Homélie, Jeudi Saint

6 avril 2023

Aimer!

Voici l’homélie du frère André Descôteaux, O.P., à l’occasion de la célébration Jeudi Saint, où il explique le symbole puissant du lavement des pieds qui, performé par Jésus, préfigure son don total pour le monde et renverse les dynamiques de force et de pouvoir de ce monde.
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Homélie

Les contes qui ont enchanté mon enfance se terminaient souvent par un beau prince qui épousait une belle princesse. Normalement, ils avaient de nombreux enfants et vivaient heureux ensemble longtemps. Ce soir, le début de l’évangile de Jean aurait pu être une belle conclusion à la vie de Jésus parmi nous. « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Tout respire l’amour et la sérénité! Tout aurait pu se terminer ici. Jésus aurait pu passer de ce monde à son Père enveloppé d’un magnifique nuage d’amour, d’un amour comme le sien et celui du Père : sans limites.

Contrairement aux finales des beaux contes, ce texte n’est pas la conclusion d’un récit où tout se termine pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au contraire, c’est l’introduction à une histoire de trahisons, d’abandons, de lâchetés, de haine, de reniements culminant avec la mort dramatique du Seigneur Jésus sur la croix. Pourquoi faut-il que l’amour se conjugue si souvent avec l’incompréhension, la trahison et, éventuellement, avec la mort? Pourquoi faut-il que nos amours soient trahis ou blessés ou encore qu’un jour nous ne sachions plus comment aimer notre conjoint, nos enfants, nos frères et sœurs, nos amis!

Jésus répond par un geste à la fois simple et fort : le lavement des pieds de ses disciples. Ceux-ci ne comprennent pas le sens de ce geste. Bien plus que nous, ils sont pourtant familiers avec le geste d’accueil du lavement des pieds. Ne fait-il pas partie, encore aujourd’hui, des coutumes de l’hospitalité des peuples du Moyen-Orient?

Mais Jésus se situe à un tout autre niveau que celui de l’hospitalité traditionnelle. Son Heure est venue. Comme il est écrit dans le texte, il commence par déposer son vêtement, le même mot qu’il utilise lorsqu’il annonce qu’il donnera sa vie pour ses amis. « C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je dépose ma vie, pour la reprendre. Personne ne me l’enlève; mais je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprendre; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (Jn 10, 17-18).

Ainsi, en se dépouillant de ses vêtements, en les déposant et en lavant les pieds de ses disciples, Jésus mime ou reproduit, en quelque sorte, sa propre mort et lui confère toute sa signification : Jésus nous a aimés jusqu’au bout parce qu’il a fait de sa mort un don de lui-même radical. Il dépose sa vie pour tous ceux et toutes celles qu’il aime et telle est précisément la volonté du Père. À l’image de Dieu, son Père, Jésus dépose sa vie sans rien retenir pour lui et se fait ainsi entièrement vulnérable.

Pierre n’a rien compris à cette nouvelle logique de l’amour radical. Il appartient encore à la logique de la puissance et de la force. Il réclame un bain total. Jésus ne parle pas d’une purification corporelle, mais d’un renouvellement complet de notre manière de comprendre et de vivre l’amour. L’amour véritable, nous enseigne Jésus, est inséparable d’une attitude de don de soi où le soi ne se prend pas pour le centre de l’univers, mais se « dépose » sans cesse par les signes humbles et quotidiens du service, du pardon, de la disponibilité et de la joie. Tel est le salut qu’il apporte! Tel est le nouveau chemin d’amour que le Seigneur inaugure. Tel est, en fait, le seul avenir de vie pour l’humanité!

Ainsi, l’amour véritable est un amour vulnérable. Il se laisse toucher par les détresses et les horreurs du monde. Il peut entrer en sympathie avec autrui, sans le juger ni le condamner. Pierre et les autres disciples croyaient que leur Maître et Seigneur s’opposerait à sa destinée tragique par la force et la puissance. Jésus nous apprend que la véritable force est celle du don de soi et la vulnérabilité.

C’est là le visage du commandement nouveau de l’amour qui trouve maintenant son expression la plus forte dans l’eucharistie que nous célébrons et dans laquelle Jésus dépose encore aujourd’hui sa vie par les humbles signes du pain rompu et du vin offert, partagés en abondance jusqu’à la fin des siècles.
Faites ceci en mémoire de moi!

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur Dieu,
tu nous appelles à célébrer la très sainte Cène
où ton Fils unique,
avant de se livrer lui-même à la mort,
a remis pour toujours à son Église le sacrifice nouveau,
le repas qui est le sacrement de son amour ;
donne-nous de puiser à ce grand mystère
la charité et la vie en plénitude.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.