22 JANVIER 2023
On déménage !
Aujourd’hui, le frère André Descôteaux, O.P. nous explique l’invitation du Christ à laisser nos filets et à lui suivre dans nos capharnaüms pour voir un Dieu qui déménage et qui nous déménage!
LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE (8, 23b – 9, 3)
Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte
le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ;
mais ensuite, il a couvert de gloire
la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain,
et la Galilée des nations.
Le peuple qui marchait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière ;
et sur les habitants du pays de l’ombre,
une lumière a resplendi.
Tu as prodigué la joie,
tu as fait grandir l’allégresse :
ils se réjouissent devant toi,
comme on se réjouit de la moisson,
comme on exulte au partage du butin.
Car le joug qui pesait sur lui,
la barre qui meurtrissait son épaule,
le bâton du tyran,
tu les as brisés comme au jour de Madiane.
PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS (1, 10-13.17)
Frères,
je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ :
ayez tous un même langage ;
qu’il n’y ait pas de division entre vous,
soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions.
Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères,
par les gens de chez Chloé,
qu’il y a entre vous des rivalités.
Je m’explique.
Chacun de vous prend parti en disant :
« Moi, j’appartiens à Paul »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens à Apollos »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens à Pierre »,
ou bien :
« Moi, j’appartiens au Christ ».
Le Christ est-il donc divisé ?
Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ?
Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?
Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser,
mais pour annoncer l’Évangile,
et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine,
ce qui rendrait vaine la croix du Christ.
ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU (4, 12-23)
Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste,
il se retira en Galilée.
Il quitta Nazareth
et vint habiter à Capharnaüm,
ville située au bord de la mer de Galilée,
dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
C’était pour que soit accomplie
la parole prononcée par le prophète Isaïe :
Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée des nations !
Le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort,
une lumière s’est levée.
À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer :
« Convertissez-vous,
car le royaume des Cieux est tout proche. »
Comme il marchait le long de la mer de Galilée,
il vit deux frères,
Simon, appelé Pierre,
et son frère André,
qui jetaient leurs filets dans la mer ;
car c’étaient des pêcheurs.
Jésus leur dit :
« Venez à ma suite,
et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
De là, il avança et il vit deux autres frères,
Jacques, fils de Zébédée,
et son frère Jean,
qui étaient dans la barque avec leur père,
en train de réparer leurs filets.
Il les appela.
Aussitôt, laissant la barque et leur père,
ils le suivirent.
Jésus parcourait toute la Galilée ;
il enseignait dans leurs synagogues,
proclamait l’Évangile du Royaume,
guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Homélie
Les déménagements sont importants dans la vie d’un homme ou d’une femme. Déménager est rarement banal! Plusieurs d’entre vous en ont fait l’expérience en venant ici à Montréal pour étudier. Aujourd’hui, Jésus déménage. Il fait ses valises. Il quitte Nazareth, il quitte son chez-soi, sa famille, le lieu de son enfance, le lieu où il a appris à devenir humain. Mais, quelques fois, il faut se jeter sur les routes, aller ailleurs. Il faut quitter le cocon, le nid.
Quand Jean Baptiste, son cousin étrange, est emprisonné, peut-être Jésus se sent à la fois menacé, mais aussi obligé de partir. Comment annoncer la parole de Dieu si l’on reste enfermé même dans sa maison familiale comme dans une prison?
Jésus quitte Nazareth. Rejoint-il Jérusalem qui est la ville de la religion, la ville des notables, la ville des théologiens, la ville des prêtres, la ville du Temple? Absolument pas. Il va rejoindre une destination finalement beaucoup plus vulgaire, qui n’est pas une destination de rêve pour un Juif pieux puisqu’il se rend en Galilée, carrefour des nations et des païens, dans une ville dont le nom français comporte toujours une connotation péjorative : Capharnaüm. Il entre dans une ville de désordre. Le mot capharnaüm, mes frères diraient que ça ressemble à peu près à l’état de ma chambre. Mais Capharnaüm c’est d’abord un carrefour, un lieu d’échange. C’est pourquoi Capharnaüm ressemble à toutes les villes modernes dans lesquelles nous sommes. Montréal est aussi une ville qu’on pourrait qualifier de Capharnaüm, car ce n’est pas une ville homogène. Il y a un flux, un reflux, un échange constant de mentalités, de cultures, de langues, de civilisations, de races, de couleurs de peau, de situations sociales, et aussi de situations religieuses et spirituelles.
