Homélie, dimanche, 25ème semaine du Temps Ordinaire

24 septembre 2023

Appelés, tous sans exception

Aujourd’hui, le frère Daniel Cadrin, O.P., nous explique que la parabole de Jésus libère l’image de Dieu des prérequis humains basés sur le mérite et donne accès à tout un chacun à l’espérance de sa Miséricorde gratuite.
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Homélie

Aujourd’hui est un jour chargé. Dans l’Église universelle, c’est la Journée mondiale des migrants et réfugiés. Dans l’Église du Québec, c’est le Dimanche de la Catéchèse. Et dans l’Église de Montréal, c’est la fête d’une de ses grandes figures, Émilie Tavernier-Gamelin. Alors, pour suivre tant de pistes, concentrons-nous sur la parabole, propre à Matthieu, qui nous invite à sortir de nos cadres et à ouvrir nos cœurs et esprits. Imaginons un employeur qui embaucherait des jeunes et qui, ne tenant pas compte de l’ancienneté, leur donnerait le même salaire qu’aux anciens. Il y aurait plainte contre ce patron ; on crierait à l’injustice, avec en main les lois; et on critiquerait ces jeunes qui se croient égaux! Pourtant, Jésus utilise une image semblable pour faire saisir quelque chose du Royaume et de Dieu.

La parabole reste une comparaison, volontairement provocante, et évidemment elle ne porte pas ici sur les relations de travail. Mais elle cherche à faire comprendre à des gens sûrs d’eux-mêmes, de leurs droits et privilèges, que peut-être il y a d’autres façons de se situer par rapport aux autres et aux biens acquis; que Dieu est différent des images que nous nous en faisons, à partir de nos propres fonctionnements, prisonniers de ce qui existe déjà et qui ne peut être touché.

La parabole met en scène des éléments typiques de la Judée du premier siècle : l’importance de la vigne; la situation de nombreux travailleurs journaliers en quête d’emploi, vivant dans la précarité; le salaire minimum pour l’époque (un denier). Sur ce fond de scène normal se greffent des éléments plus détonants, surtout les attitudes du maître. Prenant l’initiative, il sort cinq fois pour embaucher : on comprendrait deux-trois fois à la limite, mais embaucher à la fin de la journée? Cela dit la valeur de la vigne et l’urgence du travail à accomplir. Mais aussi, il se préoccupe non seulement de ceux qui ont travaillé toute la journée et reçoivent le salaire convenu, respectant ainsi le contrat, mais tout autant de ceux qui sont sans emploi et dont personne ne se soucie : Allez, vous aussi, à ma vigne.

Son extravagance apparaît encore plus dans le salaire remis : le même pour tout le monde! Il explique son motif: il le fait par bonté. On comprend les murmures des premiers ouvriers: leur mérite plus grand n’est pas pris en compte, sans compter qu’ils ne contrôlent plus la situation : elle ne se déroule pas selon le scénario prévisible. Et le maître ira plus loin en les invitant à s’interroger sur leur réaction: quelle part y joue l’envie?

Cette parabole, à travers son imagerie et sa dynamique, nous parle de la pratique et de la prédication de Jésus. Il s’est approché des pécheurs et publicains et il les a invités à accueillir activement le pardon. Il a annoncé avec urgence la venue du Royaume et a appelé à y travailler, aujourd’hui. Il a rencontré l’hostilité des pharisiens et d’autres, choqués de son ouverture envers les malades, les pécheurs, les femmes, les enfants. Plus tard, cette approche de Jésus sera appliquée dans les premières communautés pour briser une autre frontière, celle entre juifs et païens: les païens, arrivés en dernier dans l’alliance nouvelle, ont autant de place que les premiers.

Ce qui est en jeu finalement dans la parabole de Matthieu, et dans l’approche de Jésus, c’est l’image de Dieu et de son rapport à nous. Deux logiques religieuses s’affrontent. L’une fonctionne sur la base du mérite acquis et de la performance individuelle, qui produit nécessairement l’envie et la compétition ; elle enferme Dieu dans un contrat strict, lui dictant ce qu’il peut et doit faire. Jésus y oppose une logique toute autre, celle de la grâce miséricordieuse : elle ne calcule pas, elle appelle tous sans exception et leur donne place sur la base commune de la réponse à l’appel ; elle n’enferme pas Dieu dans un rôle de maintien des statuts et lui laisse l’initiative ; elle ouvre ainsi une espérance là où tout semblait bloqué.

Justes ou pécheurs, juifs ou païens, chrétiens de longue date ou nouveaux disciples, tous sont invités à marcher sur le chemin de la foi et à partager, autour de la table du Royaume, le festin de la fraternité. La parabole des deux fils en Luc 15 (dite de l’enfant prodigue) reprend le même enjeu, autour d’un fils aîné et d’un fils cadet, avec la même confrontation de deux logiques.

Peut-être pouvons-nous reconnaître notre propre frustration dans celle des ouvriers de la première heure, fidèles au poste, ou notre propre situation dans celle des ouvriers de la onzième heure, venus à la foi sur le tard et incertains de notre place. Ou encore l’attitude du maître peut nous questionner, comme communauté chrétienne, sur notre ouverture et notre initiative. Quelle place faisons-nous à ceux qui cherchent un sens à leur vie et sont laissés sur leur faim, sans embauche? Oserons-nous aller plusieurs fois sur la place pour les appeler à travailler à la vigne, eux aussi? La parabole de Matthieu, en tout cas, nous invite à regarder autrement les uns et les autres, dans la lumière surprenante et éclairante de la bonté de Dieu, pour laquelle nous rendons grâce, par le Christ et avec lui. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu as voulu que toute la loi de sainteté consiste à t’aimer
et à aimer son prochain :
Donne-nous de garder tes commandements,
et de parvenir ainsi à la vie éternelle.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.