Homélie, dimanche, 10ème semaine du Temps Ordinaire

11 juin 2023

Cadeau précieux de Jésus

En cette fête du Saint-Sacrement, le frère Jean-Louis Larochelle , O.P., nous livre la dernière homélie avant les vacances d’été : il nous rappelle l’importance concrète de l’Eucharistie, de se ressourcer à la nourriture divine que Jésus nous offre en cadeau, ainsi que l’importance de se battre pour la préserver et la garder accessible.
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Homélie

Avec la fête du Saint-Sacrement, la tradition liturgique vient nous rappeler que l’Eucharistie est centrale dans la vie de tout chrétien, qu’il doit trouver en elle la force de s’engager dans une longue marche qui mène à la vie éternelle. C’est là, nous le savons, une vision de l’idéal à atteindre. Car une portion de plus en plus importante de baptisés n’a plus accès à une participation régulière à l’Eucharistie. Cette nourriture spirituelle est de fait de moins en moins disponible. Même au Québec, le paysage a dramatiquement changé au cours du dernier demi-siècle. Il n’y a pas que les lieux de célébration qui ont drastiquement diminué en nombre faute de croyants. Le nombre de prêtres disponibles pour les célébrations a chuté lui aussi. Dans plusieurs régions éloignées des centres urbains, les chrétiens n’ont accès à l’Eucharistie qu’une fois par mois, dans d’autres cas une fois à tous les deux ou trois mois. Et encore… Pour eux, nous pourrions parler d’un carême eucharistique ou d’un désert eucharistique. C’est le cas des chrétiens qui vivent non seulement dans les agglomérations situées dans les régions nordiques du territoire québécois mais aussi dans de petits villages ruraux éloignés de centres urbains.

Pour remédier à cette situation, des théologiens ont proposé, au cours des dernières décennies, d’ordonner des hommes mariés pour présider l’Eucharistie dans leurs milieux de vie. Solution qui n’a pas été retenue par Rome comme si, au fond, les autorités romaines n’accordaient, non pas dans leur vision théologique mais dans la pratique pastorale, qu’une importance secondaire à la participation régulière à l’Eucharistie. Il est vrai que la marche à la suite du Christ Jésus ne repose pas que sur l’Eucharistie. Si on considère le processus qui mène une personne à décider de s’engager sur les traces de Jésus, on doit reconnaître que son parcours comporte bien des étapes. La participation à l’Eucharistie arrive au terme du parcours de l’initiation chrétienne. Ce parcours s’enclenche habituellement au sein d’un groupe de chrétiens qui risquent de témoigner ouvertement de leur foi. Par leur témoignage de vie et leur enseignement, ils font découvrir le Christ, son œuvre de salut ainsi que la fécondité d’une vie à sa suite. Cette démarche qui vise à mener à un rattachement explicite au Christ, par le baptême, doit se compléter dans une union de cœur et d’âme au Ressuscité. Mais une question se pose : comment le baptisé peut-il pleinement s’alimenter à la vie du Christ s’il n’a plus guère la possibilité, au terme de son initiation, de participer par la suite, de façon régulière, à l’Eucharistie?

Le danger, il faut le reconnaître, c’est que les baptisés en arrivent à penser qu’ils peuvent très bien se passer d’une participation à l’Eucharistie. En conséquence, la portée des paroles suivantes de Jésus peut petit à petit leur échapper : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6, 51). Comme le résumait le père Jean-Christian Lévêque, du Carmel de France (2020) : « Toute communion à son Corps et à son Sang sera donc une communion à sa vie de Fils de Dieu, et même une communion à sa mission d’Envoyé du Père. L’Eucharistie est bien, pour nous, le pain du voyage, le pain des témoins, le pain des missionnaires, car en mangeant le Corps du Christ, nous venons nous ressourcer à sa vie, comme lui-même, voyageur parmi nous, se ressourçait constamment à l’amour de son Père ». Voilà pour l’idéal tel que peut le présenter un spirituel. Vision motivante et enthousiasmante! Mais, entre cet idéal et ce qu’il est devenu possible de vivre sur le terrain, il y a un écart qui se fait de plus en plus prononcé.

Ce constat nous renvoie aux faiblesses actuelles des encadrements pastoraux offerts par les diocèses. Les évêques du Québec sont très conscients de cette pauvreté. Ils voient bien que les ressources humaines dont ils peuvent disposer sont trop limitées. Ils voient bien que le défi de l’évangélisation sur lequel insiste à temps et à contretemps le pape François est, humainement parlant, au-delà de leurs moyens, au-delà de leurs forces. En regard de cette situation, il apparaît opportun de retourner à l’histoire des missions en pays dits païens. Cela permet de continuer de vivre dans l’espérance. Dans le passé, avec des moyens parfois insignifiants, les missionnaires ont plongé dans l’inconnu avec la conviction fondamentale que Dieu serait toujours présent au sein des populations qu’ils rejoindraient, qu’il les précéderait dans le cœur des personnes qui leur tendraient l’oreille. Je me rappelle ici de l’expérience d’un cousin de mon grand-père. Il était entré chez les Pères blancs d’Afrique dans les années 1920 et, en 1930, il avait été envoyé au Ghana, dans la région de Nandom. Comme il le disait lui-même, la mission avait commencé avec bien peu de moyens. Elle ne comptait, au départ, que trois Pères blancs auxquels se sont ajoutés petit à petit des catéchistes. De petites communautés chrétiennes naquirent. Mais ces dernières n’avaient pas la possibilité de participer à l’Eucharistie régulièrement. Elles se sont pourtant développées. En 1960, une église de bonne taille les accueillait tous les dimanches pour des célébrations de l’Eucharistie. Le parcours pour mener à cet aboutissement n’avait pas été régulier ni facile. Ces chrétiens avaient fait l’expérience, pendant des années, du carême eucharistique. En dépit de cette pauvreté au plan sacramentel, le Seigneur avait rendu possible ce qui, au départ, paraissait difficilement pensable dans une perspective humaine.

Ce retour à l’histoire des missions vient nous rappeler que des communautés chrétiennes sont nées même si le pain de l’Eucharistie était rarement offert. Au départ, c’était le pain de la Parole qui était proposé, accompagné du pain des témoignages donnés par les missionnaires et les catéchistes. Mais l’Esprit du Seigneur a veillé sur les grains ensemencés et la fécondité de l’Évangile s’est progressivement manifestée. Apprenons, dans la difficile conjoncture actuelle, à faire pleinement confiance à l’Esprit du Seigneur de sorte que la plénitude de son amour devienne reconnaissable : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 16).

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu notre Père,
tu nourris ceux qui ont faim,
tu ne renvoies pas le pauvre les mains vides.
Aujourd’hui, nous avons faim de toi, faim de te rencontrer,
faim d’entendre ta parole,
faim de recevoir le Pain de vie
comme le signe de ton amour pour nous
et comme la force d’aimer comme Jésus ton Fils.
Redis-nous aujourd’hui encore
combien toi aussi tu as faim de nous,
combien tu te réjouis de nous voir
et mets en nos cœurs ta joie et ton amour.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.