Homélie, jeudi, 4ème semaine du Carême

23 mars 2023

Avoir en soi l'amour de Dieu

Aujourd’hui, le frère Raymond Latour, O.P., nous présente Dieu sous un jour plus émotionnel, un Dieu qui apprend à gérer les peines d’amour que Lui inflige son peuple, et Moïse comme son témoin et son confident qui Lui rappelle qui Il est, même au temps de Jésus.
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Homélie

Combien de fois le Seigneur a-t-il eu à se plaindre de son peuple? Heureusement, il avait en Moïse une oreille amicale à qui se confier. Dieu aussi peut avoir besoin de ventiler…

Dieu ne s’est pas constitué un dossier pour inventorier les péchés et transgressions du peuple élu. Sa voix, que nous entendions dans la première lecture, n’est pas celle de l’accusateur ou du juge. On y entend plutôt une grande déception, celle d’un amour qui n’a pas trouvé sa réciprocité. Une douleur de voir des grâces insignes se détourner contre celui qui les avait prodiguées. Le Seigneur semble se résigner à revenir de sa folie, à se « raisonner »», à considérer son peuple, non plus selon l’amour qu’il lui porte, mais les actions qu’il a étalées devant lui. Ce peuple à la nuque raide n’a-t-il pas définitivement refusé l’alliance qui lui était proposée? Comment le Seigneur pourrait-il ne pas en prendre acte?

Dans la douleur amoureuse, il arrive que l’on dise des paroles qui dépassent notre pensée. Le cœur brisé ressent le besoin de dire sa blessure, et se met à utiliser des mots en proportion de la vive douleur qu’il éprouve : « Laisse-moi faire; ma colère va s’enflammer contre eux et je vais les exterminer! » Ce n’est pas un Dieu vengeur qui parle, c’est un Dieu qui souffre une peine d’amour.

Les ruptures d’alliance font mal. Dans ces circonstances difficiles, Dieu avait besoin d’un bon accompagnateur devant qui il pourrait déverser librement le contenu de son amertume. Après une écoute attentive, Moïse réussit « à apaiser le visage du Seigneur son Dieu ». Comment s’y est-il pris? En le ramenant à lui-même, à son identité. Il n’avait pas d’autre levier. Impossible de plaider en faveur du peuple.

Dieu, le Dieu-fidèle allait-il se modeler sur l’infidélité de son peuple? Dieu, le père des miséricordes, allait-il agir selon sa colère? Dieu, le Dieu de l’alliance allait-il renier sa parole?

Moïse s’était calmement installé dans la logique du cœur de Dieu. L’alliance avec son peuple, c’est Lui, le Seigneur, qui en était l’auteur. La proposer au peuple, c’était s’exposer. L’altérité n’est pas sans dangers. L’offre peut être ignorée, refusée, méprisée comme l’a démontré l’épisode du veau d’or. Dieu en concurrence avec un veau d’or! Dieu préféré à une idole! Dieu abandonné par le peuple qu’il avait libéré par des prodiges inégalés! Quel affront! Comme cela pouvait être offensant! Dieu savait-il en faisant alliance avec le peuple d’Israël qu’il prenait un tel risque? Moïse lui a fait comprendre qu’il y aurait plus grave encore que cette déconvenue. Dieu le Très-Haut, Dieu l’unique, le Tout-puissant était en passe de se perdre lui-même, de se renier lui-même, pour sa plus grande honte devant l’Égypte et toutes les nations qui auraient entendu parler de lui, de sa grandeur et de sa fidélité. Allait-il se laisser définir par ce peuple à la nuque raide?

Rester soi-même dans le chagrin amoureux n’est pas une mince affaire. Même pour Dieu. Grâce à Moïse au cœur intelligent, il est resté Dieu…

C’est à cette fidélité que Jésus s’est attachée dans l’exercice de sa mission. Il ne se centre pas sur les attentes religieuses des uns et des autres, il n’attend pas que son témoignage soit validé par une autorité quelconque. La gloire, dira-t-il, il ne la reçoit pas des hommes. Là-dessus, Jésus manifeste une souveraine liberté. Il est venu pour le salut de tous : que tous soient sauvés, c’est sa passion, son désir le plus profond puisque c’est l’œuvre du Père qu’il a à accomplir.

Il pourra être rejeté, méprisé, incompris, cela ne signifiera pas pour autant l’échec de cet envoi. Il lui appartient ultimement de manifester le visage de Dieu qui offre sa grâce et accepte le refus. Il ne mesure pas sa mission au succès d’estime qu’elle peut lui rapporter. Il connaît trop l’inconstance du cœur humain pour se fier aux adhésions superficielles que lui vaudraient ses signes et miracles.

Le Père lui rend témoignage, et cela lui suffit. Serait-il illuminé? Non, il y a un autre témoignage tout aussi décisif, celui des Écritures. Deux témoins qui attestent en sa faveur. Précisément les deux témoins auxquels les adversaires de Jésus ont recours pour l’accuser, le condamner comme étant infidèle. Dieu et les Écritures sont convoqués par les deux partis. Pour Jésus, c’est Moïse lui-même qui vient trancher le débat. Ce Moïse dont l’élite religieuse se réclame, Jésus le reconnaît comme le véritable ami de Dieu. Lui, Moïse, pourrait se tenir à ses côtés comme il le fit jadis auprès du Seigneur, pour le soutenir dans son échec apparent. Jésus leur dira : « je vous connais : vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu », contrairement à Moïse, laisse-t-il entendre.

Avoir en soi l’amour de Dieu, c’est souffrir avec lui de l’incompréhension et du rejet. C’est servir, envers et contre tous, la parole qui donne vie, la parole qui s’offre comme une proposition d’amour. Avoir en soi l’amour de Dieu, c’est croire profondément à ce qu’il est, le Dieu fidèle, qui jamais ne se dément. Dieu qui ira jusqu’au bout de son désir d’alliance, jusqu’à la croix, pour que nous ayons la vie. Avoir en soi l’amour de Dieu, c’est être témoin de cette fidélité.

Fr. Raymond Latour, O.P.

 

PRIÈRE

Seigneur,
nous implorons humblement ta tendresse :
donne à tes serviteurs,
purifiés par la conversion et formés par leurs œuvres bonnes,
de persévérer dans tes commandements d’un cœur sincère
et d’arriver sans encombre aux fêtes de Pâques.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
∞ Amen.