Ce n’est probablement pas un détail si tous les évangélistes situent le début de l’activité de prédication de Jésus de Nazareth dans une telle ville. Comme s’il y avait un modèle pour tous les prédicateurs de l’Évangile jusqu’à la fin des temps. Si vous voulez trouver un lieu pour prêcher l’Évangile, ne choisissez pas Jérusalem et toutes ses formes développées plus ou moins sacrales, mais choisissez des Capharnaüm. Cela me fait penser à l’intuition profonde de saint Dominique : être présent dans les villes. Finis les monastères dans les campagnes. Il faut être là où les gens sont, là où justement une nouvelle société émerge. Pourtant, aller dans les villes veut dire pour la plupart d’entre nous : restez là où nous sommes, mais n’oublions pas que nous sommes dans un lieu de carrefour, un lieu de passages et d’échanges. Un lieu de brassage. Un lieu de remises en question. Dans les villes, on ne survit et ne devient humain que dans l’échange, que lorsqu’on ose rencontrer le voisin de palier, le voisin tout court, celui qui n’a pas la même culture, la même religion. Et c’est dans ce lieu que peut souffler, parmi tant de souffles mauvais, une parole singulière, une attitude, une présence.
Jésus a donc quitté son chez-soi, son Nazareth, petit village, avec sa synagogue où l’on enseignait la Loi, où l’on pouvait de l’enfance jusqu’à la mort vivre plus ou moins comme un juif pieux. Dans une ville, où il n’y a rien qui protège, il s’expose à l’étrangeté, à l’altérité, à l’autre. C’est là que Jésus va vivre. Il n’y fera pas de la morale ni de la doctrine. Il va simplement dire : « Là où vous êtes, n’oubliez pas qu’il y a un déménagement plus important que tous les autres » celui qu’il appelle : « Convertissez-vous ». La conversion. Changement de cap. Retournement de mentalité. Déménagement radical. C’est ce déménagement-là qui est le plus important à vivre dans la vie. Que vous ne quittiez jamais votre lieu d’enfance, que vous n’ayez plus envie de déménager dans votre vie, cela n’a aucune importance. Il y a toujours un déménagement à faire. Que vous ayez 20 ans, 30 ans, 70 ans, l’âge n’a aucune importance. Ce déménagement, cette conversion, c’est sentir désormais qu’au milieu de nos désordres, au milieu de nos capharnaüms de vie, au milieu des choses pas claires, Dieu est présent. « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ». Dieu est présent dans tous nos capharnaüms, intérieurs, psychiques, relationnels, familiaux, professionnels, tout ce que l’on peut imaginer comme désordre. Dieu y a désormais planté sa tente. Il n’est pas ailleurs que dans notre capharnaüm personnel et intérieur.
Voilà qui est bien consolant. Mais c’est une autre chose que de ranger sa chambre que de découvrir que les lieux de retournement obligent à des déménagements, oblige à quelque chose comme la tâche d’être dans nos capharnaüms pour voir un Dieu qui déménage et qui nous déménage!
Et c’est ce qu’expérimenteront les premiers disciples que Jésus appelle. Il leur demande de déménager. Un déménagement radical, car il veut en faire des pêcheurs d’hommes. Il veut qu’avec lui, ils soient les témoins « d’une lumière qui se lève sur ceux qui habitent dans l’ombre de la mort ». En acceptant son invitation, non seulement ils quittent leurs filets, mais ils entrent dans un processus de remise en question et de découverte : Dieu présent dans ce monde en particulier auprès des blessés de la vie. Dieu présent dans leur capharnaüm pour les conduire à la vie en plénitude. Ils ne deviennent pas apôtres sur le coup. Non. Ils s’engagent dans un long processus de conversion, de changement de cap qui les transformera en apôtres et qui, en fait, ne se terminera qu’avec leur dernier souffle. Avec Dieu, on déménage!
Fr. André Descôteaux, O.P.
N.B. Homélie inspirée d’une prédication de Dominique Collin (Liège – Belgique).
PRIÈRE
∞ Amen.