3 FÉVRIER 2023
Un repas qui donne la vie
Aujourd’hui, le frère Gustave Nsengiyumva, O.P., fait explique en quoi le sort macabre de Jean Baptiste préfigure celui de Jésus et dépeint une comparaison marquante entre le banquet du roi Hérode et la multiplication des pains par Jésus.

LETTRE AUX HÉBREUX (13, 1-8)
Frères,
que demeure l’amour fraternel !
N’oubliez pas l’hospitalité :
elle a permis à certains, sans le savoir,
de recevoir chez eux des anges.
Souvenez-vous de ceux qui sont en prison,
comme si vous étiez prisonniers avec eux.
Souvenez-vous de ceux qui sont maltraités,
car vous aussi, vous avez un corps.
Que le mariage soit honoré de tous,
que l’union conjugale ne soit pas profanée,
car les débauchés et les adultères seront jugés par Dieu.
Que votre conduite ne soit pas inspirée par l’amour de l’argent :
contentez-vous de ce que vous avez,
car Dieu lui-même a dit :
Jamais je ne te lâcherai,
jamais je ne t’abandonnerai.
C’est pourquoi nous pouvons dire en toute assurance :
Le Seigneur est mon secours,
je n’ai rien à craindre !
Que pourrait me faire un homme ?
Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés :
ils vous ont annoncé la parole de Dieu.
Méditez sur l’aboutissement de la vie qu’ils ont menée,
et imitez leur foi.
Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même,
il l’est pour l’éternité.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC (6, 14-29)
En ce temps-là, comme le nom de Jésus devenait célèbre, le roi Hérode en entendit parler. On disait : « C’est Jean, celui qui baptisait : il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. » Certains disaient : « C’est le prophète Élie. » D’autres disaient encore : « C’est un prophète comme ceux de jadis. »
Hérode entendait ces propos et disait : « Celui que j’ai fait décapiter, Jean, le voilà ressuscité ! » Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse. En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. »
Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir.
Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée. La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. » Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. »
Le roi fut vivement contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison. Il apporta la tête sur un plat, la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
Ayant appris cela, les disciples de Jean vinrent prendre son corps et le déposèrent dans un tombeau.
Homélie
Nous avons ce matin un long récit, pourtant bien au cœur de l’Évangile le plus court, ce qui a de quoi surprendre. D’autant plus qu’il s’agit du seul passage dans lequel Jésus n’est pas explicitement nommé. Cependant, le récit du martyre de Jean le Baptiste n’est pas étranger à la personne de Jésus, dans la mesure où le destin de Jean préfigure le sien. Comme Jean, Jésus sera arrêté et lié. On l’a écouté avec plaisir, ce qui n’empêche pas qu’on veut malgré tout le mettre à mort, mais on le craint. Le sort des deux martyrs est décrit par l’évangéliste de manière à ce que la similitude soit évidente.
Jean-Baptiste est clairement le précurseur, non seulement par son ministère public, lorsqu’il prépare les voies du Seigneur, qu’il annonce la venue d’un plus fort que lui; mais aussi par sa fin tragique, qui anticipe celle de Jésus. Le banquet offert par Hérode, que le meurtre sordide de Jean va agrémenter, annonce le repas au cours duquel Jésus révèlera qu’il sera livré. Aussi la place importante que Saint Marc attribue aux circonstances du martyr de Jean, pourrait bien se justifier par cette opposition : le festin d’Hérode n’est-il pas l’antitype du repas chrétien ? Le fait que le (premier) récit de la multiplication des pains suit immédiatement notre péricope, ne fait que confirmer cette interprétation.
Les invités au repas d’Hérode ont été triés sur le volet; alors que ceux qui vont bénéficier de la multiplication des pains n’ont pas été invités et ne seront pas contrôlés à l’entrée : voyant Jésus et ses disciples s’éloigner en barque, « les gens coururent à pied, de toutes les villes » (Mc 6, 33) vers le lieu où ils prévoyaient que le Maître allait débarquer.
On voit bien que le rapport entre Hérode et son entourage est inversé : Jésus se fait le serviteur de ceux qui le cherchent, alors qu’Hérode se fait servir par un entourage à sa solde. « Les rois des nations païennes commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 25-27).
On n’exagère pas en notant que tout est faux dans le repas d’anniversaire d’Hérode. L’acteur principal demeure cependant caché : celui qui tire les ficelles de cet anti-repas n’est autre que le démon qui, « comme un lion qui rugit, va et vient à la recherche de sa proie » (1 P 5, 8). Jésus lui agit au grand jour : il multiplie les pains et les poissons après les avoir bénis et les « donne aux disciples pour qu’ils les distribuent. Tous mangèrent à leur faim » (Mc 6, 41).
Rien de tel dans ce macabre repas d’anniversaire, où la quête effrénée de plaisir conduit à la mort : on y sert sur un plat la tête de Jean-Baptiste. Seule la soif de vengeance de Hérodiade se trouve rassasiée ; les convives doivent « avaler » cette scène d’horreur gratuite : le meurtre sanguinaire d’un Innocent, consenti par un lâche vaniteux et orgueilleux.
Rien n’est décidément normal dans cet événement : l’anniversaire d’un roi était traditionnellement marqué par des mesures de clémences et d’amnistie, et non par des exécutions capitales arbitraires. Mais comment la clémence pourrait-elle fleurir sur une terre abreuvée de sang ? Il faut aller sur la montagne où Dieu multiplie les pains, pour découvrir que « les temps sont accomplis », que « le règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15). Alors que le banquet d’Hérode donne la mort, l’Eucharistie que nous célébrons est un repas qui donne la vie, et la vie en abondance.
Fr. Gustave Nsengiyumva, O.P.
PRIÈRE
∞ Amen.