Homélie, lundi, 6ème Semaine du Temps Ordinaire

13 FÉVRIER 2023

Patience face à la résistance

Aujourd’hui, le frère Jean-Louis Larochelle , O.P., utilise un point de vue sociologique et historique pour nous montrer que la résistance qu’a rencontré Jésus avec son message n’est ni anormale ni unique.

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Homélie

Les récits évangéliques révèlent que les confrontations entre Jésus et les pharisiens ont été nombreuses. Nous en avons un exemple aujourd’hui. À première vue, ces confrontations peuvent paraître peu compréhensibles. La résistance quasi entêtée des pharisiens face aux interprétations de Jésus de la Loi de Moïse paraît tout à fait excessive. Au départ, Jésus ne partageait-il pas largement avec eux la longue tradition spirituelle juive? Bien sûr, Jésus affirmait que le sabbat était fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat, que l’amour du prochain n’était pas réservé aux proches seulement mais aux ennemis, que l’entrée dans le Royaume de Dieu était accessible aux pécheurs et aux marginalisés et pas seulement aux personnes qui avaient la prétention d’être des « purs ». Y avait-il là matière à se faire des persécuteurs de Jésus?

Pour rendre compte de l’agressivité continuelle des pharisiens et des scribes à l’endroit de Jésus, les historiens des religions et les ethnologues donnent une explication bien différente de celle qui est communément proposée. À leurs yeux, la résistance que Jésus a rencontrée n’était pas qu’individuelle mais collective. Et pourquoi cette résistance était-elle collective? C’est parce que Jésus, par ses prises de position, venait menacer la culture de la société juive de l’époque. Il mettait en danger la stabilité de son système religieux et culturel. Pour justifier leur prise de position, ces historiens et ethnologues ont fait appel aux expériences vécues par les missionnaires chrétiens à différentes époques de l’histoire de l’Église, et ce, tant en Asie, en Amérique qu’en Afrique. À partir des récits des évangélisateurs, ils ont rapidement fait ressortir le fait que vouloir changer la vision du monde et les modes de vie d’une société, même petite, est une entreprise qui engendre une très forte résistance, et ce, à moyen et à long terme. Car un tel changement touche en profondeur l’identité d’une société et celle de ses membres. L’adhésion au christianisme par exemple, dans les pays de mission, a toujours signifié une rupture de plus ou moins grande ampleur avec la culture en place. Et là, une résistance habituellement profonde s’est manifestée. Pour illustrer cette lecture de la réalité, j’emprunte ici à l’expérience de Marie de l’Incarnation, à Québec. En 1668, après plus de 25 ans d’efforts de sa communauté religieuse pour éduquer et catéchiser de jeunes filles huronnes, cette éducatrice s’exprimait de la sorte : « C’est pourtant une chose très difficile pour ne pas dire impossible de les franciser ou civiliser. Nous en avons l’expérience plus que tout autre, et nous avons remarqué de cent de celles qui sont passées par nos mains à peine en avons-nous civilisé une. » (Cet extrait est tiré du livre de Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Champs histoire, Flammarion, 2019, p. 330). Dans une perspective missionnaire, c’est là un triste résultat que le chiffre de 1 % de réussite. Il faut retenir ici que ces jeunes huronnes retrouvaient leurs familles assez régulièrement…ainsi que la culture huronne de leurs parents. En revanche, les Hurons ne manifestèrent pas du tout une résistance semblable face aux nouveautés matérielles que les Français leur apportaient. Ces mêmes Hurons ont très bien accueilli et utilisé les chaudrons, les couteaux, les armes à feu ainsi que les vêtements de laine et les tissus apportés par les étrangers. Ce qui ne passait pas, ce sont certaines valeurs de l’Évangile. Une telle dynamique de résistance a d’ailleurs amené les Ursulines de Québec, après 1680, à s’investir surtout dans l’éducation des jeunes filles de colons français.

Comme on peut le constater à la lumière de l’histoire, l’accueil de l’Évangile ne s’est jamais fait sans résistance. Car aucune culture n’est neutre. Chacune véhicule, pour une part du moins, une vision de la vie qui s’oppose à ce que Jésus a été et à ce qu’il a proposé. C’était vrai en Israël au premier siècle, c’était vrai en Nouvelle-France au XVIIe siècle, et cela est vrai aujourd’hui dans notre propre société. Ce constat nous fait plonger dans le mystère du salut. Et ce salut, c’est Dieu qui le réalise, à sa manière. Sachons faire confiance à l’Esprit du Seigneur qui, lui, sait mener à la Vie en plénitude, mais avec patience.

Fr. Jean-Louis Larochelle, O.P.

 

PRIÈRE

Pour ceux qui t’aiment, Seigneur Dieu,
tu as préparé des biens que l’œil ne peut voir :
répands en nos cœurs la ferveur de ta charité,
afin que t’aimant en toute chose et par-dessus tout,
nous obtenions de toi l’héritage promis qui surpasse tout désir.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi, dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.

∞ Amen.