2 avril 2023
Le Fils livré!
LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (50, 4-7)
Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j’écoute.
Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ;
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.
LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPIENS (2, 6-11)
Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (26, 14 – 27, 66)
[…]
Alors, Pilate leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et il le livra pour qu’il soit crucifié. Alors les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans la salle du Prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! »
Et, après avoir craché sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier. En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix de Jésus. Arrivés en un lieu dit Golgotha, c’est-à-dire : Lieu-du-Crâne (ou Calvaire), ils donnèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goûta, mais ne voulut pas boire. Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ; et ils restaient là, assis, à le garder. Au-dessus de sa tête ils placèrent une inscription indiquant le motif de sa condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. » Alors on crucifia avec lui deux bandits, l’un à droite et l’autre à gauche. Les passants l’injuriaient en hochant la tête ; ils disaient : « Toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es Fils de Dieu, et descends de la croix ! »
De même, les grands prêtres se moquaient de lui avec les scribes et les anciens, en disant : « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ! Il a mis sa confiance en Dieu. Que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! Car il a dit : ‘Je suis Fils de Dieu.’ »
Les bandits crucifiés avec lui l’insultaient de la même manière. À partir de la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éli, Éli, lema sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » L’ayant entendu, quelques-uns de ceux qui étaient là disaient : « Le voilà qui appelle le prophète Élie ! » Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il trempa dans une boisson vinaigrée ; il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire. Les autres disaient : « Attends ! Nous verrons bien si Élie vient le sauver. » Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.
Et voici que le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! »
Homélie
Le récit de la passion qui vient d’être proclamé débute tragiquement par ce que nous appelons la trahison de Judas. Judas est certainement un des personnages de l’Évangile les mieux connus, même aujourd’hui. Le fameux chanteur Charles Aznavour a composé une chanson intitulée ‘mon ami, mon Judas’ qui se termine ainsi : ‘Mon ami, mon Judas, fais ton métier, crucifie-moi’. Même Lady Gaga s’est permis une chanson sur Judas où elle s’inspire de l’amitié entre Jésus et Judas ‘mon ami’.
Judas le traître. Pourtant, dans tous les Évangiles, il n’est appelé ainsi qu’une seule fois. Judas est toujours présenté comme celui qui a livré Jésus. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que Judas a joué un rôle important dans la passion et la mort de son maître. Comme dans un jeu de domino, il est la première pièce qui, en tombant, entraîne la chute de toutes les autres. Judas livre Jésus aux prêtres qui le livrent à Pilate qui, lui, l’envoie à Hérode, qui, à son tour, le retourne à Pilate. Pilate le livre à ses troupes pour qu’il soit flagellé, torturé et ridiculisé. Finalement, il le livre à la foule qui crie pour qu’il soit livré au supplice de la croix. Judas est donc le point de départ d’une série de manigances humaines culminant avec la mort du Seigneur Jésus. Si Judas est le premier coupable, il est loin d’être le seul. Tous le sont!
Jésus est livré, tant et si bien que, sur la croix, il s’écrira avant de mourir ‘mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?’. Jésus est abandonné par tous et pense l’être même par Dieu. De fait, où est-il celui au nom duquel Jésus, durant son ministère, remettait debout les paralytiques, faisait entendre les sourds et guérissait les lépreux? Où est-il celui au nom duquel il se permettait de pardonner les péchés? La croix serait-elle pour Jésus un terrible moment de vérité où il aurait pris conscience que, comme le serviteur de notre première lecture, il se serait épuisé pour rien ? Pourtant ce cri de désespoir est adressé à son Dieu! Il est encore son Dieu même dans les ténèbres les plus épaisses qui sont les siennes. Le fil est ténu, mais ne rompt pas : Dieu demeure toujours ‘son’ Dieu. Et nous savons que son cri a été entendu! D’ailleurs, celui-ci correspond au premier verset du psaume 21 que nous avons chanté et qui se termine par l’intervention victorieuse de Dieu : ‘tu m’as répondu, et je proclame ton nom devant mes frères. Je te loue en pleine assemblée’.
