Homélie, 4ème dimanche du Temps Ordinaire

Faut-il bannir la radicalité de nos vies ? Avec une amie, vendredi soir je regardais un film sur Netflix. C’était des épisodes de 45 minutes où un couple ou une personne seule allait à une agence de rencontre pour trouver l’âme sœur. Un homme bisexuel s’est retrouvé avec 3 femmes homosexuelles ou bisexuelles ; les yeux et la langue voulaient lui sortir de la tête. Chaque couple s’était donné des règles de comportements à respecter, à ne pas franchir, mais cela a pris le bord avec l’arrivée d’une 3è personne dans le couple. On sait l’importance de respecter les règles comme les 12 étapes et les 12 traditions des AA, les codes de vies des prêtres, des religieux et des religieuses, les vœux du mariage sacramentel ainsi que la formation militaire et d’autres.

Cela me fait me demander : faut-il bannir la radicalité dans nos vies ? Notre point de référence à toutes et tous c’est Jésus de l’Évangile, le Jésus du Sermon sur la montagne, Lui qui a fait le don total de sa vie sur une croix. Jésus appelle très clairement ses disciples à une forme de radicalité dans leurs manières de croire, de penser, de vivre. La radicalité proposée par Jésus vient contester le règne du superficiel, de l’éphémère, du jetable, de l’autosuffisance, du replis sur soi dans nos relations à Dieu, à notre prochain, à toutes les créatures qui habitent notre terre.

Avons-nous déjà pensé relire chaque béatitude en se référant à l’exemple du Christ lui-même ? Et là tout s’éclaire. On traduit parfois le mot « heureux » dans les béatitudes par « en marche ». Durant toute sa vie publique, en effet, Jésus s’est mis en marche. Par sa présence et son action, il a mis en œuvre la venue du Royaume de Dieu. Il s’est fait pauvre de cœur pour tout accueillir du Père. Il a été persécuté pour la justice et compté pour rien. Il a souffert jusqu’à l’extrême. En Jésus, Dieu se déclare donc pour ceux et celles qui ne comptent pas. Il prend parti pour les démunis. Il fait preuve de bienveillance sans limite. Les béatitudes révèlent essentiellement le cœur du Père, miséricordieux et près des petits.

Cet enseignement de Jésus ne se veut pas un catalogue de préceptes pratiques pour le bon disciple. Il ouvre de nouveaux horizons et laisse à chacun et chacune le soin d’adopter cette pédagogie spirituelle et de l’adapter selon sa situation, son expérience. En posant différents jalons, Jésus invite à la réflexion : qu’est-ce qu’être pauvre de cœur? * Suis-je doux, douce? * Ai-je vraiment faim et soif de justice? * Est-ce que je fais preuve de miséricorde? * Comment avoir le cœur pur? * Suis-je un artisan ou une artisane de paix? * M’arrive-t-il d’être persécuté pour la justice? Suis-je en marche pour y parvenir?

Nous avons de besoin de témoins qui vivent les béatitudes pour être stimulés. Cela peut être en lisant la vie d’un saint ou d’une sainte. Personnellement j’ai beaucoup aimé deux petits livres publiés aux Éditions Paulines : d’abord Les rebelles de Dieu, François d’Assise ; Catherine de Sienne ; le Curé d’ars ; Thérèse d’Avila ; Marguerite Bourgeoys. Le second : Les fous de l’Amour, Oscar Romero ; Frère Roger ; Mère Teresa ; Martin Luther King et le Frère André. Je m’en voudrais de ne pas mentionner qu’un ancien du CÉBL, maintenant doctorant à Fordham University à New York, Matthieu Langlois qui a débuté les ateliers de lecture de livres. Il a découvert Dorothy Day, une travailleuse laïque à l’origine des Catholic workers aux USA. Matthieu fait régulièrement de brefs séjours dans différentes maisons laïques où l’on diffuse la pensée de cette grande dame à l’esprit et l’agir évangéliques, ainsi que la publication d’un petit journal. Il a aussi organisé des conférences à Montréal.

Mon frère, ma sœur, t’es-tu mis, t’es-tu mise en marche, essaye-tu en commençant à développer une des huit béatitudes dans ta vie personnelle, puis deux, puis trois ? Un chrétien, une chrétienne c’est quelqu’un pour qui les Béatitudes nous sont proposées par Jésus lui-même. Il ne nous invite pas à rêver d’un bonheur facile, mièvre et doucereux, il nous invite au courage : « Heureux ceux qui pleurent », sous-entendu parce qu’ils affrontent la souffrance qui fait pleurer ! « Heureux les persécutés pour la justice », sous-entendu parce qu’ils affrontent la persécution, l’opposition, les difficultés qui s’opposent à leur Foi. Je pense ici à tous nos frères et sœurs catholiques ou d’autres dénominations chrétiennes qui sont persécutés et tués chaque jour. N’oublions jamais que, selon l’organisme Portes Ouvertes, le Nigeria serait le premier pays en termes de violences contre les chrétiens : « Il représente 89% des chrétiens tués et 90% des chrétiens kidnappés dans le monde. Il figure aussi en deuxième position en ce qui concerne les églises attaquées. » Le 15 janvier, un attentat dans une église pentecôtiste de Kasindi, sur le territoire du diocèse, a fait au moins 10 morts et une quarantaine de blessés.

5,621 chrétiens sont tués chaque jour.

2,110 églises sont ciblées, surtout en Chine.

4,541 chrétiens sont détenus, dont 1,750 en Inde.

5,259 chrétiens sont kidnappés, dont 4,726 au Nigéria.

Peut-être pouvons-nous mieux comprendre l’insistance du Pape François à implorer pour un retour de la paix entre l’Ukraine et la Russie alors qu’il y a tant d’enfants, de familles, de personnes âgées et de malades qui souffrent des invasions par leur voisin russe.

Alors pour être heureux, ne rêvons pas d’une vie facile, d’une foi facile, ouvrons notre volonté au courage devant les difficultés de toute sorte dans notre marche à la suite du Christ vers Dieu et vers notre prochain. Et si tu te mettais en marche avec un frère ou une sœur, peut-être que votre équipe serait rejointe sur la route par le Christ Ressuscité comme il l’a fait avec les disciples d’Emmaüs ?

Fr. Henri de Longchamp, O.P.

PRIÈRE