Homélie, jeudi, 2e semaine de l’Avent

Depuis quelques années, une bataille commerciale fait rage entre les entreprises fournissant des cartes de fidélité à leurs clients. Ces cartes offrent parfois des points de bonification pour encourager les achats ultérieurs, des spéciaux sur certains articles ou des remises en argent à dépenser dans le même magasin. Il existe des cartes-fidélité gratuites ainsi que des cartes de membre à prix variable. Même les stations de lave-auto proposent des cartes à estampiller qui, après un certain nombre d’utilisations, permettent d’obtenir le prochain lavage à moitié prix ou gratuitement.

Un jour, un étudiant m’a suggéré d’instaurer une carte-fidélité pour les jeunes fréquentant le Centre, afin d’assurer une contribution monétaire pour les repas et les activités. J’ai exprimé mon opposition, soulignant que cette politique est injuste et discriminatoire. Je me souviens encore du malaise ressenti pendant la pandémie à cause du passeport vaccinal. Certains jeunes étaient plus que choqués de devoir prouver leur statut vaccinal pour entrer dans une église et participer à la messe. Cette situation était délicate, mais nécessaire en raison de l’urgence sanitaire et des mesures strictes requises à l’époque. Heureusement, nous sommes maintenant dans une autre phase, mais la question demeure : avons-nous besoin d’une carte-membre pour appartenir au Royaume de Dieu?

Dans les évangiles, Jésus nous explique souvent le Royaume des Cieux à travers des paraboles. En utilisant des comparaisons, il nous encourage à visualiser la possibilité du projet du Règne de Dieu et, en tant que croyants, il nous invite à nous impliquer pour le concrétiser autour de nous. Aujourd’hui, cependant, dans le passage de l’évangile de Matthieu, Jésus n’utilise pas de parabole. Il utilise le témoignage de Jean le Baptiste, une figure réelle et connue du peuple. La conviction avec laquelle Jésus parle de lui est impressionnante : « Amen, je vous le dis ». Cette expression solennelle garantit la vérité de sa déclaration : « personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ». De cette façon, Jésus souligne l’importance du message et de la mission de Jean le Baptiste, appréciés par les foules de l’époque.

Effectivement, Jean le Baptiste occupe une place importante en tant que prophète du Seigneur. Son rôle dans le plan du Salut est incomparable à celui des autres prophètes de l’Ancien Testament; il est le précurseur, chargé d’annoncer la venue du Messie, de lui préparer les chemins, d’inviter à la conversion et au changement d’attitude en faveur des « pauvres et malheureux » (Is 41,17). Il avait pour mission de transformer tout ce qui pouvait entraver la rencontre avec Dieu, mission toujours pertinente de nos jours.

Cependant, Jésus continue en déclarant que « le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui ». Il n’est pas question ici d’une dignité spéciale attribuée à Jean par sa mission prophétique parce que celui-ci prépare la venue du Règne. « Le plus petit » appartient déjà essentiellement au Royaume de Dieu. Le Messie et son Royaume sont destinés à toutes les personnes exclues et méprisées dans le régime sociétal actuel. Autrement dit, appartenir au Royaume est plus important que la fonction que l’on occupe et cela prouve que Dieu ne nous laissera jamais tomber ! C’est une invitation à rester humble et confiant, comme le disait le prophète Isaïe : « Ne crains pas, moi, je viens à ton aide. Ne crains pas, Jacob, pauvre vermisseau, Israël, pauvre mortel » (Is 41, 13-14).

Jean le Baptiste est le plus grand « parmi ceux qui sont nés d’une femme », c’est-à-dire parmi les êtres humains nés de la chair et du sang. En revanche, celui qui naît pour le Royaume des Cieux ne naît pas de la chair et du sang (cf. Jn 1,13). Voici le mystère de la nouvelle naissance, possible uniquement par la grâce du Christ. C’est grâce à lui que nous sommes élevés à la dignité d’enfants de Dieu et incorporés dans son Royaume. Nous sommes dans le temps de l’Esprit-Saint comme le prophète Élie à l’évoque.

Se savoir membre du Royaume de Dieu ne correspond donc pas à obtenir une carte-fidélité ou une carte-membre et surtout pas à une réussite personnelle que nous pourrions nous attribuer. C’est une manière de vivre notre relation avec Dieu, confiant d’être incorporés dans le Royaume par la grâce de Dieu et non par nos mérites : Dieu se fait humble, il devient petit même s’il est immensément grand. C’est un changement de paradigme ! Dieu, qui est grand, se fait petit pour nous faire grandir avec lui; son Règne est destiné aux oubliés de la société afin qu’ils soient considérés comme étant les bien-aimés de Dieu.

Cependant Jésus nous rappelle l’état actuel des choses :« Le Royaume des Cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer ». Il veut nous faire comprendre que l’attitude à mettre en valeur est la paix, une paix sérieuse fondée sur la justice, une paix réfléchie et empreinte d’espérance. Le Seigneur veut que nous soyons conscients des tensions potentielles de la vie quotidienne, surtout lorsque nous marchons à sa suite. Il veut s’assurer que les temps nouveaux sont arrivés avec lui et, avec eux, la priorité du Royaume qu’il a instauré sur la Loi et les prophètes, le passage de l’Ancien Testament au Nouveau.

Alors, malgré les difficultés qui peuvent se présenter, il faut placer notre confiance en la Parole du Maître, il faut garder une foi forte pour vivre notre engagement en tant qu’enfants de Dieu en faveur des plus défavorisés de notre société. Suis-je capable dès maintenant de me considérer comme membre de ce Royaume en dépit de mes limitations? Suis-je conscient de ma place dans ce Règne? Même si je suis comme un pauvre vermisseau, rien qu’un pauvre mortel, c’est par la grâce du Christ que je deviens grand, que j’obtiens la vie éternelle. C’est par son Esprit que je suis invité à manifester la grâce reçue dans ma vie en faveur des personnes dans le besoin. Il faut faire confiance à la présence de Dieu parmi nous, sa main nous soutient.

Gustavo Adolfo Garay Ortega

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu inspiras au prêtre saint Jean
le renoncement total à lui-même
et un extraordinaire amour de la croix ;
accorde-nous de suivre fidèlement son exemple,
et de parvenir ainsi à la contemplation éternelle de ta gloire.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
lui qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.