigne. À leur tour, ils ont annoncé la Bonne Nouvelle du salut dans les synagogues juives de Galilée. Puis ils se sont rendus dans celles des villes étrangères où des populations juives s’étaient installées. Saint Paul, lui, va élargir sensiblement cette zone initiale de l’annonce de l’Évangile. Hardiment, il se tournera du côté des païens et ira prêcher dans plusieurs villes situées autour de la Méditerranée. Ce mouvement missionnaire va s’étendre par la suite, et ce, malgré les persécutions qui ont eu lieu au cours des siècles suivants. Une conviction fondamentale était présente derrière ce mouvement missionnaire en expansion : c’est celle que Dieu voulait offrir son salut à tous les êtres humains, quelles que soient leurs races ou les régions du monde où ces derniers vivaient.

Or, cette annonce large et généreuse du Christ Jésus pose actuellement de plus en plus problème dans la majorité des pays occidentaux. Et c’est aux chrétiens et chrétiennes eux-mêmes qu’elle fait problème, car elle semble bien constituer un défi trop lourd à relever. Dans la plupart des pays occidentaux, le nombre de personnes qui disent appartenir à une communauté chrétienne se fait de plus en plus faible. Les « sans religion » deviennent majoritaires. Et les communautés chrétiennes, qu’elles soient catholiques ou protestantes, reconnaissent que leur capacité d’influencer la mentalité laïcisante ou séculière n’a cessé de s’amoindrir au cours des dernières décennies. Et pourtant, ces mêmes communautés ne sont pas sans savoir que la responsabilité d’évangéliser leur a été régulièrement rappelée depuis plus de 50 ans. Avec le concile Vatican II, dans les années 1960, les catholiques ont clairement entendu l’appel à se faire missionnaires, en particulier à réévangéliser les régions du monde qui avaient été christianisées dans le passé.

Or, cette responsabilité missionnaire fait peur à bien des catholiques pourtant engagés dans leurs communautés chrétiennes locales. Un tel mandat est perçu comme étant un défi disproportionné en regard de leurs ressources. En effet, bien des catholiques avouent aujourd’hui qu’ils ne sentent pas capables d’échanger avec des personnes qui se disent « sans religion ». Ils avouent qu’ils craignent l’agressivité des gens qui ont rejeté l’Église et qui se permettent de la bafouer ouvertement. Ils en font d’ailleurs l’expérience tant dans leurs propres familles que dans les réseaux auxquels ils appartiennent.

À ce sujet, je vous propose un exemple. Dernièrement, j’ai eu deux longs échanges avec une dame qui venait de fêter ses 50 ans de mariage. Elle me disait qu’elle était pratiquante, qu’elle et son mari se retrouvaient à l’église tous les dimanches. Mais elle ajoutait que ses deux enfants, maintenant à la fin de la quarantaine, avaient abandonné toute pratique religieuse et que ses cinq petits-enfants (âgés entre 10 et 19 ans) ignoraient presque tout de la foi catholique. Elle s’en désolait. Pourtant, elle disait : « Je ne prends jamais l’initiative de parler de religion ou de parler de l’Évangile. Je ne veux pas faire de chicane ». Bref, pour éviter de brouiller ses relations avec ses enfants, elle a dit ne jamais chercher à se mêler des choix éducatifs de ces derniers. Même attitude de sa part avec des gens de ses réseaux de relations. Un exemple : elle appartient depuis quelques années à un groupe d’ornithologues ou d’observateurs d’oiseaux. À l’occasion des sorties sur le bord du fleuve ou en forêt, elle reconnaît qu’il y a des moments où les conversations débordent le champ de l’ornithologie. On parle alors, disait-elle, de maladies, on s’interroge sur le sens que prend la vie en vieillissant, on aborde aussi la question de l’après-vie. Et là, elle a observé qu’il y a, presqu’à chaque rencontre, une ou deux personnes qui rejettent avec agressivité tout ce qu’elles ont reçu de la part de l’Église. Elles se permettent aussi de caricaturer ce que l’Église catholique leur a transmis. Dans de telles circonstances, cette dame avoue se taire, ne pas prendre le risque de répliquer. Et pourtant, elle pourrait très bien, en tant qu’ancienne professeure d’histoire au CEGEP, prendre la parole et relever la fausseté ou l’impertinence de certains propos entendus. Mais elle dit ne pas le faire, non pas parce qu’elle n’a pas les capacités de le faire, mais parce qu’elle veut éviter des confrontations qui auraient, à ses yeux, des retombées plus négatives que positives. En conséquence, elle reconnaît que son engagement de chrétienne se situe avant tout dans sa pratique religieuse du dimanche, sa vie de couple, ainsi que dans certains services bénévoles rendus à un organisme de son quartier. Évangéliquement parlant, c’est déjà significatif. Mais elle reconnaît qu’il y a une barrière qu’elle ne sent pas capable de franchir : celle d’exprimer ouvertement ses convictions religieuses au sein de groupes divers.

