Homélie, dimanche, 4ème semaine du Carême

19 mars 2023

Voir sans rien voir!

En ce 4ème dimanche du Carême, le frère André Descôteaux, O.P., nous présente les différents portraits, les différentes réactions, que l’on peut avoir en rencontrant Jésus, de l’intérêt superficiel au refus rigide, jusqu’au cheminement qui mène à la conversion.
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Homélie

Voir. Avec de bons yeux qu’y a-t-il de plus simple que de voir ? Et pourtant ! Nous ne voyons pas ce qui nous pend au bout du nez surtout quand nous marchons parlant avec notre téléphone intelligent. Sans parler des personnes avec qui nous vivons quotidiennement que, très souvent, nous voyons sans voir. Racine, ce grand dramaturge du XVIIe siècle, fait dire à un de ses personnages dont l’amour n’est pas reconnu par celle qu’il aime « Que vous dirais-je enfin ? Je fuis des yeux distraits, qui me voyant toujours ne me voyaient jamais. » Il était près d’elle. Elle le voyait mais elle ne voyait pas qu’il l’aimait. Voilà pourquoi il la quitte.

Voir et ne pas voir. Voir Jésus et ne pas voir le Christ. Voir Jésus et reconnaître en lui le Seigneur, le Fils de l’Homme, tel est l’enjeu de cet Évangile et d’ailleurs de tous les Évangiles. Jésus, ce soir, accomplit un geste extraordinaire : il guérit un aveugle de naissance. L’enjeu est simple : qui le verra pour ce qu’il est? qui ne le verra pas ?

Dans ce magnifique évangile, très intelligemment construit, Jean, à travers différents personnages, nous invite à nous poser la question de son identité en nous interrogeant sur notre manière de le voir Jésus, lui, le Sauveur du monde.

Commençons notre démarche en nous attardant aux voisins de l’aveugle. Ils sont estomaqués par sa guérison au point que certains se demandent si c’est bien lui. Eh oui, c’est bien lui. Ils se demandent alors où peut bien être ce Jésus qui l’a guéri. Ils ne vont pas plus loin dans leur recherche. Ils veulent seulement assouvir leur curiosité. Aucune question sur l’identité de ce Jésus. Une pure réaction de superficialité. Ils vivent à la surface des choses. En début de semaine, c’était le drame d’Amqui, vendredi le meurtre de trois personnes dans Rosemont, le feu dans le Vieux-Montréal avec six disparus, sans parler de la mise en accusation de Poutine. Demain, ce sera autre chose. Ils ne voient que les faits divers. Ils vivent au niveau des manchettes des journaux, du spectaculaire ! Rien de plus !

Viennent les parents. Avez-vous remarqué qu’ils ne tiennent pas du tout à se mouiller ? Que pensent-ils? Nous ne le savons pas. Ils craignent les Juifs qui avaient décidé d’exclure de leurs synagogues les disciples de Jésus. Dire le minimum, pour se protéger. S’ils sont des témoins, c’est de la peur qui bloque. Rien à attendre d’eux !

Maintenant les pharisiens. Nous voilà au cœur de l’enjeu. Il faut bien reconnaître qu’au départ ils essaient de comprendre et s’interrogent sur l’identité de Jésus, mais ils sont pris dans un dilemme. D’une part, Jésus « ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». Vous vous rappelez que Jésus a opéré cette guérison le jour du sabbat. Mais, d’autre part, « comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? »

Comment s’en sortir ? Ils commencent par mettre en doute la guérison de l’aveugle. Mais leur tentative échoue. Et voilà qu’ils s’enferment de plus en plus dans leur conception du sabbat et de Dieu pour, dans les faits, régresser.

Cela est évident dans leur deuxième rencontre avec l’aveugle-né. Ce dernier osera même leur opposer une de leurs propres interprétations. « Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d’opérer de tels signes ? » Raisonnement impeccable, mais inutile désormais. Les pharisiens ont refusé de croire. C’est au nom de leur position religieuse qu’ils vont refuser le témoignage de l’aveugle guéri, car il met en cause leur approche de la Loi dans sa fixité. Ils ont la foi en Moïse et leur compréhension de cette foi les empêche de comprendre Jésus, lui, qui pourtant, a dit qu’il était venu « non pas pour abolir, mais accomplir la loi ». Leur foi les empêche de voir. Pour eux Jésus n’a qu’une place : celle du pécheur, celle du blasphémateur et c’est à ce titre qu’ils auront sa peau. Refusant de s’ouvrir à la nouvelle lumière du Christ, prétendant à la suffisance de leur propre lumière, c’est volontairement qu’ils deviennent aveugles et par là s’enferment dans l’aveuglement. De voyants, ils deviennent aveugles.

Reste le miraculé, l’aveugle-né. Comme la Samaritaine de dimanche dernier, nous pouvons observer son itinéraire tout à fait opposé à celui des pharisiens. Il est le type de l’honnête homme qui cherche, qui ne se contente pas de réponses toutes faites, de demi-vérités. Il n’esquive pas les questions et, dans ses réponses, n’en rajoute pas au récit. En fonction de là où il est rendu, il affirme ce qu’il peut affirmer.

Mais il évolue. Au départ, il parle de l’homme Jésus. Ensuite, il affirme qu’il est un prophète qui vient de Dieu. Finalement, il rencontre Jésus et le récit se termine par sa confession de foi : « Je crois, Seigneur ! Et il se prosterna devant lui ».

À travers ces réactions si diverses, et celle de l’aveugle lui-même dans ses diverses étapes, une sorte de tableau vivant est présenté des réactions possibles face à l’événement, qui est finalement Jésus lui-même. Nous sommes quelque part dans ce récit. Nous pouvons nous reconnaître dans la curiosité superficielle des voisins de l’aveugle ou encore dans la peur qu’il nous faut vaincre pour témoigner de l’Évangile. Nous qui connaissons les formules de la foi, pouvons-nous faire place à la nouveauté de l’Évangile? Si nous passions un examen de catéchisme, probablement que nous aurions tous 20 sur 20 d’autant plus que vous fréquentez les Dominicains, mais qu’en est-il de notre accueil du Christ dans le pauvre, l’affligé ? Mieux vaut ne pas voir ou ne pas regarder la lumière qui pourrait modifier trop de choses dans le paysage familier de notre foi. Mais attention ! Il y a des façons de croire qui font voir et parler, de mieux en mieux, et d’autres qui peuvent rétrécir la vue, de plus en plus, jusqu’à l’aveuglement.

« Je suis venu pour un jugement : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »

Paraphrasant Saint Augustin, demandons, dans cette eucharistie, que nos cœurs, nos esprits soient illuminés de sorte qu’ayant trouvé le Christ, lumière du monde, nous ne cessions de le chercher. Amen.

Fr. André Descôteaux, O.P.

 

PRIÈRE

Père,
qui as répandu sur l’humanité ta lumière,
en lui donnant ton propre Fils,
puissions-nous l’accueillir dans la foi.
Avec lui, nous marcherons jusqu’à toi
et nous découvrirons ton visage,
pour les siècles des siècles.
∞ Amen.