Homélie, dimanche, 24ème semaine du Temps Ordinaire

17 septembre 2023

Toujours possible de recommencer

Ce soir, à la messe universitaire, le frère Yves Bériault, O.P., nous rappelle l’utopie de la Bonne Nouvelle du Christ et souligne que seul dans l’Amour de Dieu serons-nous capables de rendre l’impossible possible, comme lui, en pardonnant et en recommençant à chaque fois !
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Homélie

Voici une histoire qui pourrait nous aider à mieux comprendre l’actualité de cet évangile. Il s’agit d’un court récit composé par l’écrivain américain Ernest Hemingway.

Dans cette histoire, un père Espagnol fait mettre une annonce dans le journal local en espérant que son fils, qui a fui la maison paternelle après un méfait, puisse entendre son appel. Il fait mettre son texte en gros caractères sur une pleine page du journal. On peut y lire ce qui suit : « Cher Paco. Je t’en prie. Viens me rencontrer demain à midi devant les bureaux du journal. Tout est pardonné. Ton papa qui t’aime. » Le lendemain, le père se présente à l’endroit convenu, espérant y voir son fils, mais il y a là une foule rassemblée devant les bureaux du journal. Ils sont près de huit-cents jeunes hommes, qui s’appellent tous Paco, et ils sont là dans l’espoir de voir leur père dont ils ont entendu l’appel.

Le récit d’Hemingway vient nous rappeler de manière imagée combien le pardon peut faire vivre et comment il peut agir comme une véritable bouée de sauvetage pour les personnes qui nous ont blessés, et qui pourtant, peut-être secrètement même, désirent la réconciliation avec nous. Mais pardonner soixante-dix fois sept fois?

Rassurons-nous, il ne s’agit pas là d’une invitation à la naïveté de la part de Jésus. Il faut comprendre le sens de l’image qu’il emploie, car l’enjeu véritable que Jésus veut faire comprendre à Pierre, c’est celui du choix radical de la miséricorde plutôt que celui de la fermeture du cœur, qui peut si facilement céder le pas à la haine et au désir de vengeance quand l’autre m’offense.

Ce thème de la vengeance se retrouve dès les origines de l’histoire de la Bible. Cette Bible qui n’est pas un conte pour enfants et qui nous parle sans détour de notre condition humaine. Déjà, au livre de la Genèse, Dieu anticipe que l’on va chercher à se venger de Caïn pour le meurtre de son frère Abel. Dieu va alors le marquer d’un signe sur le front afin de le protéger, car Caïn est quand même son enfant. Mais ce n’est là que le début d’un cycle infernal. Un descendant de Caïn, qui s’appelle Lamek, exprime bien dans un chant sauvage comment évolue cette spirale de la vengeance et de la violence dès les tout débuts de la création : « Entendez ma voix, femmes de Lamek écoutez ma parole : J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek lui, soixante-dix fois sept fois ! » (Gen 4, 23-24).

Plus tard, la loi du Talion, l’« œil pour œil et dent pour dent » qu’on connaît bien, apparaîtra dans l’histoire d’Israël et viendra témoigner d’un effort réel pour endiguer l’esprit de vengeance, en tentant de limiter les représailles en proportion du mal occasionné par l’adversaire. Mais les pages de la Bible, l’histoire même de l’humanité, témoignent éloquemment que la spirale de la violence ne saurait être freinée par des lois ou des codes moraux. La violence prend sa source dans le cœur de l’homme et les sages et les prophètes d’Israël ne pourront que rappeler à leurs compatriotes que colère et rancune sont abominables aux yeux de Dieu.

Jésus s’inspire de cet enseignement dans sa prédication aujourd’hui, mais il le pousse à un extrême jamais atteint auparavant lorsque s’inspirant du chant de Lamek, il lui fait opérer un retournement à 180 degrés, il invite Pierre à pardonner à son frère soixante-dix fois sept fois. Si le chant de Lamek est porteur d’une haine sans borne, le renversement que Jésus en fait le transforme en un acte de miséricorde sans limite. Le pardon n’étant pas de l’ordre d’un calcul comptable pour le disciple du Christ, mais d’une disponibilité du cœur sans limite, soixante-dix fois sept fois.

Quel défi et quelle exigence que la suite du Christ, me direz-vous! Mais en même temps, il y a dans cet enseignement de Jésus un souffle libérateur, puisque cet évangile nous rappelle que Dieu lui-même nous accueille tels que nous sommes, avec nos grandeurs et nos misères, et que le pardon nous est toujours offert, soixante-dix fois sept fois, autant de fois que nous en aurons besoin! Car les recommencements sont toujours possibles avec Dieu. Et Jésus nous dit de faire de même avec notre prochain. La contrepartie de cette bonne nouvelle est de nous rappeler que nous avons la charge de l’autre, et qu’il nous faut apprendre à pardonner avec cette générosité même qui vient de Dieu, si nous voulons nous aussi être pardonnés.

Utopique tout cela? Bien sûr ! Comme tout l’Évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesse pour nous. S’il nous invite à pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres, jusqu’à aimer nos ennemis, jusqu’à pardonner à ceux qui nous persécutent, c’est qu’il nous sait capables de tels dépassements quand nous le laissons agir en nous.

Parce qu’en Jésus, frères et sœurs, nos yeux ont contemplé l’Amour de Dieu à l’œuvre en notre monde. Nous savons désormais que seul l’amour qui sait pardonner jusqu’au bout est vrai et digne de ce nom, puisque le pardon en est certainement la forme la plus extrême et la plus exigeante. C’est dans cette vie du Christ, imitée et contemplée, que le pardon prend tout son sens pour les chrétiens et les chrétiennes que nous sommes, où le pardon apparaît comme la seule force capable de soulever le monde et de transformer les cœurs, en commençant par le nôtre.

C’est pourquoi la force du pardon, les soixante-dix fois sept fois, est une grâce qu’il nous faut sans cesse demander à Dieu, lui le Dieu de l’impossible, en ayant confiance qu’il peut tout guérir en nous, même nos manques de pardon. Amen.

Fr. Yves Bériault, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu de tendresse et de pitié,
lent à la colère et plein d’amour,
tu nous montres le chemin de la vie!
Que nos pas suivent tes pas;
que nous rejetions toutes formes de mal
pour œuvrer, avec toi
pour un monde nouveau plus juste et fraternel.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.