Homélie, dimanche, 26ème semaine du Temps Ordinaire

1er octobre 2023

Assez motivés spirituellement?

Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle, O.P., nous explique le point de vue des Pharisiens et explore avec nous les potentielles raisons qu’ils auraient eu de résister les enseignements de Jésus sans que cela ne trahisse nécessairement des mauvaises intensions. Et puis ne retrouve-t-on pas de ces mêmes comportements au sein de notre propre Église…?
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Homélie

Les évangiles font régulièrement état de nombreux affrontements entre Jésus et les responsables religieux en Israël. Jésus accuse souvent ces derniers de ne pas vraiment remplir la mission spirituelle et religieuse qui leur a été attribuée. Dans le récit d’aujourd’hui, Jésus leur laisse entendre qu’ils se comportent comme des enfants qui, en paroles, disent « oui » au Seigneur mais qui ne passent pas ensuite aux actes. Ils font ainsi preuve d’incohérence. Et c’est pour cette raison, ajoute-t-il, que les publicains et les prostitués vont les précéder dans le royaume de Dieu.

Nous savons, par bien des passages évangéliques, que les chefs des prêtres et les scribes ne se laissaient pas interpeller par Jésus. Ils ne voulaient rien changer dans leurs interprétations de la Loi de Moïse et pas davantage dans les comportements qu’ils exigeaient des croyants et croyantes. Ils considéraient d’ailleurs Jésus comme un ennemi du peuple à cause de certaines libertés qu’il prenait à l’endroit de la tradition religieuse juive. Leur fermeture à tout changement avait de quoi scandaliser les disciples de Jésus. Il y avait, chez les autorités religieuses, un refus de toute conversion spirituelle qui se serait située dans la logique de l’Évangile.

Mais pourquoi donc une telle fin de non-recevoir de leur part face à Jésus ? À distance, leur attitude nous paraît vraiment choquante, répréhensible. Avec eux, il ne semblait pas possible d’établir un véritable dialogue. Car ils étaient solidement installés : installés dans leur système religieux traditionnel, installés dans leurs idées, installés aussi dans les privilèges sociaux que leur accordaient leurs fonctions. Il faut l’avouer, ces responsables religieux contemporains de Jésus ne suscitent aucune sympathie de notre part. Mais avons-nous totalement raison ? N’avaient-ils pas, ces responsables, des motifs raisonnables pour restreindre le plus possible l’influence de Jésus ?

De fait, les historiens du monde juif nous invitent à essayer de comprendre le point de vue de ces autorités religieuses et de ne pas les condamner trop rapidement. Ces grands prêtres et ces scribes n’étaient pas tous des hommes de mauvaise foi et malveillants. Tous étaient sans doute conscients d’avoir une mission importante à remplir : celle de protéger la tradition spirituelle et religieuse juive, avec ses coutumes et ses pratiques. Pour eux, la fidélité à Yahvé passait nécessairement par le respect intégral de la Loi de Moïse. On ne pouvait pas se dire vraiment croyant si on se permettait de remettre en question certains préceptes de la Loi ou d’enfreindre l’un ou l’autre d’entre eux. Cette tradition religieuse avait d’ailleurs, aux yeux de tout le peuple, un poids tout à fait respectable : elle s’était élaborée et affermie sur une période de plusieurs siècles. En plus, elle en était venue à constituer la base même de l’identité juive, tant pour les juifs vivant en Israël que pour ceux qui vivaient dans des pays étrangers, en diaspora. Remettre en question cette tradition était, d’une certaine façon, suicidaire, du moins aux yeux de ceux qui en étaient les gardiens officiels. C’était prendre le risque de voir éclater, culturellement parlant, la personnalité collective du peuple juif. En conséquence, les autorités religieuses se sentaient responsables de combattre toute menace susceptible d’altérer cette tradition religieuse et le système qui la structurait. Pas surprenant alors qu’ils se soient opposés avec force aux remises en question exprimées par Jésus. En effet, comment ce Jésus, un simple charpentier de Nazareth, cet homme sans formation théologique (il n’avait fréquenté aucune école de Jérusalem) pouvait-il se permettre de relativiser certaines pratiques importantes liées au sabbat ou à la pureté rituelle ? Quelle autorité avait-il pour le faire ? Bien sûr, Jésus attirait les petites gens et les malades, mais il ne pouvait pas compter sur un statut social enviable comme le leur pour imposer ses idées. Il fallait donc l’empêcher de porter atteinte au système religieux en place, système qui avait fait ses preuves pendant des siècles.

Comme le laissent entendre les historiens, n’a-t-on pas observé, dans l’Église catholique, des attitudes et des comportements qui ressemblaient beaucoup à ceux des chefs religieux et des scribes du temps de Jésus ? Que d’évêques et de cardinaux se sont opposés ouvertement aux orientations théologiques et pastorales adoptées à l’occasion du concile Vatican II. Ils l’ont fait non seulement entre les années 1962 et 1965, mais au cours des décennies qui ont suivi. Et pourquoi l’ont-ils fait ? Parce qu’ils tenaient à protéger un système ecclésiastique et une vision théologique qui avaient duré pendant des siècles. La vérité à défendre, pour plusieurs d’entre eux, se situait bien davantage dans les décisions du concile de Trente, tenu au XVIe siècle, que dans les propositions adoptées lors du concile Vatican II. Leur fidélité, ils tenaient à la manifester à travers leur défense énergique d’une tradition qui s’était malheureusement figée. Actuellement, même le pape François déplore que trop d’évêques et de cardinaux défendent le cléricalisme qui est devenu tout à fait dysfonctionnel dans le contexte contemporain.

Nous constatons, à la lumière de ces dernières observations sur la vie de l’Église contemporaine, que la conversion du cœur continue d’être fort difficile, même pour des gens en autorité dans l’Église. Changer de regard sur son monde et sur soi-même pour en arriver à adopter le regard du Christ Jésus suscite bien des résistances. Tout comme les responsables religieux de Jérusalem, nous sommes conditionnés, nous aussi, par nos appartenances sociales et les responsabilités que nous avons à porter. Nous aussi nous avons des intérêts à protéger. Intérêts personnels et intérêts institutionnels. C’est dire que tout changement significatif affectant nos attitudes et nos comportements constitue un enjeu. Que vais-je gagner en cherchant à mieux vivre l’Évangile ? que vais-je perdre ? Suis-je assez motivé spirituellement pour ne pas me comporter comme le deuxième fils de la parabole qui a d’abord dit « oui » à son père pour ensuite refuser d’aller travailler ?

Une fois de plus, avec ce passage évangélique, nous sommes renvoyés à l’exigence de la conversion tout au long de nos vies de croyant et croyante. Ce constat rend humble devant Dieu. Nous devons, il faut le reconnaître, apprendre et réapprendre régulièrement à suivre le Christ Jésus, car les situations dans lesquelles nous sommes plongées changent, les responsabilités que nous avons à assumer se modifient. L’exigence, dans tout ce processus, c’est de laisser l’Évangile façonner nos aspirations et nos projets. C’est ainsi que nos vies auront une fécondité selon le cœur de Dieu. Puisse notre Eucharistie nous aider à espérer cette ouverture de cœur pour notre Église et pour nos vies !
e Latine, les journaux parlent avec inquiétude des jeunes adultes, de plus en plus nombreux, qui n’ont pas de travail et qui ne font pas d’études universitaires.

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur, tu nous donne ce temps de grâce
pour nous mettre à ton écoute.
Ouvre nos cœurs à ta Parole,
qu’elle agisse en nous
et nous fasse porter du fruit.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.