10 FÉVRIER 2023
Effata : sois ouverte !
Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P., nous explique une histoire de guérison par Jésus qui diffère de la plupart des autres dans l’Évangile et peut laisser perplexe, mais qui respire la tendresse et le salut.
LIVRE DE LA GENÈSE (3, 1-8)
Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
que le Seigneur Dieu avait faits.
Il dit à la femme :
« Alors, Dieu vous a vraiment dit :
“Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? »
La femme répondit au serpent :
« Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin,
Dieu a dit :
“Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas,
sinon vous mourrez.” »
Le serpent dit à la femme :
« Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux,
connaissant le bien et le mal. »
La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux,
qu’il était agréable à regarder
et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence.
Elle prit de son fruit,
et en mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
et il en mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent
et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.
Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier,
et ils s’en firent des pagnes.
Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu
qui se promenait dans le jardin à la brise du jour.
L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu
parmi les arbres du jardin.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (7, 31-37)
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement.
Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Homélie
Jésus a été un guérisseur. L’Évangile est emmaillé de nombreuses guérisons par Jésus. Celle relatée dans le récit de l’évangile de ce matin peut sembler étrange. Tout d’abord, il n’impose pas les mains sur la personne sourde et éprouvant des difficultés à parler comme on le lui demande. En outre, comme dans d’autres récits de guérison, il ne se contente pas d’une parole du genre, ‘va, ta foi t’a sauvé’, ou encore ‘sois guéri, je le veux’. Non, il procède comme les guérisseurs publics de son temps nous offrant ainsi une clé d’interprétation de ce miracle. Reprenons étape par étape ce récit de guérison.
Jésus commence par amener l’homme à l’écart, par le soustraire à la foule. Ce qui se passera se passera entre eux et Dieu. Ensuite, Jésus lui touche les oreilles puis la langue, les deux organes malades. Il s’engage corporellement par ses gestes et de manière plus intime par sa salive. Ce faisant, il tire quelque chose de lui-même et le lui communique.
Jésus, les yeux levés vers le ciel, émet alors un gémissement. Il ne parle pas, il gémit. Quelque chose se dit qui ne peut être exprimé par des mots. Alors qu’à la résurrection de Lazare, Jésus rend grâce à Dieu pour le signe qu’il va accomplir, ici, Jésus ne dit rien : il gémit. Ce discours inarticulé est dirigé. En effet, après avoir établi le contact, corps à corps, avec le malade, il se met en communion avec Dieu, avec son Père.
Un triangle se forme. Le premier côté est constitué du lien entre Jésus et la personne sourde, le deuxième entre Jésus et son Père et finalement le troisième entre Dieu et le malade quand Jésus prononce le mot ‘Effata’, ouvre-toi! La traduction littérale serait : « sois ouvert ». Après avoir touché les oreilles et la langue, il s’adresse à l’homme, au sujet humain, enfermé sur lui-même. La traduction ‘sois ouvert’ rend bien la passivité de la personne handicapée qui d’ailleurs n’a pas dû entendre. Autant qu’à lui, cet appel de Jésus s’adresse au Ciel. Et voilà que ses oreilles s’ouvrirent, sa langue se délia et il parla correctement. Si le résultat correspond à la demande de la foule, le ‘sois ouvert’ peut être interprété d’une manière plus profonde dans le sens où les oreilles s’ouvrent de l’intérieur. Il ne s’agit pas seulement d’une guérison physique où le sourd peut s’ouvrir aux autres et au monde, mais où il peut également entendre la Parole de Dieu, la Parole de vie qui lui donne une nouvelle existence.
C’est dans ce sens que la liturgie du baptême inclut la possibilité pour le célébrant de toucher les oreilles et la bouche du baptisé en disant : ‘Effétah! Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets; qu’il te donne d’écouter sa parole, et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père’.
Alors qu’approche la journée des malades instaurée par Saint Jean-Paul II, en la fête de Notre Dame de Lourde, difficile pour moi de ne pas penser à tous ces pèlerinages du Rosaire organisés par les Dominicains de France auxquels j’ai eu la grâce de participer. J’y ai beaucoup confessé. Parmi toutes les confessions entendues, certains pèlerins partageaient leurs épreuves qu’ils venaient confier à la Vierge de Lourdes : maladie, mortalité, famille brisée, relations matrimoniales difficiles, voire impossibles, chômage, injustice subie. Il m’est arrivé de me sentir totalement démuni devant les situations qui m’étaient exposées. Je ne savais pas quoi dire : aucune solution humaine ne semblait possible. Une fois ou l’autre, j’aurais pleuré avec le pèlerin. Mais, m’était-il demandé de proposer une solution?
Je crois que dans le récit de la guérison du sourd et muet de l’évangile de ce matin, Jésus nous montre ce que nous pouvons faire face à la personne dans l’épreuve. Premièrement, se retirer de la foule pour nous rendre proche par le cœur, écouter, entrer dans une profonde sympathie comme Jésus qui a touché le sourd et muet. Même lorsque le dialogue par la parole est impossible, il reste justement le toucher. Alors que ma mère avait subi un AVC qui la rendait incapable de parler ou de comprendre ce qu’on lui disait, ne sachant que faire, une infirmière me dit : « prenez donc la main de votre mère »! Compatir, écouter, se faire tout proche. Et comme Jésus, gémir dans la prière! Les mots peuvent manquer. Il s’agit alors de laisser monter en nous le cri de la souffrance, en espérant que la personne éprouvée perçoive, même faiblement, un appel. « Sois ouvert. Le Christ Jésus, le Fils de Marie, est là avec toi et quoiqu’il t’arrive, il t’ouvre un chemin de vie ».
L’épreuve peut souvent boucher l’horizon. Comme le dit si justement le titre d’un ouvrage publié il y a quelques années ‘corps brisé, foi blessée’. Soyons donc comme Jésus qui se fait proche de nous tous et de nous toutes pour que nous ouvrant à sa Parole de vie et à la souffrance des personnes qui nous entourent nous soyons ses mains, l’expression de son amour, signe que rien n’est irrémédiablement fermé. Effata! Sois ouvert! Amen.
Fr. André Descôteaux, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.