J’ai pu constater que cette dame ne voulait pas s’engager dans un témoignage de sa foi face à des personnes qui ne la partageaient pas. Cette faiblesse, elle la reconnaissait même si elle voyait bien les limites des idéologies laïcisantes qu’avaient adoptées certaines des personnes qu’elle rencontrait. D’ailleurs elle n’osait pas questionner les opinions de ces personnes qui ne faisaient pas de place à un univers transcendant. En conséquence, ses vis-à-vis ne pouvaient pas entendre comment elle donnait sens à sa vie. Ils ne pouvaient pas davantage saisir comment la promesse d’une vie éternelle partagée avec Dieu faisait éclater leur vision réductrice de la destinée humaine.

Le témoignage de cette femme n’est pas unique aujourd’hui dans notre Église. En effet, que de baptisés adultes qui fréquentent régulièrement une communauté chrétienne se sentent incapables de résister à la pression sociale qui les pousse à cacher leur foi, à agir comme si tout discours religieux était maintenant dépassé au sein des sociétés dites postmodernes. L’attitude généralement observée chez bien des catholiques est tout à fait différente de celle de saint Paul en son temps. Ce dernier se montrait combatif, courageux, face aux juifs et aux païens. Ne disait-il pas ouvertement sa passion de l’évangélisation : « Annoncer l’Évangile, (…), c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (I Co 9, 16) On sait d’ailleurs tous les obstacles rencontrés sur sa route pour se charger de sa mission : persécutions, trahisons, lapidation, emprisonnements.

Nous vivons, nous aussi, dans un contexte où la résistance à la vision chrétienne de la vie est manifeste. Cette résistance n’est pas le fait de quelques intellectuels seulement. Elle est largement véhiculée dans les mass médias et partagée par une majorité de la population, par les moins de 50 ans en particulier. Tout en qualifiant cette résistance de « persécution douce », bien des chrétiens et chrétiennes ont non seulement le sentiment d’être des marginaux, mais d’être en quelque sorte assiégés dans leurs convictions religieuses. D’où leur tendance à se replier dans des groupes qui partagent leur vision de foi. Une telle attitude, il faut le dire, est compréhensible. Personne n’aime être marginalisé et déprécié à cause de sa vision de foi. Et seule la conviction d’être porteur d’une vision du monde et de la vie qui peut combler le cœur humain permet de faire face aux vents contraires. C’est dans cette perspective que se situe le pape François quand il encourage les catholiques à sortir de leurs milieux protégés, à aller aux « périphéries ». Sauf que pour le faire, il faut accepter d’être incompris et même rejeté.

En terminant, reconnaissons que, dans le contexte actuel, les chrétiens et chrétiennes sont invités à un dépassement de leurs peurs. Des générations de chrétiens l’ont fait dans le passé. Elles se savaient soutenues par l’Esprit Saint. C’est cette même conviction qui doit habiter le cœur et l’esprit des chrétiens et chrétiennes vivant dans les sociétés sécularisées contemporaines. Puissions-nous, pour notre part, faire confiance au soutien que le Seigneur nous offre !

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Dans ton inlassable tendresse, nous t’en prions, Seigneur,
veille sur ta famille :
elle s’appuie sur la grâce du ciel, son unique espérance ;
qu’elle soit toujours assurée de ta protection.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.