C’est ici que se manifeste l’acteur principal que nous avons oublié, celui qui se fait discret et qui, pourtant, est bien présent : le Dieu de Jésus, son Dieu, son Père, même si Jésus ne sent plus sa présence. Jésus n’est pas qu’un jouet entre les mains de l’humanité, il est celui que le Père donne à l’humanité. Il est celui que le Père nous livre. D’ailleurs, Jésus se livre lui-même lui qui, ne retenant pas son rang qui l’égalait à Dieu, a consenti à prendre le chemin de la mort, et la mort sur la croix, la mort de l’esclave. À travers le jeu des libertés humaines, Dieu demeure le maître du jeu et réalise son projet qui n’est que celui de l’amour donné vainqueur du péché, de nos ténèbres et de la mort. Le Père livre son Fils pour nous délivrer. Jésus se fait victime pour arracher à l’injustice et à la mort toutes les victimes, hommes, femmes et enfants qui ont été et qui seront le jouet des puissants, qui ont été et qui seront écrasés par la violence et le mal. Il se fait victime pour pardonner et changer le cœur de tous les tortionnaires et traîtres. À travers toutes ces machinations mortifères humaines, un drame divin s’est joué. La lumière plongeait dans nos ténèbres et nos désespoirs pour qu’y soit enfouie une présence lumineuse, celle d’un frère en humanité, celle du Fils du Père ouvrant le chemin vers les bras du Père. Le rideau du Sanctuaire, séparant le Saint des Saints, se déchire pour que, même dans nos ténèbres les plus épaisses, même dans nos morts les plus abjectes, la lumière de l’amour du Père nous illumine. Le dernier mot de cette tragédie est celui du Père. Ainsi, par la Croix, le Christ Sauveur remet l’humanité paralysée debout. Par la croix, l’humanité entend une parole de vie et de pardon. Par la croix, l’humanité est guérie de la lèpre du péché. À la croix, les bras de Dieu sont ouverts jusqu’à la consommation des siècles pour accueillir tous les pécheurs, même les plus désespérés.
Même notre Judas? Judas, au moment ultime, a-t-il entendu dans les ténèbres de son cœur cette voix, la voix de celui qu’il connaissait si bien, la voix de son ami Jésus? Le pape Benoît XVI est d’avis que (et je le cite) « ce n’est pas à nous qu’il revient de juger son geste, en nous substituant à Dieu infiniment miséricordieux et juste ». Il poursuit « dans son mystérieux projet salvifique, Dieu assume le geste inexcusable de Judas comme une occasion de don total du Fils pour la rédemption du monde ». Le geste de rejet devient le geste de l’amour livré. La trahison devient le signe inscrit dans la chair et le sang de la fidélité indéfectible et de l’amour inconditionnel du Père. La mort du Fils devient source de la vie en plénitude!
Dans notre eucharistie, rendons grâce au Père pour le don de son Fils alors que nous communierons au corps livré et au sang répandu pour nous et pour la multitude. Entendons le cri de Jésus résonner au cœur de nos angoisses, de nos découragements. Par la croix, la vie et l’amour sont les derniers mots de toute histoire, y compris la nôtre. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna au plus haut des cieux!
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
Père de Jésus Christ, notre Dieu,
nous avons fait mémoire de l’entrée
triomphale de ton Fils au milieu de ton peuple
et voilà que se profile aussitôt, à nos yeux,
le mystère de sa passion et de sa mort sur la croix.
Accorde-nous de croire en l’amour
qui l’a conduit au Calvaire et l’a ressuscité d’entre les morts
et nous aurons la force de le suivre
sur le chemin de sa passion,
pour avoir part à la gloire de sa résurrection,
car il vit et règne, avec toi et le Saint-Esprit
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.