Homélie, Vendredi Saint

7 avril 2023

Rencontres

Voici l’homélie du Vendredi Saint du frère Daniel Cadrin, O.P., à l’occasion de la célébration de la Passion du Seigneur, où il nous invite à explorer les différentes rencontre de Jésus, lesquelles peuvent toucher en nous des points sensibles, des coins blessés ou lumineux!
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Homélie

Tout au long de l’Évangile selon Jean, que voyons-nous, qu’est-ce qui se passe? L’Évangile nous parle de rencontres. Jésus rencontre des gens, brièvement ou plus longuement, une seule fois ou plusieurs. En toutes sortes de lieux : sur la place, dans une maison, à la synagogue, en route, dans un jardin, au temple. Des rencontres : des regards qui sont échangés, des voix qui se répondent, des gestes qui touchent ou gardent distance, des paroles qui interrogent, guérissent ou mettent au défi.

Durant les dimanches du Carême, en Jean, quelques rencontres de Jésus sont advenues: avec une Samaritaine et des voisins, avec un aveugle-né et des pharisiens, avec Marthe et Marie et leur frère Lazare. Et avant ou après, avec André, Pierre, une femme adultère, ou Nicodème, Marie de Magdala, Thomas. Des rencontres qui peuvent changer une vie.

Ce soir, dans le récit de la Passion selon Jean, les rencontres avec Jésus se poursuivent. Finalement, dans les évangiles, c’est ce qu’il y a de plus important. Et encore aujourd’hui, car ces figures rencontrées par Jésus ne sont pas seulement dans les textes et l’histoire passée : il s’agit de nous, ici et maintenant, dans le corps et les corps de ces récits. Des rencontres qui révèlent Jésus, c’est le plus important, et en même temps nous révèlent nous-mêmes, nos visages. Voici l’homme, idou o anthropos, voici l’être humain, dit Pilate, montrant Jésus, fils de l’homme, unique, et en même temps portant toute notre humanité. Et voici ces autres anthropes, figures et figurants de cette Passion, qui nous ressemblent étrangement ou plutôt familièrement.

En ce récit, qui rencontre Jésus ou qui est rencontré par lui? Pas mal de monde. D’abord des proches : des disciples, dont Juda qui le livre, Pierre qui frappe puis ne connaît plus Jésus, l’autre disciple, bien-aimé, qui se déplace; des femmes dont sa mère, d’autres Marie, et Marie de Magdala, présentes et attentives. Déjà chez ces proches, les réactions vont de la trahison à la fidélité, du courage au reniement. Alors, être proche ne suffit pas. Et Jésus se révèle : voici le pasteur qui prend soin des siens, voici le serviteur qui aime et donne sa vie.

Des figures d’autorité sont rencontrées: les chefs religieux, avec les grand-prêtres Anne et Caïphe, qui l’interrogent, manigancent et manipulent, et finalement crient; le chef politique, le préfet Pilate. Cette rencontre est plus développée : elle révèle Jésus comme le roi sans armée, désarmé, voici le témoin de la vérité. Et Pilate comme le pouvoir lucide et ambitieux, sans illusion mais livrant Jésus pour se maintenir en place.

Et puis, les rencontres avec plusieurs figurants : des soldats, des gardes, des serviteurs, qui tiennent leur rôle. Certains frappent, giflent, se moquent; la violence ordinaire, banalisée. D’autres demandent, regardent, se centrent sur l’immédiat. Jésus leur pose des bonnes questions, qui appellent à être vrai; ou il affirme un silence qui se tient droit. Voici Jésus le maître qui n’entre pas dans leur spirale et les invite à en sortir.

Rencontre de Jésus avec la foule, qui déjà, la même foule, l’a acclamé, a crié Hosanna. Et maintenant qui crie encore mais avec les chefs, crucifie-le, le même Jésus. La foule changeant au gré des pressions et des modes, des haines correctes et approuvées dans lesquelles on peut se laisser aller. Voici Jésus l’agneau pascal livré, comme celui du temple à la sixième heure, voici l’homme ligoté qui va mourir pour le peuple.

Nous avons une rencontre finale de Jésus, près de la croix, avec la mère et le disciple, les confiant l’un à l’autre. Leur trait principal est leur posture : debout, stabat mater. Les deux sont sans nom en Jean, anonymes, pour que nous leur donnions notre nom, notre visage, dans le souci les uns des autres, confiés les uns aux autres, dans la communauté ecclésiale. L’heure est venue : voici Jésus le Fils du Père et notre frère.

Il y a aussi une rencontre post-mortem avec Joseph d’Arimathie et Nicodème, qui prennent soin du corps de Jésus. Deux figures de notables, réservés, mais qui osent maintenant afficher leur appui; c’une autre façon de se tenir debout. Jésus est déposé au tombeau : voici le fils unique transpercé, voici le lion qui dort.

Parmi ces rencontres de Jésus, lesquelles viennent toucher en moi des points sensibles, des coins blessés ou lumineux? En quelles rencontres, dans ma vie personnelle et sociale, ai-je mieux saisi l’un ou l’autre de ces visages de notre humanité? En quelles rencontres, des visages du Christ se sont-ils dévoilés à moi, à nous? Voici l’homme, le Christ, et aussi nous-mêmes, liés inséparablement, indéfectiblement.

Rencontres de Jésus qui adviennent à travers celles de proches, familiers ou familiaux, de membres d’un comité ou service, de personnes âgées, de migrants, de collègues rivaux, d’autorités endurcies ou ambiguës, de jeunes engagés ou errants, d’enfants qui s’étonnent, …. Rencontres aussi à travers des lectures, des voix et des paroles, des écrans et des images; à travers des silences, apaisants ou déroutants, et des tumultes, autour de soi et en soi…

Les rencontres vont se poursuivre jusqu’au matin de Pâque, encore, dans l’autre jardin, avec Marie de Magdala que Jésus envoie annoncer; puis le soir, dans une maison aux portes closes, avec les disciples à qui Jésus remet l’Esprit. Et d’autres rencontres sont à venir, parfois inattendues ou inespérées, dans un centre hospitalier, un café, un chalet, une pente de ski, ou sur un site. Rencontres qui révèlent, qui dévoilent, qui donnent le gout de la vérité, de la beauté et de l’amour, dont Jésus est le témoin ultime, lui l’homme, l’anthropos, portant toutes nos misères et nos espoirs, nos fragilités et nos forces les plus profondes, portant la croix et la gloire, et nous portant. Amen.

Fr. Daniel Cadrin, O.P.

 

PRIÈRE

Dieu, notre Père,
en ce jour où ton Fils connut les souffrances de la mort,
nous nous tournons vers lui,
Messie crucifié et humble serviteur.
Ouvre nos cœurs pour que nous puissions accueillir
cet amour sans limite.
Accorde-nous ton Esprit pour que nous marchions à la suite du Christ,
lui qui vit et règne avec toi et le Saint Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.