3 septembre 2023
Quelle croix à prendre?

LIVRE DU PROPHÈTE JÉRÉMIE (20, 7-9)
Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie.
Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS (12, 1-2)
Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (16, 21-27)
En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »
Homélie
Nous sommes dans un temps de rentrée, de lancement de l’année : les étudiants et enseignants se retrouvent en classe; les familles et travailleurs sont en congé avant la reprise; les organismes préparent leurs activités; les Dominicains de St-Albert ont tenu leur chapitre de rentrée vendredi. Et l’Évangile de Matthieu nous parle de devenir disciple de Jésus, avec les implications et exigences pour marcher sur ce chemin.
L’évangile d’aujourd’hui comprend trois parties: d’abord une annonce de la Passion par Jésus, qui est solennelle; puis une vive confrontation entre Pierre et Jésus à propos de cette annonce; enfin, une exhortation de Jésus qui invite ses disciples à prendre des risques.
Devenir disciple de Jésus, c’est marcher à sa suite. La route est longue et inclut plusieurs étapes. Dimanche dernier, nous avons vu Pierre, au nom des disciples, proclamer sa foi en Jésus Messie et Fils de Dieu. C’était là déjà l’aboutissement de toute une démarche à la suite de Jésus, avec ses doutes et ses avancées. Mais maintenant, sur cette route de la foi, nous arrivons à un nouveau point tournant. Jésus est le Messie, mais quelle sorte de Messie? Quelle est l’orientation fondamentale de sa messianité?
Pierre découvre alors que Jésus ne répond pas au profil prévisible, à ce qu’on attend habituellement d’un Messie. Jésus annonce qu’il sera rejeté, tué et qu’il ressuscitera. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette perspective. Un Messie est associé à la puissance et à la gloire, non à la souffrance. Aussi Pierre en est choqué, c’est normal, et il se permet même de confronter Jésus vivement, de lui faire des reproches.
Alors Pierre, qui avait été béni et avait reçu une grande responsabilité après sa confession de foi, est maintenant appelé Satan, Adversaire, par Jésus lui-même! Les vues de Pierre sont pour Jésus une occasion de chute, littéralement un scandale, i.e. un obstacle sur la route qui peut nous faire tomber. Il ne suffit pas de dire avec une voix forte: Vive Jésus le Messie! Proclamer sa foi ne suffit pas. Il s’agit aussi de marcher à sa suite, sur un chemin déroutant.
Les exhortations qui suivent apportent des clarifications. Il est question de perdre sa vie et ainsi de la sauver. Jésus développe les implications de croire en lui et de marcher à sa suite, de devenir son disciple. Prendre sa croix, à cette époque pour les chrétiens lecteurs de Matthieu, n’a pas le sens actuel plus moralisateur ou fataliste : il faut faire des sacrifices, ou il faut bien accepter les souffrances de la vie. Il ne s’agit pas de cela ici. Prendre sa croix signifie être prêt à risquer sa vie, à perdre réputation et relations. La croix référait alors à une mort publique indigne; et pour les chrétiens à la Passion de Jésus et au don de sa vie pour la multitude.
Il y a aussi une dimension de sagesse dans les réflexions de Jésus sur la valeur de la vie. Qu’est-ce qui vaut vraiment la peine, qu’est-ce qui compte? Conquérir le monde et penser s’agrandir soi-même? Le prix à payer est trop élevé car c’est sa propre vie, c’est soi-même finalement qu’on perd. Alors que risquer sa vie, oser la donner, sera source d’une vie nouvelle. C’est le chemin que Jésus lui-même a suivi.
La marche à la suite de Jésus sur la route de la foi n’est pas une promenade facile et tranquille, sur une large avenue, en un beau dimanche ensoleillé! Tout peut arriver. Une tempête survient, nous ne savons pas quel chemin prendre au carrefour, nous avons perdu notre GPS, des gens crient après nous, nous nous sentons épuisés, nous aimerions revenir en arrière… Est-ce qu’on peut débarquer?
Cette marche est une expédition risquée et remplie de défis. Pour avancer, nous avons à nous y engager personnellement et courageusement, par-delà les voix du conformisme social, les peurs de l’inconnu, les obsessions de sécurité et de performance, et les attentes illusoires de perfection et de gloire. Jésus, et finalement Pierre et les disciples, ont suivi cette voie. La fidélité à sa vocation et à sa mission appelle à faire la vérité en regard de ce qui nous entoure et de ce qui nous habite intérieurement. Mais alors la marche devient plus excitante et légère, libératrice et source de vie.
À quel point tournant suis-je rendu-e aujourd’hui? À quel obstacle dois-je faire face, avec fermeté et audace? Et comme disciple de Jésus, quel risque, quelle croix, suis-je prêt-e à prendre?
En ce temps de rentrée, rendons grâce au Dieu vivant qui accompagne notre histoire depuis longtemps et guide notre marche avec et par Jésus notre frère et Seigneur, lui-même le chemin, la vérité et la vie. Amen.
Fr. Daniel Cadrin, O.P.
PRIÈRE
Dieu de l’univers,
de qui vient tout don parfait,
enracine en nos cœurs l’amour de ton nom ;
augmente notre foi pour développer ce qui est bon en nous ;
veille sur nous avec sollicitude,
pour protéger ce que tu as fait grandir..
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.